Le navigateur Alain Gliksman est décédé samedi au Havre, à l’âge de 91 ans.
Contemporain d’Éric Tabarly et d’Alain Colas, ce skipper, journaliste et écrivain a fait rêver des générations de marins.
Dont Halvard Mabire, qui nous a envoyé un formidable texte d’hommage à celui qui l’a beaucoup inspiré et avec qui il a navigué.
Alain Gliksman. | DR VOILES ET VOILIERS
Bruno MÉNARD.Publié le 21/11/2023 à 17h58
Légende de la voile, Alain Gliksman est mort, l’hommage émouvant d’Halvard Mabire (ouest-france.fr)Haut du formulaire
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Alain Gliksman est décédé, à l’âge de 91 ans. Légende de la voile, ce grand marin, contemporain d’Éric Tabarly et Alain Colas manqua de très peu de gagner la Transat Anglaise 1968 à bord de Raph.
Il fut aussi le skipper de Kriter sur la première Whitbread, participa à la toute première Route du Rhum en 1978, gagna la Transat Anglaise en catégorie 35 pieds en 1972, etc
Alain Gliksman était un précurseur côté voiliers. Mais il était aussi parallèlement une très belle plume, tour à tour testeur de voiliers pour le magazine Bateaux, mais aussi rédacteur en chef de la célèbre revue Neptune qu’il avait créée.
Une grande figure du milieu maritime !
Alain Gliksman au départ de la première Route du Rhum, en 1978. | OUEST FRANCE ARCHIVES
En 2017, le navigateur Halvard Mabire, alors en mer, avait pris la plume pour écrire un texte très touchant sur Alain Gliksman. Halvard nous a proposé ce texte en guise d’hommage. Le voici :
En pensant à Alain Gliksman…
Être en approche vers une escale lointaine où l’on est déjà allé n’est pas sans faire remonter à la surface de la mémoire un certain nombre de souvenirs.
Ainsi, la première fois que je suis allé à Horta, c’était à l’automne 1980, lors d’une escale technique au cours de la course La Baule-Dakar, que je courrais à bord du prao « Tahiti Douche », sous la houlette d’Alain Gliksman et en compagnie de Christine Capedevielle et de Jean François Le Menec.
Escale technique étant un euphémisme, dans la mesure où nous avions cassé nos deux safrans/dérives et que nous avions été obligés de les reconstruire en totalité à Horta.
Le navigateur Halvard MABIRE, auteur de ce texte très touchant sur Gliksman | DAVID ADEMAS / OUEST-FRANCE
Faire du prao sans safran, c’est pire que de faire du vélo sans guidon, dans la mesure où si l’on se retrouve par mégarde sur la mauvaise amure et avec le vent à contre, on chavire.
Tout simplement. Mais nous sommes tout de même arrivés miraculeusement à bon port, avec néanmoins quelques sueurs froides, en pratiquant simplement les bases de la voile, à savoir que la voile de l’avant fait abattre et que celle de l’arrière fait lofer.
Ainsi on peut diriger tant bien que mal un bateau à voile sans gouvernail, mais ce n’est quand même pas très pratique et si le gouvernail a été inventé, ce n’est pas pour les chiens.
Rien ne coûtait bien cher à l’époque et nous étions prêts à tout
Bref, nous faisions les frais de la technologie aéronautique mise en œuvre par des maçons, comme c’était bien souvent le cas à l’époque.
Il n’était d’ailleurs pas si rare de voir des bateaux se démantibuler complètement, sous le regard médusé des apprentis pilotes d’essais que nous étions bien malgré nous.
Cela arrive encore aujourd’hui, mais pas pour les mêmes raisons ni pour le même prix…
Rien ne coûtait bien cher à l’époque et nous étions prêts à tout, du moment qu’il s’agissait d’aller naviguer et d’aller le plus vite possible sur l’eau.
Nous étions dans une époque pionnière, à la naissance du multicoque océanique, et nous espérions atteindre des performances magiques, pour l’époque, si tout se passait comme prévu (ce qui n’arrivait quasiment jamais).
Performances qui peuvent paraître bien dérisoires à certains jeunes « sportifs des mers » d’aujourd’hui, alors que l’on fait le Tour du Monde en multicoque en une quarantaine de jours, même en solo, et en environ 70 jours en monocoque, mais s’il n’y avait pas eu quelques aventuriers marins défricheurs, on n’en serait pas là à ce jour.
Alain Gliksman est une légende de la voile, qui a marqué son époque. Sa plus grande infortune a été d’être un contemporain d’Éric Tabarly
Pour en revenir à Horta, des grands appendices de multicoque ne se faisant pas en un clin d’œil ni en un coup de cuiller à pot, nous y avons donc séjourné pendant quasiment trois bonnes semaines.
Et ce fut une grande chance et un immense privilège dans ma vie que d’avoir pu passer ce temps d’attente forcée en compagnie d’une personnalité aussi brillante que celle d’Alain Gliksman.
Non que Christine et Jean-Francois ne soient pas eux aussi des vrais personnages que tout le monde gagnerait à connaître, mais Alain Gliksman est une légende de la voile, qui a marqué son époque.
Sa plus grande infortune a été d’être un contemporain d’Éric Tabarly, et une gloire, amplement méritée, comme celle d’Éric laisse malheureusement bien peu de place à côté pour mettre en valeur d’autres personnalités.
Alain, en plus d’avoir été un navigateur renommé, est une fabuleuse plume et un conteur hors pair.
Doué d’un cerveau qui fonctionne largement au-dessus de la vitesse moyenne de celui de ses contemporains, et toujours en ébullition, il était doté d’un sens de l’humour assez décapant et pratiquait l’autodérision avec autant d’aisance que l’autosatisfaction.
Toujours est-il que nous avons eu suffisamment de repas partagés pour avoir largement eu le temps qu’il nous conte toutes ses aventures et toute l’histoire de la voile (la grande et les petites… !) de ses débuts à l’époque où nous en étions à ce moment-là.
J’en ai rarement autant appris et j’ai surtout rarement autant ri !
Si ma génération dans le monde de la voile était un peu comparable à celle des Mermoz et de l’Aéropostale dans l’Aviation, là on en était à Blériot !
Il y a eu pas mal de bois cassé avant que ça vole correctement. Plus on remonte dans le temps et plus il y avait d’inconnues et plus c’était une grande aventure que de vouloir aller au large à la voile, éventuellement en solitaire, et en course en plus.
Donc un grand respect pour tous ceux qui nous ont ouvert la voie, souvent au péril de leur vie, et toujours à leur frais.
Alain Gliksman était largement en tête de la Transat en solitaire en 1968, à bord du ketch Raph quand il a été contraint à une escale technique à Terre Neuve.
On ne refait pas l’histoire, mais cette victoire aurait probablement changé le cours de certaines choses.
À son bord, en toute simplicité, Jimmy Carter, le Président des États-Unis de l’époque
D’autant plus qu’Alain possédait une personnalité resplendissante, capable de conquérir tout public.
À son époque, il attirait naturellement et il pouvait ainsi fréquenter n’importe qui, avec une grande aisance, quel que soit le niveau social ou la notoriété de la personne en question.
Il connaissait tout le monde. En plus on avait toujours l’impression que c’était la dite personne qui était à côté d’Alain et non l’inverse.
Étant gamin, je rêvais déjà devant des photos d’Alain à la barre de » Raph », avec Brigitte Bardot à ses côtés.
À la fin des années 60, ça en jetait ! Avec du recul, je ne me souviens plus très bien d’ailleurs ce qui me faisait rêver le plus, si c’était Brigitte Bardot ou le bateau…
Le bateau me semblait peut-être plus à ma portée quand même.
Gamin, je rêvais devant des photos d’Alain à la barre de « Raph », avec Brigitte Bardot à ses côtés
Alain a eu plusieurs multicoques. Sur l’un d’eux, Timex je crois, lors d’un passage aux Antilles, c’est tout naturellement qu’il se retrouve avoir pour coéquipier à son bord, en toute simplicité, Jimmy Carter, le Président des États-Unis de l’époque ! Rien que ça !
Le Président des USA était à un « Sommet » en Guadeloupe et je ne sais plus comment il a atterri sur le bateau d’Alain, mais il n’y avait bien que Gliksman pour faire un coup pareil. Aujourd’hui cela paraît surréaliste !
Heureusement qu’il y a des photos, sinon personne ne le croirait.
Et il y aurait encore des milliers d’anecdotes comme celles-ci avec Alain, mais nous serions déjà arrivés à Horta (dans une dizaine d’heures), que je n’aurais pas eu le temps de m’en remémorer le quart.
La vraie richesse de la vie est les rencontres que l’on peut faire lors de son passage sur Terre, et à ce niveau-là on peut dire que je suis multimilliardaire !
Halvard MABIRE