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14/03/2024 Roger Ladouceur
Médecin de famille au GMF-U Verdun et à la Coopérative-en-santé de Beauharnois. Professeur agrégé de clinique, Département de médecine familiale, Université de Montréal. Fellow et Médecin à vie du Collège des médecins de famille du Canada Lire la suite
Par le Dr Roger Ladouceur
L’AMM au Québec | Profession Santé (professionsante.ca)
On apprenait récemment que le Québec avait le taux d’aide médicale à mourir (AMM) le plus élevé au monde:
« Le Québec a maintenant le taux d’aide médicale à mourir le plus élevé dans le monde.
C’est maintenant près de 7% des décès qui découlent de cette procédure et la croissance se poursuit: on note une hausse de 40% depuis 2022.»1
«À ce rythme, plus de 5000 personnes y auront eu recours cette année (2023), comparativement à 3663 l’an dernier.»2
Cela vous surprend-il?
Plus de 5 000 personnes par année, cela fait quelque 15 personnes chaque jour.
Il me semble que c’est beaucoup.
De quoi remplir de pleines pages de la section nécrologique du Journal de Montréal ou de La Presse tous les jours.
Pourquoi tant de Québécois ont-ils recours à l’AMM?
C’est comme si, passé un certain âge, affligé par la maladie, rendu à un certain point, on considérait que la vie n’avait plus d’allure, n’avait plus de raison d’être.
Comme s’il n’y avait aucune raison d’endurer son sort pour gagner son ciel, comme on le faisait autrefois.
Comme si la vie n’avait de sens que dans lorsqu’elle est belle et magnifique.
Allez, hop, qu’on en finisse.
Remarquez que je ne juge personne et que je ne me prononce pas sur le sujet.
Quand cela ira mal, quand ça deviendra trop difficile, je serai le premier à demander l’AMM.
J’ai tout aussi peur que vous de la souffrance, de la déchéance et de la décrépitude.
À ce chapitre, « Je suis le lâche des lâches, pas le tough des tough», comme disait Dédé Fortin.
Je ne fais que me questionner sur l’ampleur du phénomène et essayer de le comprendre.
Faut dire que l’AMM nous offre tout une voie de passage.
Y a-t-il meilleur moyen de mourir?
Plutôt que de souffrir inutilement et d’attendre une fin qui ne vient pas; plutôt que d’essayer de passer au travers par soi-même; plutôt que de tenter par soi-même de mettre fin à son calvaire…
Comment d’ailleurs? En allant se pendre dans le garage, en prenant toutes ses pilules, en sortant la carabine?
Nous avons tous connu ou entendu de pareilles histoires d’horreur.
Pas très gai que cela. Sans compter les conséquences.
Le pauvre hère qui s’y aventure (s’il lui reste encore la force de se rendre là) risque de manquer son coup et se retrouver pire qu’avant.
Ou d’être découvert in extremis et réanimé contre son gré même s’il a clairement spécifié qu’il ne voulait pas l’être.
On ne laisse pas mourir les suicidés, n’est-ce pas! Pourquoi cela?
Sans compter les dommages collatéraux pour les proches et la famille qui resteront dans l’incompréhension et le remord, à se demander s’ils n’auraient pas pu en faire davantage pour éviter la tragédie.
Et les générations futures, à se rappeler de Joseph-le-trucidé, là où il s’est tiré ou là où il s’est pendu.
Vécu comme une tare familiale.
Alors qu’avec l’AMM, c’est propre, net, infaillible et légal. Pas de sang. Pas de douleur. Pas de drame.
Le départ en douceur. C’est même honorable. On entend souvent des gens dire qu’untel ou untel y a eu recours.
Pas surprenant que tant de personnes la réclament. Même celles en bonne santé.
Je ne compte plus le nombre de patients qui, ne comprenant rien au processus, viennent me consulter pour l’AMM.
« Mais vous êtes en parfaite santé! — C’est au cas où. Mettez cela dans mon dossier. »
Comme si l’on pouvait déterminer aujourd’hui ce que nous penserons demain.
Faut dire aussi que l’AMM nous offre tout un trip!
Versed, propofol, curare. Avez-vous déjà reçu du midazolam (VersedMD)?
Moi, oui, en deux occasions. Chaque fois pour une colonoscopie.
Quel bonheur! Quel effet apaisant! Comme cela fait du bien.
Avez-vous déjà pris du propofol?
Jamais pour ma part, mais je me doute du bienfait. Juste à observer la réaction de mes patients, je vois bien le soulagement.
Ne plus avoir mal, comme cela fait du bien.
Puis, le curare (bromure de rocuronium ou bésylate de cisatracurium).
Le traître!
Je serais curieux de voir comment les récipiendaires de l’AMM réagiraient si on leur proposait d’arrêter le processus après des doses raisonnables de Versed et de propofol.
Le temps de réfléchir, le temps de nous dire s’ils souhaitent continuer ou y réfléchir.
J’ai comme l’impression que plusieurs répondraient:
«Docteur, si vous pouviez me maintenir dans cet état de bien-être, je suis prêt à continuer à vivre. Encore un peu. »
Car on se doute bien que ce que recherchent les personnes qui optent pour l’AMM, c’est d’abord et avant tout, de mettre fin à la souffrance, au désarroi et au non-sens.
Je suis convaincu que les personnes qui optent pour la mort assistée doivent jongler avec ces questions existentielles:
D’où est-ce que je viens?
Que fais-je ici-bas?
Pourquoi suis-je ici?
À quoi tout cela sert-il?
Pourquoi continuer?
Bizarrement, il me vient alors comme un vertige quand je pense à tout cela.
Quand je regarde le soleil se coucher à l’horizon, quand j’observe les milliers d’étoiles scintiller dans le ciel, quand j’observe l’immensité de l’univers, je me sens comme un grain de poussière, un infime grain de poussière.
Me vient alors cette anecdote du pape Jean-Paul II recevant Stephen Hawking au Vatican:
«Nous sommes bien d’accord, monsieur l’astrophysicien… ce qui est après le Big Bang, c’est pour vous; et ce qu’il y a avant, c’est pour nous… »
J’ai alors comme un doute. Un doute troublant.
Roger Ladouceur md
Addendum.
En marge de ce texte, voici quelques articles qui pourront alimenter vos réflexions.
- Serge Daneault, Ultimate journey of the terminally ill – Ways and pathways of hope / Le dernier parcours du patient en phase terminale -Cultiver l’espoir, Le Médecin de famille canadien, Vol 62, août 2016.
- Quebecers no longer seeing doctor-assisted deaths as exceptional, says oversight body, CBC, 15 août 2023.
1. Pourquoi l’aide médicale à mourir est-elle si répandue au Québec?, Radio-Canada, 4 décembre 2023
2. Plus de 7 % des décès découlent de l’aide médicale à mourir au Québec, Radio-Canada, 16 février 2023