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Pr Dominique Savary, Dre Pauline Seriot

AUTEURS ET DÉCLARATIONS  – 4 mars 2024

Les dangers de la pratique du cutting chez les sportifs (medscape.com)

Le cutting, qui est une perte de poids extrême obtenue par déshydratation avant une pesée, est de plus en plus pratiqué dans les milieux sportifs, aussi bien professionnels qu’amateurs.

Quels sont les dangers pour la santé? Quels conseils donner aux patients? Dominique Savary (CHU d’Anger) s’entretient avec Pauline Seriot (AP-HP).

TRANSCRIPTION

Dominique Savary – Bonjour à tous, je suis le Pr Dominique Savary, je travaille au département de médecine d’urgence du CHU d’Angers et je suis en compagnie d’un autre urgentiste, la Dre Pauline Seriot.

Dre Seriot, on a lu récemment sur Medscape l’interview que vous avez donnée sur votre activité annexe qui est l’encadrement de certains sports de combat.

C’était très intéressant et je voulais revenir sur ce fameux phénomène du cutting que vous évoquiez dans cette interview.

Cutting : définition, objectifs

Dominique Savary – Pour commencer, pourriez-vous nous expliquer ce qu’est le cutting?

Pauline Seriot – Le cutting est la phase ultime de déshydratation, de perte de poids, avant un combat.

Mais c’est une toute petite partie du processus de perte de poids.

C’est un phénomène qui n’est absolument pas nouveau ― il existe depuis la Grèce antique, notament chez les lutteurs qui procédaient déjà à ce genre de pratique pour rentrer dans la catégorie de poids où ils évoluaient.

Donc c’est une diète qui comprend une restriction calorique en amont, et les jours avant la pesée, une déshydratation, et le fait de perdre les quelques kilos qui restent pour atteindre la catégorie inférieure de poids hors saison.

Dominique Savary – Pour quelle raison les combattants font-ils cela? Pour pouvoir combattre dans une autre catégorie ou parce qu’ils seront plus forts après?

Pauline Seriot – Il y a l’idée générale que si tout le monde le fait, alors tout le monde doit le faire.

Mais la principale idée est qu’ils cherchent à être dans une catégorie bien inférieure à leur poids hors saison pour pouvoir ensuite être plus lourds et plus forts face à leurs adversaires.

Dominique Savary – Donc il y a un délai entre le moment où ils sont pesés et le moment où va avoir lieu le combat.

Pauline Seriot – Tout à fait. Chez les combattants professionnels, il y a à peu près 36 heures et ils vont se servir de ces 36 heures pour pouvoir faire ce qu’on appelle le « rebond », la recharge calorique, pour pouvoir récupérer les kilos perdus.

Dominique Savary – Au niveau énergétique, on s’imagine que de perdre ainsi beaucoup de poids les rend plus fragiles.

Vont-ils récupérer la totalité de leur énergie juste au moment du combat?

Pauline Seriot – C’est ce qu’ils espèrent et c’est ce vers quoi ils veulent tendre.

Mais on dit généralement que pour récupérer une homéostasie normale, il faudrait 48 heures.

Et là, on est à 36 heures entre le moment de la pesée – chez les combattants professionnels – et celui du combat.

En fait il va y avoir une réhydratation qui, si elle est bien faite, va pouvoir permettre une récupération énergétique favorable, mais un cutting bien fait, ce n’est pas la norme…

Il faut avoir un très bon encadrement et souvent il n’y a pas d’encadrement médical.

Donc c’est via, au mieux, des préparateurs physiques qui ont une grande compétence en nutrition.

Sinon, c’est via le staff, les coachs, ou encore pire maintenant, les réseaux sociaux.

Donc la réhydratation, si elle ne se fait pas correctement, et la recharge calorique, si elle se fait par une alimentation très riche en lipides, ne vont pas leur permettre d’être performants le jour J.

Les risques associés au cutting

Dominique Savary – On a bien compris que cela se voyait autant chez les professionnels que chez les amateurs, et probablement que c’est moins bien encadré chez des amateurs.

Quels sont les risques que prennent ces combattants quand ils pratiquent le cutting ?

On est face à tous les risques d’hyperthermie maligne et cela, malheureusement, peut causer la mort.

Pauline Seriot – Effectivement, cela se voit chez les amateurs, mais on a la chance, chez les amateurs d’avoir une pesée le jour J.

Donc on n’a pas cette perte de poids aussi importante, je dirais.

Mais, effectivement, j’ai vu des amateurs qui faisaient des énormes cuttings ; en fait, ce qu’ils cherchent, c’est l’hypovolémie et donc les risques principaux concernent tout ce qui va en résulter.

Sur des pertes de poids de plus de 8%, on va avoir de manière assez systématique une insuffisance rénale fonctionnelle ; on va avoir, via le bas débit sanguin rénal, une insuffisance cardiaque a minima – c’est-à-dire qu’on va devoir demander au cœur de pomper plus vite, plus fort, avec beaucoup moins de liquide à l’intérieur, beaucoup moins de sang, donc cela va entraîner des problèmes de trouble du rythme, d’hypertension, de malaise, voire d’infarctus.

On va mettre le corps dans un état d’hyperviscosité sanguine, on est face à tous les risques d’hyperthermie maligne et cela, malheureusement, peut causer la mort et on le sait très bien.

On voit un risque de commotion qui est vraiment extrême

Pour moi, le gros problème ― parce que c’est celui qui « se résout le moins bien » ― c’est le bas débit cérébral et surtout la baisse du liquide céphalo-rachidien (LCR) qui a pour but de protéger le cerveau des coups.

Donc on va avoir des fighters qui vont arriver le jour J, qui auront l’impression d’avoir repris un état de forme qui leur permet d’assurer un bon combat, sauf qu’en fait, il y aura forcément un défaut de LCR et le cerveau ne sera plus à même d’être bien protégé des coups.

C’est là qu’on voit un risque de commotion qui est vraiment extrême, avec tout ce qui s’ensuit, les saignements intracrâniens, etc.

Dominique Savary – Est-ce qu’avec le rebond, c’est-à-dire cette recharge hydrique importante, on voit des phénomènes comme on peut les voir chez les potomanes?

Y-a-t’il également une conséquence à la réhydratation massive pendant 36 h?

Pauline Seriot – Moins, parce que si c’est bien conduit, la réhydratation n’est pas massive.

J’ai eu pas mal de retours de préparateurs sportifs spécialisés en nutrition : c’est du 300 ml par petites gorgées fractionnées.

Alors il existe toujours des combattants qui vont vous dire « moi, j’ai bu 2 litres de Coca en trois minutes. »

Ce sont des eaux qui vont être chargées en électrolytes, donc la potomanie ne va pas vraiment se voir.

Mais il y a un écueil dans lequel peuvent tomber certains fighters, c’est qu’en amont du combat, ils font de l’hyperhydratation pour berner un peu le corps avec la sécrétion de tout ce qu’on connaît – la vasopressine, etc. – et une hyperhydratation de 7-8 litres, là on va être dans des phénomènes de potomanie.

Comment encadrer cette pratique ?

Dominique Savary – Pensez-vous qu’il faudra encadrer cette pratique? Que proposez-vous?

Pauline Seriot – Si cette pratique vise à persister et qu’on n’arrive pas à l’interdire, il faudrait effectivement

l’encadrer via un suivi médical et des analyses sanguines régulières, afin de savoir s’il n’y a pas trop de retentissements sur le rein, jusqu’où on peut aller, et si on peut décélérer un peu le processus.

Il faudrait également éduquer les combattants et leur staff pour qu’ils ne continuent pas de pratiquer des cutting qui sont dangereux – parce que ce n’est pas parce qu’ils ont fonctionné sur eux qu’ils vont fonctionner sur un tout jeune athlète.

Et peut-être, mettre la fameuse pesée le jour J pour éviter ces pertes de poids drastiques et faire en sorte qu’ils n’aient pas à se réhydrater de façon massive.

Dominique Savary – Si, par exemple, des médecins généralistes voient de tels patients, quels seraient les conseils qu’on pourrait leur donner pour les accompagner au mieux?

Pauline Seriot – Ce qu’on peut leur donner comme conseil, c’est de bien questionner les patients qui font ce type de combats sur leur pratique ― parce que généralement, quand ce sont des professionnels, ils ont des entraînements deux fois par jour et ce sont des entraînements qui sont assez diversifiés. Donc quelle est leur pratique? Est-ce qu’ils ont déjà des antécédents cardiaques ou rénaux? Est-ce qu’ils ont des problèmes de santé? Et s’ils n’ont aucun problème de santé, les orienter vers un confrère, un nutritionniste, un diététicien, pour les aider à perdre du poids de façon pérenne et sécure.

Dominique Savary – Donc à la fois poser les bonnes questions et s’associer à un nutritionniste qui pourra les aider.

Vous nous parlez beaucoup de MMA ; est-ce que c’est la même chose dans d’autres sports de combat, comme la boxe ou d’autres sports, peut-être ?

Pauline Seriot – Le cutting se voit essentiellement dans les sports de combat à catégorie de poids. Donc énormément dans le MMA parce qu’on est dans une phase de pleine expansion de ce sport, mais aussi parce qu’il y a seulement 8 [ndlr] catégories de poids contrairement à 17 pour la boxe anglaise. Dans le MMA, on se retrouve avec des catégories de poids de 77 kg à 84 kg. Donc un combattant qui a un poids hors saison à plus de 84 kg, p. ex. à 85 kg, va vouloir aller dans la catégorie de moins 77 kg.

Dominique Savary – J’imagine qu’ils arrivent à combattre dans plusieurs catégories en utilisant cette technique du cutting.

Pauline Seriot – Oui, lorsqu’ils sont bons, ils prennent une catégorie et après vont chercher la catégorie d’en dessous. C’est souvent comme cela que ça fonctionne.

Dominique Savary – Dre Seriot, merci pour toutes ces informations très précieuses et intéressantes. Merci à tous, je vous dis à bientôt sur Medscape France.

Pauline Seriot – Merci à vous.

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Citer cet article: Les dangers de la pratique du cutting chez les sportifs – Medscape – 4 mars 2024.