Publié le 19/08/2018
Acta Psychiatrica Scandinavica publie les résultats d’une étude de cohorte prospective, réalisée en Finlande sur 6 081 sujets, nés entre le 1er juillet 1985 et le 30 juin 1986 et suivis de 2001 à 2015, entre l’âge de 15 ans et 30 ans. Comparant l’occurrence d’une psychose chez des personnes avec un passé tabagique (plus de 10 cigarettes/jour dès l’âge de 15 ans), relativement à des non-fumeurs, cette étude représente un séisme dans l’épidémiologie des troubles psychotiques car elle suggère que le tabac peut constituer, en lui-même, un « sérieux facteur de risque » de psychose. Comparativement aux non-fumeurs, résument les auteurs, les sujets ayant fumé plus de 10 cigarettes/jour à l’adolescence ont un risque « environ trois fois plus élevé de développer ultérieurement un trouble psychotique, vers l’âge de 30 ans » : Hazard Ratio = 3,15 ; intervalle de confiance à 95 % 1,94–5,13.
Un séisme épidémiologique
Ce constat est très important car il balaye notamment deux idées largement répandues sur le tabac :
1°) Le danger de ce produit se résumerait à une dimension somatique, essentiellement son impact cardiovasculaire et broncho-pulmonaire (surtout un risque carcinogène). Cette étude montre au contraire qu’une dimension psychiatrique n’est pas exclue, indépendamment de ces risques classiques pour la santé physique.
2°) Si cette association entre tabac et psychose était en fait déjà connue, on l’attribuait généralement à une « causalité inversée » (reverse causation) : on ne considérait pas le tabac comme un facteur de risque psychiatrique en soi, mais plutôt comme un élément contextuel, en réaction à une psychopathologie préalable à l’habitus tabagique.
Dans cette conception courante, fumer ne représenterait qu’une conséquence fréquente des troubles mentaux, et non l’une de leurs causes possibles : on fumerait ainsi par mimétisme avec d’autres patients, côtoyés en milieu psychiatrique, ou par assimilation du tabac à un pseudo-médicament, utilisé comme une automédication pour « alléger les symptômes psychotiques ou/et les effets adverses des traitements neuroleptiques. »
Le cannabis n’est pas le seul coupable…
Or cette étude dissipe les doutes sur le caractère insidieux du tabac, également du point de vue psychiatrique. On ne peut plus réduire son rôle à un simple élément contingent, en imputant à d’autres facteurs (en particulier le cannabis, souvent associé au tabac dans les « joints ») l’exclusivité du risque pour la santé mentale, mais on doit admettre que le tabac présente aussi un danger propre.
Comme on pouvait encore imaginer que certains sujets aient commencé à fumer dès l’adolescence pour « remédier » à des difficultés d’orde psychotique déjà éprouvées avant le début de l’enquête, et que cette forme « d’automédication » par le tabac pourrait alors contribuer à biaiser les résultats, les auteurs ont évalué les « expériences d’allure psychotique » (psychosis-like expériences) dès le commencement de l’étude, et ont ajusté les données en fonction de certains facteurs confondants : usage du cannabis, antécédents psychiatriques familiaux, mésusage d’une drogue ou d’alcool par un parent ou/et par le sujet lui-même…
Or dans ces modèles ajustés, l’association entre tabagisme précoce et psychose persiste aussi, bien qu’atténuée environ d’un tiers : Hazard Ratio = 2 [1,13–3,54]. Comme l’écrit l’éditorialiste d’Acta Psychiatrica Scandinavica, « il est temps de commencer à percevoir le tabac comme un facteur de risque pour la psychose. »
Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCES
MacCabe JH : It is time to start taking tobacco seriously as a risk factor for psychosis: self-medication cannot explain the association. Acta Psychiatr
Scand; 2018: 138: 3–4.
Mustonen A et coll.: Smokin’ hot: adolescent smoking and the risk of psychosis.
Acta Psychiatr Scand; 2018: 138: 5–14.
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