C’EST LA VIE  – 24/06/2018

Je n’aurais jamais cru que j’accepterais un jour qu’on me mette non seulement le caca de quelqu’un d’autre dans le corps, mais qu’en plus j’accueillerais cette perspective avec enthousiasme.

Par Tracy Tuft, HuffPost US

Comme la plupart des gens, cette seule idée m’aurait révulsée. Mais quand on est en danger de mort, on ne fait pas la difficile…

Tout a commencé en mai 2011, quand j’ai dû prendre des antibiotiques pour soigner une infection dentaire. J’étais sous immunosuppresseurs pour ma sclérose en plaques, ce qui me rendait vulnérable aux infections. Je n’avais jamais entendu parler de la clostridium difficile ou C.diff, une bactérie potentiellement mortelle, et je ne savais pas que je risquais davantage de l’attraper en étant sous antibiotiques. Je croyais justement que ce traitement me mettait à l’abri des infections bactériennes. Si j’avais su…

J’ai pris de la clindamycine pendant sept jours pour mon infection dentaire. Quelques semaines plus tard, j’ai commencé à manifester d’étranges symptômes intestinaux. Le premier et le plus inquiétant a été de me réveiller à 4h du matin en ayant l’impression de devoir aller à la selle. Quand je me suis assise sur les toilettes, j’ai cru que j’allais avoir la diarrhée et vomir, mais rien n’est venu. J’avais affreusement mal dans le rectum et tout autour: c’était pire que tout ce que j’avais pu vivre, même quand j’avais eu des fissures anales et des hémorroïdes. Le lendemain, la douleur s’est calmée jusqu’en milieu de journée, où j’ai de nouveau cru devoir aller aux toilettes. Je n’ai expulsé qu’un mucus épais et brunâtre mêlé de sang. Je n’avais jamais vu ni entendu parler de quoi que ce soit de ce genre. Ca semblait tout droit sorti d’un film d’horreur ou d’une série médicale. J’en ai été horrifiée.

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J’ai appelé ma généraliste qui m’a dit d’aller à la clinique car elle ne pouvait pas me prendre en consultation ce jour-là. Le médecin de la clinique n’a pas su me dire ce que j’avais et il m’a donné le numéro d’un spécialiste, qui s’est avéré être chirurgien et non gastroentérologue. Je me suis retrouvée dans une impasse. J’étais frustrée et terrifiée et je ne savais plus quoi faire.

Je n’avais pas la diarrhée, le symptôme le plus courant de cette infection bactérienne. Il était donc d’autant plus compliqué d’établir un diagnostic. Quelques semaines plus tard, mes symptômes, qui incluaient maintenant des nausées, des crampes, du mucus dans les selles, une perte d’appétit et des douleurs dans toute la région pelvienne, étaient toujours là et mon état s’était aggravé. Je passais tellement de temps recroquevillée sur le carrelage des toilettes que j’ai fini par aller aux urgences. C’est là que les médecins ont pensé à la C.diff et ils m’ont demandé d’essayer de leur procurer un échantillon de selles. En attendant le résultat des analyses, ils m’ont renvoyée chez moi en me prescrivant du Flagyl (métronidazole), l’antibiotique que les médecins utilisent en premier pour traiter la C.diff. A ce moment-là, je ne savais toujours pas à quel point cette infection était grave et difficile à soigner.

Je n’ai expulsé qu’un mucus épais et brunâtre mêlé de sang. Je n’avais jamais vu ni entendu parler de quoi que ce soit de ce genre.

Le lendemain matin, l’hôpital m’a appelée pour me communiquer les résultats des analyses: ils étaient positifs pour la C.diff. Je me suis dit, bon, je vais prendre ce médicament quelques semaines et je serai guérie. A cause de mes immunosuppresseurs, j’ai dû rester sous antibiotique pendant quatre semaines au lieu de deux. Je me suis vite sentie mieux et j’ai pu reprendre les perfusions mensuelles de mon traitement contre la SEP, que j’avais interrompu à cause de la C.diff.

Quelques jours après ma première perfusion postinfection, les symptômes sont revenus. Mon médecin m’a demandé un nouvel échantillon de selles. Je commençais à avoir le coup de main pour les prélever et les amener au labo de l’hôpital dans un petit beurrier que j’avais lavé et, une fois rempli, enveloppé dans un sac en papier, tout en essayant d’avoir l’air détaché. Les résultats sont arrivés le lendemain: c’était à nouveau positif. J’ai repris du Flagyl pendant un mois. Cette fois mes symptômes étaient pires, et les effets secondaires (nausées, maux de ventre, crampes, migraines, bouche sèche, arrière-goût métallique et vertiges), plus difficiles à supporter. Il y avait alors près de 22 semaines que je bataillais avec mes problèmes d’estomac et d’intestin. J’étais épuisée à la fois par la C.diff et le Flagyl. Hélas, quelques jours après l’arrêt du traitement, la bactérie est réapparue.

Cette fois, mon médecin m’a prescrit une version orale de la Vancomycine en intraveineuse, un autre antibiotique utilisé pour traiter la C.diff quand le Flagyl ne marche pas. J’en ai pris pendant deux semaines, j’ai arrêté une semaine avant de rechuter, et c’était reparti pour deux semaines de traitement. La bactérie ne s’en allait pas. Pire, elle semblait être plus résistante à chaque rechute. Les médecins commençaient à être à cours d’idées. Mon corps n’arrivait pas à lutter contre l’infection et mes organes menaçaient de lâcher. Je perdais mes cheveux, je maigrissais alors que j’étais déjà en sous-poids et j’étais plus malade que jamais.

Terrifiée à l’idée que cette infection puisse finir par me tuer, j’ai fait des recherches pour voir comment d’autres malades avaient combattu et vaincu la C.diff. C’est ainsi qu’à ma grande surprise j’ai découvert la transplantation fécale. Il s’agit, littéralement, de transférer des fèces d’une personne dans le tube digestif d’une autre personne grâce à un procédé semblable à une coloscopie. En gros, l’échantillon de selles du donneur est mélangé à du sérum physiologique pour le rendre liquide. Après quoi le mélange est introduit dans le corps du patient par l’anus au moyen d’une sonde. L’objectif est que les  » bonnes » bactéries des selles du donneur s’installent dans le colon infecté du patient et s’y multiplient. C’est une idée géniale, quand on y pense: quelle meilleure façon de repeupler le corps avec les millions de bonnes bactéries qui lui sont nécessaires que de lui en apporter directement?

Après une énième rechute, alors que j’étais de nouveau sous Vancomycine, j’ai demandé à mon médecin si nous pouvions tenter une transplantation fécale. Il n’en avait jamais entendu parler, ce qui m’a étonnée de la part d’un gastroentérologue. Il m’a dit qu’il allait faire des recherches avant de revenir vers moi. Quelques semaines plus tard, et six mois après mes premiers symptômes d’infection, le médecin m’a demandé si je voulais toujours tenter la transplantation. J’ai accepté sans hésiter.

Les mois suivants, j’ai pris une combinaison de Flagyl et de Vancomycine pour me stabiliser pendant que le docteur se chargeait de faire les démarches nécessaires. Pour se familiariser avec le déroulement de l’intervention et me préparer à ce qui allait se passer, il a consulté des médecins d’autres Etats qui avaient déjà pratiqué des transplantations de ce type.

A un moment donné, le docteur m’a regardée et m’a dit avec le plus grand sérieux: « Vous ne pourrez plus jamais dire à votre mari d’arrêter de vous emmerder! »

Mon mari a été mon donneur. Après tout, on s’est dit oui pour le meilleur et pour le pire, non! A un moment donné, le docteur m’a regardée et m’a dit avec le plus grand sérieux: « Vous ne pourrez plus jamais dire à votre mari d’arrêter de vous emmerder! » On en a ri pendant des mois.

Une fois la procédure engagée, mon mari a fait des analyses de sang pour s’assurer que ses selles ne risquaient pas de me transmettre une quelconque maladie. La date de la transplantation a été fixée au 2 mars 2012. On nous a demandé d’acheter un mixeur pour préparer le mélange de matière fécale et de sérum physiologique. Mon mari avait pour mission de collecter ses selles le matin de l’intervention. J’ai suivi le même régime alimentaire qu’avant une coloscopie, pour faire en sorte que mon tube digestif soit le plus propre possible et créer un environnement favorable au développement des bonnes bactéries.

J’étais la première patiente à recevoir une transplantation fécale dans cet hôpital, peut-être même dans tout l’Utah. Le matin du jour J, mon médecin est entré dans ma chambre en sifflotant, le sourire aux lèvres. « C’est un grand jour pour nous! » a-t-il lancé. Il avait hâte de procéder à l’intervention et d’en constater le succès, non seulement pour moi, mais pour tous les autres patients qui pourraient en bénéficier si cela fonctionnait. Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi excité par du caca, sauf peut-être un de mes enfants après un épisode de constipation! Moi, je ne pensais qu’à la possibilité de me sentir mieux… et de rester en vie.

L’opération s’est déroulée à merveille. Quand je me suis réveillée, j’étais déjà en meilleure forme. Les crampes et la douleur avaient disparu et mon appétit était revenu. La guérison a été instantanée! J’étais censée garder le « médicament » dans mon corps le plus longtemps possible, et tout le monde a été ravi que je tienne jusqu’au lendemain avant d’aller à la selle. J’avoue que je ne m’attendais pas à l’odeur: mes fèces et mes gaz sentaient exactement comme ceux de mon mari! Quand il pète, j’ai la possibilité de m’éloigner, mais je ne pouvais pas m’éloigner de moi-même! C’était immonde. On en rit encore. Mais ce n’était pas cher payé pour ma guérison. Aussi perturbant et répugnant que cela puisse paraître, ses bactéries faisaient leur boulot, et c’était l’essentiel.

Plus tard, mon médecin m’a dit que si la transplantation avait échoué, mon colon aurait été entièrement envahi par les C.diff. Non seulement j’aurais été incapable d’absorber les nutriments nécessaires à mon corps, mais mes organes auraient lâché les uns après les autres jusqu’à l’issue fatale.

Je suis profondément reconnaissante d’avoir pu bénéficier d’une transplantation fécale, et d’avoir eu un docteur prêt à m’écouter et à faire les démarches nécessaires. Même si elles en sont encore au stade expérimental et que beaucoup de médecins, y compris des spécialistes, ne connaissent pas ce procédé, les transplantations fécales ont un taux de succès très élevé et peuvent réussir là où tout le reste a échoué. Si je ne l’avais pas vécu, je n’y aurais jamais cru. Aujourd’hui, je souhaite qu’un maximum de gens soit au courant, car c’est parfois une question de vie ou de mort. Même si l’idée de se faire introduire des excréments dans le corps est dégoûtante, ceux de mon mari m’ont littéralement sauvé la vie.

Le HuffPost ne cautionne ni ne garantit l’efficacité d’aucun des traitements évoqués dans cet article. Si vous avez un problème de santé, consultez votre médecin.

Ce blog, publié à l’origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast For Word.

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