Dr Martin Juneau, M.D., FRCPCardiologue et Directeur de la prévention, Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l’Université de Montréal.
10 octobre 2017
L’inactivité physique et la mauvaise alimentation sont devenues des enjeux de santé publique majeurs puisque, combinées, ces deux mauvaises habitudes de vie sont la deuxième cause réelle de mortalité après le tabagisme aux États-Unis. L’inactivité physique est aussi associée à un risque accru de développer ou d’aggraver des maladies chroniques telles que l’insuffisance cardiaque, les maladies cardiovasculaires, l’accident vasculaire cérébral, le diabète de type 2, l’hypertension, certains cancers et l’ostéoporose. Au Canada, 76 % des hommes adultes et 79 % des femmes adultes ne font pas le minimum d’activité physique recommandé par l’Organisation mondiale de la Santé, soit 150 minutes/semaine, et les adultes canadiens passent en moyenne 9 heures et 48 minutes de leur période d’éveil à faire des activités sédentaires. Les travaux de recherche récents sur l’activité physique suggèrent qu’il n’est plus suffisant de suivre les recommandations minimales des organismes de santé publique pour réduire au minimum le risque de maladie cardiovasculaire. L’inactivité physique et le comportement sédentaire ont chacun des effets sur la santé qui leur sont propres et qui doivent être abordés séparément si l’on veut mieux comprendre leurs mécanismes distincts.
Selon une revue systématique et une méta-analyse portant sur 16 études prospectives et 2 études transversales auprès de 794 577 participants, les personnes très sédentaires avaient un risque 112 % plus élevé de souffrir du diabète que les personnes peu sédentaires, un risque 147 % plus élevé d’événement cardiovasculaire, un risque 90 % plus élevé de mortalité due à une maladie cardiovasculaire et un risque 49 % plus élevé de mortalité, toutes causes confondues. Une autre étude sur les comportements sédentaires (conduite automobile et regarder la télévision) a été réalisée aux États-Unis de 1989 à 2003 auprès de 7744 hommes âgés de 20 à 89 ans et qui n’avaient aucun antécédent de maladie cardiovasculaire. Les participants qui ont déclaré conduire leur voiture plus de 10 h/semaine, ou s’adonner aux deux comportements sédentaires (conduire et regarder la télévision) plus de 23 h/semaine, avaient un risque 82 % et 64 % plus élevé de mourir d’une maladie cardiovasculaire que ceux qui ont déclaré conduire moins de 4 h/semaine ou conduire et regarder la télévision moins 11 h/semaine, respectivement. Les participants qui étaient physiquement actifs (au travail et dans les loisirs), mais qui avaient autrement un comportement sédentaire, était moins à risque de mourir d’une maladie cardiovasculaire que ceux qui étaient à la fois sédentaires et inactifs physiquement. De plus, avoir une tension artérielle normale, un poids normal et être plus âgé étaient associés à un risque moindre de mortalité due à une maladie cardiovasculaire.
« L’activité physique » a été définie comme n’importe quel mouvement corporel produit par les muscles squelettiques qui requièrent une dépense d’énergie et « l’exercice » comme une sous-catégorie de l’activité physique. L’exercice implique un comportement structuré et répété dans le but de maintenir ou d’améliorer la forme physique. Une méthode qui permet d’estimer plus précisément l’intensité d’une activité physique consiste à appliquer la méthode de l’équivalent métabolique (Metabolic Equivalent of Task, MET). Une unité de MET correspond à l’énergie dépensée au repos. L’activité physique peut donc être considérée de faible intensité (<3 METs), d’intensité moyenne (3-6 METs) et de forte intensité (>6 METs). Définir ce qu’est un « comportement sédentaire » ou « l’inactivité physique » est plus difficile et tous ne s’entendent pas sur leurs définitions. La mesure objective de l’activité physique, en utilisant un moniteur d’activité physique de type accéléromètre par exemple, permet de mieux évaluer les comportements sédentaires qu’avec les données obtenues par questionnaires. L’accélérométrie permet aux chercheurs d’enregistrer quotidiennement le temps que les participants consacrent à des activités de tous les niveaux d’intensité : sédentaire, léger, modéré et intense. Pour illustrer l’utilité de cette technique, Pate et al. présentent les cas de deux personnes qui ont des profils d’activité très différents. Le sujet A pourrait être considéré comme une personne sédentaire dans plusieurs études puisqu’il ne pratique pas d’activité physique modérée ou intense pendant au moins 30 minutes par jour. Cependant, si l’analyse des données d’accélérométrie montre que cette personne était sédentaire pendant 25 % de la journée, elle menait des activités de faible intensité pendant environ 75 % de cette journée. Le sujet B pourrait être considéré comme une personne active dans la plupart des études, car il fait durant la journée une activité physique d’intensité moyenne à intense durant 1 heure. Les données de l’accéléromètre montrent toutefois que le sujet B passe la majeure partie de la journée (70 %) dans la sédentarité (assis sur une chaise par exemple) ou qu’il se livre à des activités physiques de faible intensité (23 %). Au total le sujet A, considéré « inactif » selon des critères classiques, a dépensé plus d’énergie (26,3 MET) que le sujet B considéré « actif » (23,6 MET).
Une étude sur les comportements sédentaires des Américains âgés de 45 ans et plus a montré qu’une large proportion du temps d’occupation sédentaire total est cumulée sur de longues périodes ininterrompues. Les participants à cette étude passaient en moyenne plus de 11 heures de leur journée dans la sédentarité et tout près de la moitié de ce temps sédentaire était cumulé sur des périodes de 30 minutes ou plus. Les périodes de sédentarité de plus de 20, 30, 60 et 90 minutes représentaient 60 %, 48 %, 26 % et 14 % du temps total de sédentarité, respectivement. Plusieurs facteurs incluant l’âge avancé, le sexe masculin, l’obésité, la saison hivernale et de faibles niveaux d’exercice physique étaient associés à des comportements sédentaires prolongés. Des études menées en laboratoire ont montré que de longues périodes de sédentarité ininterrompues ont des effets cardiométaboliques, suggérant que ce n’est pas seulement le temps total de sédentarité qui est important pour le risque de maladie cardiovasculaire, mais aussi de quelle manière ce temps est cumulé. Les données d’une étude épidémiologique semblent confirmer cette hypothèse puisque les adultes dont la sédentarité s’étendait sur de longues périodes ininterrompues avaient un profil cardiométabolique moins favorable (tour de taille plus grand, taux de HDL-choléstérol moins élevé et autres marqueurs) comparé à celui des personnes qui interrompent leurs périodes de sédentarité, indépendamment de la durée totale de sédentarité. Une étude récente réalisée auprès de 7985 personnes âgées de 45 ans ou plus indique que le risque de mortalité augmente non seulement avec le nombre d’heures de sédentarité, mais aussi avec la durée de chacune des périodes de sédentarité ininterrompues. Les personnes à la fois très sédentaires (≥12,5 h par jour) et durant de longues périodes ininterrompues (≥ 10 min/période) avaient le risque de mortalité le plus élevé.
Passer de longues périodes de temps en position assise est très répandu dans nos sociétés modernes et cela ne pourra qu’augmenter avec les innovations technologiques et sociales à venir. En plus de promouvoir la pratique d’exercices physiques réguliers, les organismes de santé publique devront probablement aussi inclure dans leurs directives la diminution du temps sédentaire et souligner l’importance de prendre des pauses « actives ». Il est important de noter que faire des pauses ne veut pas dire nécessairement faire de l’exercice, mais peut consister par exemple à marcher pendant une minute, aller boire un verre d’eau ou faire une petite tâche ménagère pour ceux qui travaillent à la maison. Ce n’est pas plus difficile que cela !