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Description générée automatiquement – Publié le 25/08/2021

Paris, le mercredi 25 août 2021 – La couverture vaccinale contre la Covid est en France l’une des plus élevée au monde, notamment depuis l’annonce de l’extension du pass sanitaire.

Cependant, on ne peut manquer de constater que d’autres pays (Espagne, Grande-Bretagne…) sont parvenus à obtenir d’aussi bons résultats sans recourir à ce type de dispositif.

Par ailleurs, des fractures vaccinales importantes existent, avec des populations précaires qui boudent encore en partie la vaccination.

Enfin, la vaccination des plus âgés connaît encore un certain retard par rapport à d’autres états européens.

Comment comprendre ces « insuffisances » de notre campagne vaccinale ? Faut-il repenser la communication ?

Quel est le poids des fake news et des discours controversés sur l’épidémie sur la vaccination ?

Nous revenons sur ces questions avec le docteur Anne Levy-Mozziconacci, généticienne à l’hôpital Nord de Marseille, fondatrice du réseau Nord Covid et ancienne conseillère municipale socialiste de Marseille. 

Pour elle, le lien de confiance est indissociable d’un contact réel (et non plus seulement virtuel) établi en tous lieux : écoles, hôpitaux, quartiers…

Elle regrette en effet un défaut d’accompagnement personnalisé.

Enfin, elle revient sur le poids des fake-news (et en particulier à Marseille) et sur l’influence des discours controversés du professeur Raoult.

JIM.fr – Quel est votre regard sur la façon dont le gouvernement a informé et communique sur l’efficacité et l’innocuité des vaccins anti-covid ?

Dr Anne Levy-Mozziconacci – Il me semble qu’on a manqué d’accompagnements pour mettre en place cette vaccination.

Il y a eu des communications évidemment, sur l’ouverture de la campagne, la nécessité de se faire vacciner, la disponibilité des doses, etc.

Mais avec le recul, il me semble que l’on n’a pas compris l’importance du médecin généraliste pour instaurer la confiance.

Bien sûr, au début de la campagne, pour des raisons logistiques évidentes (chaîne du froid, transports…) des vaccinodromes ont été mis en place.

Cependant, je pense que l’on aurait dû davantage investir les médecins généralistes.

Ils sont en effet des interlocuteurs privilégiés pour les questions concernant la vaccination, qui plus est en ce qui concerne un nouveau vaccin.

De nombreuses personnes ont certainement parlé avec leur médecin généraliste mais, cela ne s’est pas fait de façon simple et directe sur le lieu de la vaccination et cela est regrettable.

Aller à la rencontre des gens chez eux

Par ailleurs, même dans les centres de vaccination, il n’y a pas eu d’espace consacré à l’information, l’écoute, la réponse aux questions, de façon même dissociée.

On aurait dû trouver des lieux où on puisse poser des questions, avoir des réponses, même si on n’avait pas envie d’être vacciné.

JIM.fr – Ainsi, vous pensez qu’il faudrait renforcer des approches pro-actives pour convaincre les hésitants ? Si oui, lesquelles ? 

Dr Anne Levy-Mozziconacci – Tout à fait, je pense qu’il y a beaucoup de choses à faire.

Il faut aller voir les gens, faire du porte à porte et discuter.

C’est ce que nous faisons avec le collectif Nord Covid que j’ai fondé au début de la pandémie.

Ce collectif est constitué de médecins hospitaliers et de ville.

Il collabore avec un réseau associatif très important et intervient notamment auprès des populations les plus précaires de Marseille.

Le retour des équipes mobiles (des binômes composés d’un médecin et d’un travailleur social ou associatif) est qu’il faut dans les cités aller à la rencontre des gens chez eux.

Les conversations peuvent durer longtemps, trois quart d’heure, mais il n’est pas rare que l’on parvienne à convaincre et que finalement des familles réticentes comprennent l’intérêt de la vaccination.

La confiance s’installe et la vaccination peut se faire.

On est passé à côté de l’accompagnement de cette vaccination, un accompagnement de proximité.

Au-delà du virtuel

Par ailleurs, alors que les écoles vont bientôt rouvrir, je pense qu’on pourrait organiser au sein des établissements, des rencontres avec les parents d’élève.

Des médecins, comme moi, sont prêts à venir pour animer des séances pédagogiques et répondre à toutes les questions.

De la même manière, nous pouvons aussi ouvrir le dialogue avec les adolescents et les jeunes adultes, à l’occasion pourquoi pas des cours de SVT.

Ces discussions d’une part avec les parents d’autre part avec les élèves me semblent importantes, plutôt que de faire des vidéos YouTube dans son coin.

Il faut aller au-delà du virtuel, en étant au contact des personnes.

Les espaces d’éducation me paraissent être des lieux qu’il est temps d’investir frontalement.

JIM.fr – A vos yeux, il faut découpler ces espaces de parole des centres de vaccination ?

Dr Anne Levy-Mozziconacci : Oui, en effet. La leçon peut d’ailleurs également être retenue pour l’hôpital : il semble qu’on ait voulu aller trop vite.

Il faut s’interroger sur la réticence vis-à-vis des vaccins d’une partie des personnels.

L’information sur les vaccins s’est faite via des notes que l’on recevait par mail.

Il y a eu très peu de moments d’échange dans les services.

L’organisation actuelle dans les hôpitaux ne permet à personne dans les équipes de prendre l’initiative pour décider d’organiser une réunion sur la vaccination.

L’organisation hospitalière actuelle ne facilite pas la cohésion sur la communication  

Ce n’est évidemment pas aux cadres infirmiers, qui toute la journée tiennent des plannings, imposent des règles, d’endosser ce rôle.

De leur côté, les chefs de service, auxquels on a enlevé beaucoup de pouvoirs, peuvent aussi difficilement mettre en place ces réunions.

Ils ont aujourd’hui perdu une partie de l’aura qui leur aurait permis de porter ces messages.

L’organisation de l’hôpital est ainsi faite qu’il y a eu très peu de moyens pour créer une cohésion et gagner la confiance.

Cela ne réglerait pas tout ne règlerait pas tout. Mais ce manque pourrait expliquer que cet énorme espace laissé vide est rempli par les fakes news et les réseaux sociaux.

Rattraper le coup est un peu difficile, mais ce n’est pas perdu.

JIM.fr – Dans ce discours sur les vaccins, faut-il par exemple évoquer les limites des vaccins en ce qui concerne la transmission et l’infection ?

Dr Anne Levy-Mozziconacci – Évidemment qu’il faut dire les choses.

Il convient au-delà de réexpliquer le principe des vaccins.

C’est un travail de titan, mais c’est indispensable.

JIM.fr – Selon vous, une communication différente, avec plus de distance des responsables politiques, pourrait donc être pertinente ?

Dr Anne Levy-Mozziconacci – Bien sûr ! Il faut réfléchir aux meilleures personnes pour porter ce discours, en fonction des lieux où l’on s’exprime.

Cela peut-être des médecins par exemple dans les collèges et lycées, mais aussi des responsables associatifs…

Politique et scientifique : gare aux mélanges des genres

Concernant la parole politique, j’ai été très frappée de voir des élus de gauche et des élus de droite se mettre sous la tutelle du professeur Raoult.

Quand l’ancienne maire (Michèle Rubirola qui a cédé la place à Benoit Payan en décembre 2020, NDLR) et la responsable de la métropole ont décidé de tenir une réunion avec le professeur Raoult, il y a eu un véritable mélange des genres qui est obligatoirement dommageable !

JIM.fr – Quelle est votre opinion sur les médecins et scientifiques qui présentent publiquement des informations controversées sur les vaccins ou l’épidémie ?

Dr Anne Levy-Mozziconacci – Il est très regrettable que certains professeurs éminents, comme Didier Raoult ou comme d’autres ne fassent pas la distinction entre ce qu’on peut dire en marge d’un staff, au cours d’une conversation informelle avec ses confrères, et la parole publique, la parole de santé publique.

Une influence négative incontestable

Avec le collectif Nord Covid, nous constatons clairement l’influence des fakes news et entre autres des discours de M Raoult sur les personnes vivant dans les quartiers populaires de Marseille.

Le fait qu’il soit un grand professeur, reconnu, à Marseille, a inévitablement des répercussions.

Dans notre travail, nous constatons, au-delà du professeur Raoult, que les fakenews sont notre premier ennemi.

JIM.fr – Dès lors, approuvez-vous la position nouvellement adoptée par la direction de l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille vis-à-vis du Pr Raoult ?

Dr Anne Levy-Mozziconacci – Oui tout à fait. L’une des leçons à tirer de la gestion de cette pandémie est à mon avis le défaut très important de coordination, et de coordination à un niveau micro-territorial.

Cette coordination s’impose notamment aussi parce que l’épidémie a un volet social très important et cette coordination, entre l’IHU, l’AP-HM, l’université, l’ARS, etc. fait défaut, encore aujourd’hui.

Or, cet éclatement est, par exemple, dommageable en ce qui concerne la transmission des messages de prévention (au sujet de la vaccination, mais pas seulement).

Pour l’IHU (dont les équipes font un travail considérable), il semble très important, comme nous y travaillons aujourd’hui avec le président de la CME notamment, de le remettre dans l’environnement scientifique et médical qu’il n’aurait jamais dû quitter.

Or, aujourd’hui, la voix de Monsieur Raoult c’est la voix de l’IHU et donc de l’AP-HM (qui finance l’IHU en ce qui concerne le volet hospitalier) et donc le décalage ne peut être accepté.

JIM.fr – Que pensez-vous de l’application du pass sanitaire pour les patients à l’hôpital ? Comprenez-vous les oppositions que cette disposition suscite chez certains professionnels qui craignent un retard des soins hors covid ?

Dr Anne Levy-Mozziconacci – A l’hôpital Nord où je travaille, cette application se passe très bien.

Je ne constate aucune résistance. Nous avons réalisé un petit travail en amont avec un appel des secrétaires pour expliquer les nouvelles règles aux patients avant leur rendez-vous.

Sur place, les choses se déroulent sans heurt, comme m’en ont témoigné les responsables de sécurité.

Bien sûr, il y a des cas particuliers, face auxquels la direction de l’hôpital directement impliquée peut agir avec souplesse.

Et pour les personnes qui n’auraient pas de pass, il y a la possibilité de faire un test antigénique en 15 minutes à l’entrée des établissements.

JIM.fr – Vous n’avez donc pas eu d’annulation de consultation ou de report ?

Dr Anne Levy-Mozziconacci – Absolument pas. Et évidemment, nous acceptons toutes les urgences.

Il y a une anticipation des patients et une adaptation du personnel.

Propos recueillis le 25 aout 2021 par Aurélie Haroche.

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