Publié le 30/06/2018
Paris, le samedi 30 juin 2018 – Faute de traitements et plus encore de guérison, un grand nombre de patients sont juste à la recherche d’un « nom ». Pouvoir « mettre un nom » sur un ensemble de symptômes est une expression récurrente qui dit la douleur supplémentaire d’être orphelin de dénomination, de ne pouvoir pas même se ranger dans une catégorie. Cette quête suscite un tel espoir que l’on peut revoir à l’aune de ce prisme certaines des dérives fréquemment constatées chez des patients convaincus d’être atteints d’une maladie que leur tableau clinique pourtant permet quasiment certainement d’écarter.
Si « nommer » est si essentiel pour certains, ils pourraient jusqu’à oublier que « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ». Accoler à un phénomène une terminologie à laquelle il ne répond pas tout à fait n’est ainsi pas sans danger et pas uniquement en raison d’un objectif général de clarté et de précision.
Une expression qui fait recette
Dans les médias, la bouche de nombreux parents et même les propos de professionnels de santé, l’expression « addiction aux jeux vidéo » connaît un succès non démenti au fil des années. Il faut dire que le terme « addiction » n’est pas loin d’être galvaudée, puisque que du sucre à l’héroïne, du sport à internet on utilise le même mot pour des substances et des comportements pourtant différents en de multiples aspects. Si un très grand nombre de sociétés savantes, de l’Académie de médecine française à l’Académie des sciences en passant par l’American Medical Association ou l’American Psychiatric Association ont régulièrement refusé de reconnaître l’existence d’une « addiction » aux jeux vidéo, cela n’a pas empêché certains spécialistes de continuer à utiliser ce terme.
Enfin, en ce début d’été, présentant une nouvelle version de sa Classification internationale des maladies, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a choisi de reconnaître l’addiction aux jeux vidéo en appliquant cette définition : « Le trouble du jeu est caractérisé par un comportement de jeu persistant ou récurrent (« jeu numérique » ou « jeu vidéo »), qui peut être en ligne (sur Internet) ou hors ligne, se manifestant par: 1) une altération du contrôle des jeux (par exemple, apparition, fréquence, intensité, durée, fin, contexte); 2) accorder une priorité accrue au jeu dans la mesure où le jeu prime sur les autres intérêts de la vie et les activités quotidiennes; et 3) la poursuite ou l’escalade du jeu malgré l’occurrence de conséquences négatives. Le comportement est d’une sévérité suffisante pour entraîner une déficience significative dans les domaines de fonctionnement personnels, familiaux, sociaux, éducatifs, professionnels ou autres. Le modèle de comportement de jeu peut être continu ou épisodique et récurrent. Le comportement de jeu et d’autres caractéristiques sont normalement évidents sur une période d’au moins 12 mois pour qu’un diagnostic soit attribué, bien que la durée requise puisse être raccourcie si toutes les conditions diagnostiques sont remplies et les symptômes sont sévères ».
Pas de syndrome de sevrage
Cette définition (un peu « jargoneuse ») signale une acception particulière du mot « addiction » comme le relève dans les pages blogs du Huffington Post le psychiatre Serge Tisseron : « Si cette pathologie rentre dans le cadre des addictions, elle ne répond donc pas à la même définition que l’addiction à l’alcool ou au tabac. Il s’agit en effet de ce qu’on appelle une addiction « comportementale ». La différence principale avec les addictions liées aux substances toxiques consiste dans le fait que le buveur doit s’arrêter définitivement de boire et le fumeur de fumer au risque de rechuter, alors que la guérison de l’addiction aux jeux vidéo n’implique pas un sevrage total, mais la capacité de renouer avec un usage modéré considéré comme normal » remarque-t-il. Il y a quelques mois, revenant déjà sur les problèmes posés par l’utilisation de ce terme, il notait : « Plusieurs études ont en outre montré qu’il n’existe aucune corrélation entre le fait de jouer beaucoup au jeu vidéo à l’adolescence et le fait d’y jouer à l’âge adulte ».
Un concept trop flou
Si en dépit de ces limites, le mot addiction a pu être retenu par l’OMS, c’est sans doute parce que ce concept « au sens scientifique du terme, présente la lourde faiblesse d’être très particulièrement difficile à définir comme le notent les médecins Valleur et Velea (voir « Les addictions sans drogue(s) « , Revue Toxibase, juin 2002). Très large, englobant des pratiques et des mécanismes biologiques et psychologiques très divers et surtout en constante évolution, ce concept ne présente pas vraiment les limites précises que l’on serait en droit d’attendre d’une notion scientifique et médicale » observait il y a quelques temps sur son blog le sociologue Edward Cage. Ce dernier constatait par ailleurs que même si l’on s’en tient à une définition du terme « addiction » tel qu’il est utilisé dans le langage courant, son application aux jeu vidéo n’est pas non plus idéale. « Si l’on s’intéresse en revanche à l’addiction telle qu’on l’entend dans le langage courant, c’est un peu plus simple : il s’agira tout simplement de l’idée d’un objet, produit ou comportement procurant une forme de plaisir telle que l’individu ne pourra s’empêcher de consommer de plus en plus. (…) Cette idée d’une « addiction au Jeu vidéo » est ainsi celle selon laquelle jouer à des jeux vidéo à une fréquence et sur une durée trop importante pousserait le joueur à jouer encore plus. Cette pratique amènerait ainsi les trop gros joueurs à passer tout leur temps à jouer jusqu’à, dans les pires cas, rompre avec la réalité (…). Mais il y a un petit souci dans cette idée d' »addiction au Jeu vidéo » : c’est que, contrairement aux produits habituellement considérés comme addictifs et notamment les drogues dures, ce média ne peut avoir aucun effet direct sur le cerveau humain. Un jeu vidéo présente des situations fictives qui n’ont un effet sur le joueur qu’à travers ses émotions et la manière dont il interprète ces situations » signalait Edward Cage.
Une médicamentation possible et potentiellement discutable
Ce qui pourrait n’être qu’un débat sémantique supplémentaire, ne passionnant que les dignes héritiers d’un Boileau, pourrait en réalité avoir des conséquences sur les premiers concernés, les adolescents et les jeunes adultes suspectés d’être « addicts » aux jeux vidéo. Inquiet, le docteur Serge Tisseron énumère ces inconvénients : « L’ambition se veut humaniste. Grâce à cette reconnaissance officielle, les personnes qui estimeront souffrir d’une telle pathologie pourront bénéficier de psychothérapie, tout au moins dans les pays où cette offre existe, d’examens spécialisés comme l’électroencéphalogramme et l’I.R.M. cérébrale, qui permettront de faire progresser la recherche. En revanche, il est à craindre, au niveau planétaire, l’apparition de chimiothérapies aux effets discutables, notamment chez les adolescents. De tels traitements seront en effet d’autant plus prescrits que la création d’une « addiction aux jeux vidéo », largement relayées par les médias risque de provoquer un affolement des parents et de susciter une vague de consultation ! Le danger est alors évidemment que des médecins généralistes débordés ne soient tentés de répondre aux angoisses des parents par diverses formes de prescription médicale. Et que pourraient-ils en effet faire d’autre ? » constate dans un premier temps le praticien.
Prise en charge virtuelle
Ce dernier redoute également que la reconnaissance officielle de l’addiction aux jeux vidéo conduise à occulter davantage les troubles réels qui souvent sous-tendent un recours compulsif aux jeux. « Il serait dommage que le qualificatif « addiction aux jeux vidéo » fasse oublier qu’un tel symptôme (…) trouve en général son origine dans un problème que la personne ne parvient pas à surmonter. Un grand nombre d’études menées au cours des deux dernières décennies suggèrent en effet que des problèmes d’usage des mobiles peuvent survenir comme une sorte d’automédication lorsque les enfants utilisent les technologies numériques pour échapper à des situations réelles difficiles. Par exemple, si un enfant se sent triste ou stressé, il est tenté de se connecter, pour échapper à cette tristesse ou à ce stress, à une application qui offre immersion et distraction, comme un jeu vidéo en ligne. Les conséquences sont à la fois positives (l’enfant se sent temporairement mieux) et négatives (la ¬véritable cause n’est pas forcément traitée).
À long terme, le comportement d’adaptation peut devenir habituel, sauf si le problème sous-jacent est résolu. La cause de l’addiction se trouve dans le jeu vidéo, mais son origine est dans la difficulté jugée insurmontable qui a conduit le joueur à fuir dans les mondes numériques. L’essentiel est de s’attaquer aux problèmes sous-jacents susceptibles d’engendrer une implication nuisible dans le numérique afin de parvenir à surmonter ce comportement problématique. À l’inverse, une réduction contrainte du temps d’écran ne¬ constituerait qu’une intervention superficielle qui a peu de¬ chances d’atteindre son objectif » analyse-t-il. Et à ceux qui lui rétorqueraient que l’on retrouve des mécanismes similaires dans d’autres « addictions » il faisait déjà remarquer il y a quelques mois : « Les psychothérapeutes savent bien que lorsqu’une personne a sombré dans l’alcoolisme après une déception affective, son alcoolisme n’est pas guéri pour autant lorsqu’elle retrouve un nouveau partenaire. Alors qu’il est au contraire bien habituel que celui qui a sombré dans le jeu vidéo pathologique à la suite d’une déception affective cesse de jouer au moment où il trouve un nouveau partenaire ». Ainsi, le praticien juge-t-il que « les inconvénients de la création de cette nouvelle catégorie diagnostique l’emportent largement sur les avantages ».
Une condamnation morale plus qu’une vraie maladie ?
L’ensemble des spécialistes ne partage pas cette appréhension du docteur Tisseron. Pour France TV Info, le docteur Geneviève Lafaye, psychiatre et addictologue, se félicitait ainsi : « Cette reconnaissance du trouble correspond à une réalité clinique et ce sont des demandes de soins qui sont croissantes ». Plus nuancé, le psychologue Michaël Stora, fondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH) estime sur le site Atlantico : « La décision de l’OMS est importante car elle ne fait qu’éviter un déni (…). Cette décision de l’OMS même si elle est loin d’être parfaite va permettre aux services en addictologie (…) de faire des recherches un peu plus précises ».
Néanmoins, le spécialiste considère que ce choix n’est sans doute pas exempt d’un certain « jugement » moral vis-à-vis des jeux vidéo. « On n’a pas attendu l’OMS et ses récentes déclarations sur l’addiction possible aux jeu vidéo pour constater une vraie panique morale. A chaque fois qu’il y a de nouveaux usages, l’apparition de phénomènes nouveaux comme les jeux vidéo, la surreprésentation des écrans, il y a ce genre de réactions ». Cette dimension était également abordée par Edward Cage : « Il serait même légitime de se demander quelle part de ce mythe de l' »addiction vidéo-ludique » ne serait finalement construit chez ces professionnels qu’en réaction à un non-conformisme vu comme pathologique, comme dans le cas de l' »addiction à la pornographie » remise en question par le sociologue Florian Vörös ». Cette potentielle tentation moralisatrice s’inscrit par ailleurs dans une tendance marquée à la surmédicalisation de la vie. « Il faudrait de manière assez précise définir des critères concrets pour éviter une sur-pathologisation (…). Il y a effectivement un risque de pathologisation de situations qui ne le sont pas forcément. Si on considère les gens uniquement comme des malades on ne va pas forcément les aider » met ainsi en garde Michaël Stora.
Autant de réflexions qui permettent de se convaincre que décider la classification d’un « trouble » est loin d’être un jeu facile et que les conséquences sont loin d’être virtuelles, comme vous pourrez le constater en lisant les contributions de :
Serge Tisseron : https://www.huffingtonpost.fr/serge-tisseron/laddiction-aux-jeux-video-vient-detre-reconnue-par-loms-mais-elle-nest-pas-une-addiction-comme-les-autres_a_23463416/
https://www.huffingtonpost.fr/serge-tisseron/4-problemes-que-pose-la-reconnaissance-de-laddiction-aux-jeux-video-comme-maladie_a_23326375/
Edward Cage : http://www.edwardcage.pro/blog/addiction-aux-jeux-video-un-grave-abus-de-langage.html
et Michaël Stora : https://www.atlantico.fr/decryptage/pourquoi-decision-oms-classer-dependance-aux-jeux-videos-comme-trouble-sante-mentale-est-que-derniere-illustration-en-date-3434919.html
Aurélie Haroche
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Les jeux vidéo : une nouvelle drogue ou une menace virtuelle ?
Faut-il assimiler les jeux vidéo aux jeux de hasard ?
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PasseportSanté Actualités – Jeux vidéo : l’addiction reconnue comme maladie par l’OMS
Le 19 juin 2018.
L’addiction aux jeux vidéo est, depuis ce lundi 18 juin, considérée comme une maladie à part entière par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Les personnes qui en souffrent pourront donc bénéficier de soins.
Comment reconnaît-on une personne malade ?
Certaines personnes jouent tellement aux jeux vidéo qu’elles finissent par développer une véritable addiction. Ces comportements pourront désormais être considérées comme des « troubles du jeu vidéo », une maladie qu’on pourra accompagner de la même manière que l’addiction à la cocaïne ou aux jeux d’argent. Mais comment savoir si un joueur est malade ou simplement amateur ? À quel moment le jeu vidéo peut-il devenir dangereux ?
L’OMS a établi un certain nombre de critères qui permettent de dessiner les contours de cette maladie. Il faut que la personne qui joue ait « un comportement lié à la pratique des jeux vidéo ou des jeux numériques, qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables ».
Une addiction qui peut s’avérer grave
Ce comportement doit être observé sur une durée de 12 mois minimum. En clair, si une personne de votre entourage joue tellement que cela a des incidences sur sa vie sociale ou professionnelle ou si cette pratique met sa santé en danger (si elle dort peu ou saute des repas par exemple), alors elle peut et doit se faire suivre par un médecin. Il existe en effet quelques cas de décès de joueurs qui sont morts d’épuisement car ils ne s’étaient accordé aucune pause.
« Nous ne disons pas que toute habitude de jouer aux jeux vidéo est pathologique », a tenu à préciser le directeur du département de la Santé mentale et des toxicomanies de l’OMS, Shekhar Saxena. Selon lui, seule une « petite minorité » des 2,5 milliards de joueurs dans le monde souffre de cette maladie. Cependant il est important de savoir que certains comportements doivent alerter.
Marine Rondot
Lisez : L’addiction aux jeux vidéo