Publié le 10/06/2021

Paris, le jeudi 10 juin 2021 – Aux premières heures des confinements stricts et des fermetures des frontières au printemps 2020, beaucoup se sont intéressés à l’impact de ces mesures sur l’activité des trafiquants de drogue.

Si ces activités illicites ont inévitablement été perturbées, elles ont rapidement su se réorganiser.

C’est ce que signale le rapport annuel de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA). Ainsi, sans surprise, les trafiquants ont su faire preuve d’une grande adaptation pour répondre aux difficultés d’approvisionnement, en privilégiant par exemple les envois maritimes cachés dans des conteneurs.

Les drogues de la fête s’effacent, celles de l’angoisse explosent

Cependant, concernant le type de produits consommés, la crise sanitaire semble avoir entraîné un recul de certaines drogues plus souvent associées au contexte récréatif, comme la MDMA.

Parallèlement, on constate une inquiétante progression des usages détournés de benzodiazépines ou d’anxiolytiques, qui pourrait être à la fois la conséquence de l’augmentation des troubles de santé mentale et la réorientation vers des produits plus faciles à trouver.

Cette évolution des types de substance fait écho à celle des profils des consommateurs : les utilisateurs ponctuels semblent connaître un recul de leur consommation, quand chez les usagers réguliers, elle s’accroit.

Indémodables cannabis et cocaïne

Au-delà de ces tendances, le paysage de la consommation de drogues en Europe en 2020 est toujours marqué par une prédominance du cannabis.

Le rapport signale qu’elle reste la première drogue utilisée avec plus de 22 millions de consommateurs.

L’Observatoire met par ailleurs l’accent sur l’augmentation de la teneur moyenne en THC, qui a quasiment doublé par rapport à il y a dix ans.

Alexis Goosdeel, directeur de l’EMCDDA signale également l’utilisation croissante de cannabinoïdes de synthèse ou encore la vente de liquides pour e-cigarettes contenant 95 % de THC.

Autre constante du panorama : la cocaïne est de plus en plus présente, avec chaque année de nouveaux records de saisie.

Cette tendance favorise la progression de la consommation de crack, dont les conséquences en termes de santé publique et de sécurité alertent de nombreuses capitales d’Europe dont Paris.

Snapchat : nouveau point de deal ?

Si le contexte épidémique n’a donc pas radicalement modifié l’état des lieux, l’EMCDDA insiste cependant sur l’accélération de ce que l’on appelle « l’ubérisation » du trafic de drogue.

Il s’agit du recours de plus en plus massif aux nouveaux modes de communication par les dealers et leurs clients.

Le phénomène en réalité n’est pas nouveau et avait déjà été épinglé en 2019 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies.

Cependant, il est vrai que ces derniers mois ont vu se multiplier les affaires impliquant le recours aux réseaux sociaux et notamment Snapchat et WhatsApp.

Il y a moins d’un mois, le ministre de l’Intérieur a même ouvertement incité les responsables du premier réseau à accroître leur vigilance.

Evan Spiegel PDG de Snapchat avait assuré dans les colonnes de l’Obs :

« Nous avons toujours pris très au sérieux la sécurité de notre communauté.

Nous investissons beaucoup, et depuis très longtemps, sur la surveillance de tous les échanges sur la plateforme concernant le trafic de drogues.

Et nous travaillons déjà avec les autorités locales et avec des ONG pour repérer et arrêter les dealers »,

Mais avait rappelé la difficulté de la tâche : 

« Il faut constamment faire évoluer les outils de détection parce que sont sans cesse inventés de nouveaux mots pour parler de drogues en se cachant des autorités.

C’est pour cela que nous travaillons avec la police, pour être très rapides dans notre adaptation, pour mieux les détecter et les retirer de la plateforme.

C’est un enjeu très important pour nous et nous y travaillons beaucoup ».

L’ubérisation transformation du trafic, ou simple prolongement ?

Si les autorités se montrent si inquiètes de ce qui est parfois appelé l’Uber shit, c’est en raison de la difficulté accrue de traquer les deals.

Le risque que de nouvelles personnes soient entraînées vers la vente de produits stupéfiants dans un contexte économique difficile est également évoqué.

Cependant, tous ne partagent pas cette perception et contestent la pertinence de cette focalisation sur cette ubérisation.

Ainsi, dans une tribune publiée sur le site The Conversation, Sonny Perseil, directeur de recherche en sciences politiques et sciences de la gestion (CNAM) remarque :

« Le fait que les réseaux sociaux favorisent la discrétion et la banalisation des transactions du commerce de drogues est-il problématique (…).

Un premier constat, tout d’abord, relatif à la répression des trafics : comme en témoignent » de multiples affaires médiatisées « l’utilisation des réseaux sociaux n’offre aucunement l’impunité aux dealers, et quelles que soient les techniques utilisées, le risque de se faire prendre perdure.

Des facilités supplémentaires sont même parfois offertes aux forces de l’ordre, qui, sous certaines conditions, peuvent se faire passer pour des acheteurs, beaucoup plus facilement que dans la rue.

Est-ce que, par ailleurs, ce type de méthodes assèche les trafics plus traditionnels de ce que l’on appelle parfois « les supermarchés de la drogue », ces lieux de deal quasiment institutionnalisés, parfois connus de la police depuis longtemps, comme nous le montrions déjà dans une enquête publiée en 2003 ?

Apparemment pas : aucune étude ne démontre un recul du nombre de points de deal du fait de la sollicitation de ces nouvelles technologies, ni d’ailleurs de lien avec une éventuelle augmentation de la consommation de stupéfiants », constate-t-il.

Il remarque encore que « Selon l’OFDT (septembre 2020) », ces trafics reposant sur les réseaux sociaux sont « l’expression de l’adaptation de filières traditionnelles aux réalités de la demande dans les grandes métropoles et de la volonté de développer des pratiques moins visibles ».

Et si c’était mieux ?

D’un point de vue des nuisances liées au trafic de drogue, Sonny Perseil observe encore :

« L’utilisation des réseaux sociaux paraît présenter des avantages notables pour l’ensemble de la société.

Tout d’abord, ils permettent effectivement d’éviter les transactions dans la rue, risquées non seulement pour le trafiquant, mais surtout pour l’usager, qui peut parfois être confronté à des groupes criminels armés et se retrouver mêlé à des violences, voire des rixes.

Du point de vue de la consommation, on remarque aussi, sur les réseaux sociaux, que les ventes s’accompagnent parfois d’informations (certes non contrôlées) sur la nature des produits, ce qui n’est pas le cas à l’extérieur. Surtout, ces procédés permettent d’éviter les nuisances faites aux riverains et aux habitants des zones concernées par les trafics les plus denses » analyse-t-il.

S’il est peu probable que ces considérations amènent le ministre de l’Intérieur à nuancer son discours, elles permettent cependant de rappeler l’importance de ne pas laisser la réflexion parasitée par des phénomènes qui s’ils sont médiatiquement frappants ne sont peut-être pas nécessairement pertinents d’un point de vue médical et social.

Aurélie Haroche

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