https://www.jim.fr/e-docs/00/02/BF/B8/carac_photo_1.jpg Publié le 31/10/2019

Il est connu qu’une vitesse de marche réduite est une caractéristique du grand âge. Elle est associée à une moindre capacité de récupération, aux maladies liées à l’âge (dont les maladies cardiovasculaires et les démences) et à une mortalité précoce. Elle est souvent mesurée en milieu gériatrique car c’est un moyen simple, rapide et fiable d’estimer la capacité fonctionnelle d’un sujet âgé.

Interviennent, en effet, dans la vitesse de marche, non seulement des phénomènes musculosquelettiques mais aussi neurologiques centraux. Par contre, peu de travaux ont été consacrés à l’importance de la mesure de la vitesse de marche à l’âge moyen de la vie chez des individus en bonne santé.

L. Hartmann Rasmussen et ses collaborateurs ont voulu tester 2 hypothèses. La première est qu’un ralentissement de la vitesse de marche dès l’âge adulte est le reflet précoce d’un vieillissement biologique accéléré. La seconde est qu’elle peut être associée à une altération des fonctions neurocognitives à l’âge adulte, voire à la présence de dysfonctions notées dès la première enfance.

Dans ce but, ils ont recueilli des données issues de la Dunadin Multidisciplinary Health and Developpement Study qui est une cohorte suivant l’évolution longitudinale, au plan santé et comportemental, de tous les individus nés entre avril 1972 et mars 1973 à Dunedin (Nouvelle-Zélande). Cette cohorte était bien représentative sur le plan socio-économique de la population néozélandaise étudiée et 93 % des participants étaient Blancs. Ils furent suivis par des enquêtes et des examens tout au long de leur vie et la dernière fois en avril 2019, à l’âge de 45 ans, date à laquelle 94,1 % d’entre eux étaient encore en vie. A cette date, la vitesse de marche, en mètres/seconde, a été mesurée par un système électronique sur une distance de 6 mètres.

Ont été quantifiées la vitesse de marche habituelle, mais aussi celle quand une autre tâche était effectuée (par exemple, la lecture de l’alphabet à voix haute), ainsi que la vitesse de marche rapide maximale. Trois mesures étaient, à chaque fois, effectuées. Dans le même temps, a été appréciée la fonction physique (capacité de réalisation de certaines activités quotidiennes de base et limitations physiques autorapportées par l’intervenant) et furent également mesurés 19 biomarqueurs, en rapport avec le vieillissement biologique, ainsi que l’âge facial, à l’aide de photographies standardisées. Une imagerie cérébrale par résonance magnétique fut, de plus, effectuée, permettant d’estimer le volume cérébral total, l’épaisseur et la surface corticale, le nombre d’hyperdensités de la substance blanche.

La fonction neurocognitive a, pour sa part, été quantifiée par le test Wechsler Adult Intelligence Scale IV, avec calcul du QI global. Ce test a été complété par l’appréciation de la vitesse de réalisation, de la mémoire de travail, du raisonnement perceptuel et de la compréhension verbale. Dans le passé, à l’âge de 3 ans, les enfants avaient eu un examen de 45 minutes par un neuropédiatre, qui avait permis d’élaborer un index composite de santé cérébrale. Puis ils avaient été suivis ultérieurement, permettant de déceler un éventuel déclin cognitif se manifestant entre l’enfance et l’âge adulte.

Près de 1 000 sujets âgés de 45 ans

Sur les 1 037 participants, dont 51,6 % d’hommes, 997 étaient encore en vie à l’âge de 45 ans. 904 (90,7 %) eurent eu une étude de leur vitesse de marche. Celle-ci a été, en moyenne (SD) de 1,30 (0,17) m/s en marche normale, de 1,16 (0,23) m/s en effectuant une tâche et de 1,99 (0,29) m/s en vitesse maximale, soit une vitesse moyenne composite de 1,45 (0,19) m/s. Les adultes qui avaient signalé une limitation de leurs capacités quotidiennes avaient une vitesse de marche plus réduite (intervalle de confiance à 95 % [IC95] de -0,34 à -0,21 ; p < 0,001). Il en fut de même pour ceux ayant une force de préhension plus faible (IC95 de 0,25 à 0,46), un moins bon équilibre (IC95 de 0,29 à 0,34), une coordination viséo motrice altérée (IC95 de 0,17à 0,30) et de moins bons résultats au test de lever de chaise (IC95 de 0,27 à 0,40), toutes ces différences étant très significatives.

La vitesse de marche a été notée plus réduite chez les adultes d’âge moyen qui présentaient des signes de déclin cérébral accéléré. Elle a été trouvée associée à un vieillissement plus rapide (IC95 de – 0,40 à -0,27 ; p < 0,001). Ainsi, les participants avec la vitesse de marche la plus réduite avaient une différence d’âge apparente de 5 ans de plus, comparativement à ceux avec la vitesse de marche la plus rapide. De même, l’aspect de leur visage, sur des photographies comparatives, paraissait plus vieux (IC95 de -0,3 à -0,18 ; p < 0,001).

Selon les données IRM, à un âge moyen de 45 ans, un ralentissement de la marche a été également corrélé à un volume cérébral plus petit (β = 0,15 ; IC95 de 0,006 à 0,23 ; p < 0,001) , à une épaisseur corticale plus faible (β = 0,09 ; IC95 de 0,02 à 0,16 ; p = 0,01), à une surface cérébrale totale moindre (β = 0,13 IC95 de 0,04 à 0,21 ; p = 0,003) et à un plus grand volume d’hypersignaux de la substance blanche (β = -0,09 ; IC95 de -0,15 à -0,02 ; p = 0,01).

Or, tous ces éléments sont connus pour être associés à la fonction cognitive et au QI. De fait, les patients avec le QI le plus bas à l’âge de 45 ans, voyaient aussi leur vitesse de marche réduite (β = 0,38 ; IC95 de 0,32 à 0,44 ; p < 0,001) ; une association similaire fut décelée dans les différents domaines socio psychologiques explorés. En outre, les participants chez qui, dès l’âge de 3 ans, avait été décelé une défaillance de leurs fonctions neuro cognitives, présentaient également, à l’âge adulte, un ralentissement de leur marche (β 0,26 ; IC95 de 0,20 à 0,32 ; p < 0,001).

Toutes ces associations se maintinrent après prise en compte du niveau socioéconomique des participants.

Une corrélation avec différents indicateurs physiques et biologiques marqueurs de vieillissement

Dans la pratique, la mesure de la vitesse de marche sert principalement à monitorer la capacité fonctionnelle des personnes âgées et à anticiper le déclin lié à l’âge. Ce travail révèle que cette mesure est aussi utile à l’âge médian de la vie car elle est bien corrélée à plusieurs indicateurs physiques et biologiques marqueurs du vieillissement et à des possibles dysfonctionnements apparus très tôt dans la vie, constatés dès l’âge de 3 ans.

Une moindre vitesse de marche est aussi associée à un mauvais état physique et à de multiples signes traduisant une atteinte des structures cérébrales, dont notamment une augmentation de volume des hyperdensités de la substance blanche. Enfin, la vitesse de marche est aussi associée aux fonctions neurocognitives, une différence de QI s’établissant à 16 points entre les marcheurs les plus rapides et ceux les plus lents.

La mesure de la vitesse de marche est donc un marqueur utile, peu onéreux, non dangereux et aisément reproductible pour identifier les groupes à risque de détérioration dès l’âge de 40-45 ans. Une des réserves de ce travail tient à l’absence de mesure de la vitesse et d’IRM avant 45 ans. Il a, à l’inverse, permis de suivre d’éventuels changements depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte.

En conclusion, la vitesse de marche n’est pas simplement un index permettant l’appréciation du déclin fonctionnel chez les sujets âgés. C’est aussi une mesure utile, vie durant, ayant de possibles relations avec des atteintes du système nerveux central observables dès la jeune enfance et bien corrélée avec le degré de vieillissement précoce retrouvé à l’âge moyen de la vie.

Dr Pierre Margent

RÉFÉRENCE : Hartmann Rasmussen LJ et coll. : Association of Neurocognitive and Physical Function with Gait Speed in Midlife. JAMA Network Open. 2019 ; 2 (10) : e19 13 123.

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