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Pr Elyse D Pine – AUTEURS ET DÉCLARATIONS  22 mars 2021

En consultation, un patient de 16 ans vous annonce : « Je crois que je suis transgenre ».  Que faites-vous ?

Que vous soyez endocrinologue, généraliste, pédiatre ou urgentiste, il est fort probable que votre cursus universitaire ne vous a pas suffisamment préparé à cette situation.

[En 2020, une enquête Medscape avait d’ailleurs montré que 58% des médecins français estimaient ne pas être assez formés pour prodiguer des soins aux patients transgenres.]

Dans une enquête américaine menée en 2015, 23 % des adultes transgenres disaient être réticents à demander des soins, par peur du regard peu respectueux voire maltraitant du soignant.

Près d’un tiers des personnes interrogées avaient précisé que leurs soignants ignoraient tout de leur dysphorie de genre.

Mais dans le cas présent, ce patient de 16 ans vous a fait suffisamment confiance pour s’ouvrir à vous et vous voulez l’aider à vivre sa vie en bonne santé et de la façon la plus satisfaisante possible.

Quelles sont les étapes à suivre ?

Définitions

En aout 2015, l’OMS a décrit le genre comme « les caractéristiques des femmes et des hommes résultant d’une construction sociale, par exemple les normes, les rôles et les relations entre les sexes.

Les attentes pour l’homme et la femme varient selon les cultures et peuvent évoluer avec le temps ».

Le terme médical dysphorie de genre est issu du DSM-V (Manuel de Diagnostic en Santé Mentale) : il décrit la détresse des personnes transidentitaires face à un sentiment d’inadéquation entre leur sexe assigné et leur identité de genre.

Il est contesté par les associations militantes et collectifs trans qui lui reprochent son caractère pathologisant.

La transidentité, pour sa part, se définit comme une différence entre l’identité de genre et le sexe d’assignation à la naissance.

Elle peut conduire les personnes concernées à effectuer un parcours de transition médical, social ou juridique. [Voir le Dossier spécial Transgenres]

Le langage est important

Tout d’abord, assurez-vous d’être respectueux dans votre terminologie.

Demandez au patient ses nom/prénoms, son pronom (il/lui, elle) et son identité de genre.

Par exemple : « Je suis le Dr Martin, et mon pronom est elle. Et vous, quel est votre pronom ? Comment décrivez-vous votre identité de genre ? »

Chaque personne peut souhaiter avoir une terminologie spécifique à sa propre expérience, donc permettre aux patients d’utiliser leur propre langage est la méthode la plus respectueuse.

Aujourd’hui, on peut s’identifier comme homme, femme, transfemme, transhomme, gender-fluid, non-binaire, non genré, neutre, pangenré, deux-esprits ou d’autres termes non listés ici…

Les médecins peuvent s’assurer que leurs documents ou leurs dossiers médicaux électroniques permettent de répondre aux besoins de leurs patients transgenres.

La bienveillance envers tous les patients, quelle que soit leur identité de genre, est de permettre d’utiliser le nom choisi par le patient ; d’ailleurs tout le monde n’utilise pas son nom légal au quotidien (p.ex. certains peuvent utiliser leur nom de jeune fille ou celui de leur ex-conjoint…)

Les logiciels médicaux devraient renseigner sur l’identité de genre et le sexe assigné à la naissance, permettre des options d’écriture pour les questions de genre et d’orientation sexuelle, et donner la possibilité d’une description anatomique.

Les questions à poser

On peut interroger les patients sur leur parcours en matière de genre : depuis combien de temps se sentent-ils ainsi ?

Comment en sont-ils venus à se comprendre eux-mêmes et à comprendre leur genre ?

Quand ont-ils commencé à parler de leur expérience aux autres ?

Avec les patients pédiatriques, il est important de savoir s’ils en ont discuté avec leurs parents et s’ils souhaitent avoir cette conversation ensemble, avec eux.

Demandez quelle aide le patient attend de vous.

Souhaite-t-il intégrer un parcours de soins ou seulement avoir des informations sur le sujet ?

Est-il rejeté par sa famille ou ses amis, victime de transphobie ?

La transition de genre

La transition comporte de nombreux éléments.

Elle peut consister principalement en une transition sociale, avec des personnes utilisant un nom, pronom et apparence différents (coiffure, vêtements…).

Elle peut avoir également une composante médicale.

En France, les personnes transidentitaires effectuent leurs parcours de transition soit auprès d’équipes hospitalières pluridisciplinaires de certains CHU, soit auprès de praticiens en ambulatoire.

En 2009, la Haute Autorité de Santé avait émis un rapport très controversé sur la prise en charge médicale des personnes transidentitaires en proposant que les parcours de transition s’articulant autour de centres de référence hospitaliers, selon le modèle déjà existant de la SoFECT (Société Française d’Étude et de prise en Charge de la Transidentité).

Des associations militantes ont dénoncé une vision pathologisante de la transidentité, une prise en charge lente et rigide au sein de ces équipes protocolaires et ont revendiqué le libre choix de leur parcours de soins.

Aujourd’hui, le médecin peut être à la fois un appui pour la mise en place des traitements hormonaux substitutifs dans le cadre d’une ALD, mais aussi dans le volet juridico-administratif.

Par ailleurs, depuis 2016, la procédure de changement d’état civil est démédicalisée pour toutes les personnes majeures ou mineures émancipées.

Proposer un accompagnement en santé mentale

Les soins de santé mentale constituent une composante importante de la transition de genre pour les enfants, adolescents, adultes mais aussi les membres de la famille.

Les problèmes de santé mentale sont en effet nettement plus importants chez les personnes transgenres et non-conformes, avec des taux majorés (par rapport à la population générale) de dépression, d’anxiété, d’idées suicidaires, d’automutilation, de toxicomanie, de troubles alimentaires et de troubles sur le spectre autistique.

Dans une étude portant sur plus de 6 400 personnes transgenres aux États-Unis, 41 % ont déclaré avoir déjà tenté de se suicider, un taux 25 fois supérieur à celui de la population générale.

De nombreuses études montrent que le traitement hormonal diminue la dépression, les idées suicidaires et l’anxiété, et améliore la qualité de vie.

41 % de stransgenres ont déclaré avoir déjà tenté de se suicider, un taux 25 fois supérieur à celui de la population générale.

Chez les plus jeunes, la chirurgie ne doit pas être mise en avant comme solution définitive au mal-être.

La principale intervention avant la puberté reste le soutien psychologique et la transition sociale.

Il a ainsi été montré que l’utilisation d’un nom choisi à l’école, à la maison, au travail et avec les amis était associée à une baisse de la dépression, des idées suicidaires et du comportement suicidaire.

Une autre étude a conclu que les enfants soutenus dans leur identité ont une santé mentale similaire à celle de leurs pairs et de leurs frères et sœurs cisgenres.

À l’approche de la puberté, s’il existe une détresse autour du développement pubertaire du sexe de naissance, les agonistes de la GnRH ou « bloqueurs de puberté » peuvent être utilisés pour interrompre temporairement le processus pubertaire, mais seulement lorsque le stade II-III de Tanner a été atteint.

Ces médicaments sont utilisés en toute sécurité depuis des décennies pour les patients souffrant de puberté précoce centrale.

L’accès à un médicament bloquant la puberté à l’adolescence (lorsqu’il est souhaité) a été associé à des taux plus faibles d’idées suicidaires à l’âge adulte et peut véritablement constituer une intervention salvatrice.

Lorsque les adolescents sont plus âgés, ils peuvent choisir de suivre une hormonothérapie d’affirmation du genre pour vivre la puberté qui correspond à leur genre affirmé.

L’accès aux soins médicaux et à l’hormonothérapie diminue la dépression, l’anxiété et la suicidalité et améliore la qualité de vie.

Sexualité et fertilité

Il est important de comprendre que la sexualité est distincte de l’identité de genre et que l’attirance et l’activité sexuelle ne peuvent être présumées.

Vous pouvez interroger votre patient sur ses antécédents (histoires/relations romantiques/sexuelles) pour pouvoir le conseiller sur les relations et les pratiques sexuelles sûres.

Il est important de ne pas faire de suppositions : par exemple un patient se considérant comme asexué peut continuer à avoir des rapports sexuels.

Un homme transgenre peut avoir des rapports vaginaux réceptifs et avoir besoin d’informations sur la contraception et le planning familial.

Il est important de ne pas faire de suppositions : un homme transgenre peut avoir des rapports vaginaux réceptifs et avoir besoin d’informations sur la contraception.

Faites également attention à ne pas utiliser un vocabulaire clinique.

Certaines personnes peuvent vouloir utiliser des termes anatomiques, mais d’autres peuvent être mal à l’aise par ces termes.

Demandez aux patients quels termes ils préfèrent utiliser.

Il est également important de tenir compte de l’impact des interventions médicales et chirurgicales sur la fertilité, en particulier lorsque vous abordez le sujet avec des enfants et des adolescents qui sont parfois mal informés. Veillez à ne pas faire de suppositions sur les projets de parentalité et rappelez-vous qu’il existe de nombreux chemins pour devenir parent.

De quoi le patient a-t-il besoin  »maintenant »?

Au cours d’un stage ambulatoire en pédopsychiatrie lorsque j’étais étudiante en médecine, j’ai reçu un enfant de 5 ans qui était très effrayé devant moi.

Assigné à un garçon à la naissance, il était très craintif, jusqu’à ce que sa mère lui dise :

« Ne t’inquiète pas, le Dr Elyse aime aussi les trucs de filles. »

L’enfant a été alors heureux de discuter avec moi… de ses poupées Barbie.

Ce patient avait, depuis la maternelle, souffert de moqueries sur sa non-conformité de genre.

Il ne savait pas si j’allais être une alliée ou une « bully ».

Sa mère voulait des réponses : son enfant deviendra-t-il un homme homosexuel ? Ou une femme transgenre ?

Son enfant pourra-t-il vivre librement ou sera-t-il toujours effrayé de ce que les autres pourraient dire ? Son enfant pourra-t-il vivre en sécurité ?

Nous ne pouvons pas prédire l’avenir, mais en tant que médecins, nous voulons utiliser nos connaissances et nos outils pour aider nos patients à vivre en bonne santé.

Dans ce cas, il s’agissait d’aider la mère à savoir comment soutenir l’identité de son enfant, comment s’assurer de sa sécurité à l’école et dans la communauté, comment entrer en contact avec d’autres enfants qui ont des questionnements de genre, et comment tolérer l’ambiguïté et célébrer l’enfant qu’elle a, et non pas l’enfant qu’elle attendait.

Nous savons que les personnes bénéficiant d’un meilleur soutien et d’une plus grande estime de soi peuvent avoir une plus grande résilience et mieux réussir dans la vie.

Cette famille aura peut-être besoin un jour de ressources médicales (bloqueurs de la puberté, hormonothérapie ou même chirurgie ?), mais ce qu’elle demandait vraiment à ce moment-là, c’était d’être rassurée.

Lorsque votre patient se présente à vous, il vous fait confiance. En tant que professionnel de la santé, c’est votre devoir et votre privilège de l’aider à se diriger vers une vie pour lui authentique.

LIENS

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Citer cet article: « Je crois que je suis transgenre» : la place des médecins dans le parcours de soins – Medscape – 22 mars 2021.