par Dr Martin Juneau | 29 mai 2017
Le cannabis a été utilisé comme substance euphorisante depuis au moins 4000 ans et demeure aujourd’hui la drogue illicite la plus populaire au monde. Selon le World Drug Report de 2016, près de 185 millions de personnes consomment régulièrement du cannabis, soit environ 4 % de la population mondiale, cette proportion étant encore plus élevée en Amérique du Nord, avec environ 10 % de la population canadienne âgée de 15 et plus qui est un utilisateur régulier de cette drogue.
Les effets psychoactifs du cannabis sont en majeure partie dus au Δ9 – tétrahydrocannabinol (THC), le principal cannabinoïde produit par la plante. En interagissant avec certains récepteurs présents au niveau du cerveau, le THC modifie la relâche de neurotransmetteurs et altère du même coup plusieurs processus mentaux (émotions, perception sensorielle, mémoire, appétit, etc.). Certains de ces effets sont considérés comme étant positifs (amélioration de l’humeur, légère euphorie, relaxation, amplification des sensations), tandis que d’autres le sont moins (difficultés de concentration, mauvaise coordination et perte de motivation, entre autres).
L’effet du THC ne se limite cependant pas au cerveau, car les récepteurs aux cannabinoïdes sont présents dans plusieurs organes du corps et le cannabis peut donc grandement influencer leur fonctionnement. Au niveau cardiovasculaire, un des effets les mieux documentés de la consommation de cannabis est une augmentation de la charge de travail cardiaque : par exemple, une étude a montré que le rythme cardiaque moyen augmente de 66 à 89 battements par minute quelques minutes après l’inhalation et s’accompagne d’une légère hausse de la pression systolique (de 5 à 10 mm Hg). Ces effets sont cependant moins prononcés chez les utilisateurs réguliers en raison d’un phénomène de tolérance. Certaines personnes semblent toutefois plus sensibles aux effets de la drogue, car plusieurs cas isolés d’événements cardiovasculaires néfastes suite à la consommation de cannabis ou de cannabis de synthèse (K2 ou « Spice ») ont été rapportés dans la littérature médicale au fil des années (AVC, arythmies, infarctus du myocarde, mort cardiaque subite). Ces effets secondaires sont toutefois très rares et, dans l’ensemble, les études réalisées jusqu’à présent indiquent que la consommation de cannabis ne cause pas d’effets cardiovasculaires majeurs chez les personnes en bonne santé.
La situation semble toutefois plus problématique pour les personnes qui ont déjà subi un infarctus du myocarde. Chez ces personnes, une étude a montré que la consommation de cannabis diminue l’apport en oxygène au muscle cardiaque et accélère l’apparition de symptômes d’angine, ce qui suggère que les effets stimulants du cannabis sur la charge de travail du muscle cardiaque pourraient favoriser la survenue d’un infarctus.
Cette crainte a été confirmée par une étude du groupe de Mittleman auprès de 3882 survivants d’un infarctus. Chez ces personnes à haut risque, les chercheurs ont observé que la consommation de cannabis était associée à une augmentation importante (près de 5 fois) du risque d’infarctus dans l’heure qui suit l’inhalation de la drogue. Une étude subséquente réalisée sur un sous-groupe de 1913 personnes de cette même cohorte a révélé que la consommation occasionnelle de cannabis (moins d’une fois par semaine) était associée à un risque 2,5 fois plus élevé de mortalité au cours des 4 années suivant le début de l’étude, une hausse du risque qui atteint même 4 fois chez ceux qui en consommaient plus fréquemment (plus d’une fois par semaine). Après un suivi de 18 ans, les chercheurs ont observé que les utilisateurs de cannabis avaient un risque de mortalité prématurée environ 30 % plus élevé que ceux qui n’en consommaient jamais. Dans l’ensemble, ces observations suggèrent que les personnes à haut risque (porteurs de nombreux facteurs de risque ou déjà atteints de maladie coronarienne), les survivants d’un infarctus par exemple, devraient limiter au minimum la consommation de cannabis.
Pour ce qui est des personnes en bonne santé, l’absence d’effets cardiovasculaires majeurs du cannabis à court terme ne signifie pas que la drogue est absolument sans danger à long terme, surtout lorsqu’elle est consommée en excès.
Par exemple, une étude récente suggère que l’usage du cannabis est associé à une accélération du vieillissement du système cardiovasculaire, un marqueur du vieillissement prématuré, et il semble exister une association entre l’usage intensif de cannabis et une hausse du risque de mort prématurée. La prudence semble donc de mise, d’autant plus que le contenu du cannabis en THC a quadruplé au cours des dernières années, passant d’environ 3 % en 1980 à 12 % en 2012 (voir Figure) et il existe même des variétés de la plante qui peuvent contenir jusqu’à 30 % de THC. Il faut donc ajuster la consommation en conséquence, car les résultats sur les effets cardiovasculaires du cannabis proviennent d’études sur des consommateurs de cannabis à faible contenu en THC et on ne sait pas encore quels sont les effets du « pot » moderne.