Paris le samedi 1er mai 2021 –
L’arrêt rendu par la Cour de cassation dans l’affaire Sarah Halimi a provoqué une véritable onde de choc politique mais aussi judiciaire.
Faut-il réformer la politique en matière d’irresponsabilité pénale.
Ce serait un euphémisme de dire que la discussion autour de cette question fondamentale du droit pénal ne s’est pas déroulée dans des conditions apaisées et raisonnées.
On peut tout d’abord souligner que le débat a mis en lumière une certaine méconnaissance globale du fonctionnement de l’institution judiciaire.
Ainsi, la Cour de cassation, juge du droit, pouvait difficilement revenir sur une décision qui relevait de l’interprétation souveraine des juges qui composent la Chambre d’Instruction.
L’arrêt rendu n’a pas délivré de « permis de tuer sous emprise du cannabis » pas plus qu’il n’a légitimé l’horrible meurtre antisémite commis à l’encontre de Sarah Halimi.
Mais tout débat sur la question de l’irresponsabilité pénale est-il pour autant interdit ?
Simplifiant à l’extrême, l’opposition (parfois de circonstance) accuse le gouvernement de vouloir désormais « juger les fous » revenant ainsi sur un principe inscrit dans notre droit pénal depuis deux siècles.
Un rapport conclut qu’il ne faut pas toucher à la loi
En réaction à l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris dans l’affaire Halimi, rendu en décembre 2019, Nicole Belloubet, alors Garde des Sceaux, avait demandé la création d’une commission chargée d’évaluer la façon dont la justice procède pour juger des personnes irresponsables pénalement « sans remettre en cause le principe essentiel de notre État de droit selon lequel on ne juge pas les fous ».
Cette commission, composée de magistrats, de psychiatres, d’avocats et de membres de l’opposition devait répondre à une question complexe : « les termes de l’article 122-1 du code pénal sont-ils satisfaisants ?
Une évolution législative sur ce point vous paraît-elle opportune afin notamment d’exclure, soit de manière systématique, soit dans certaines hypothèses, la possibilité de déclarer l’auteur d’une infraction irresponsable en raison de l’abolition de son discernement lorsque cette dernière résulte d’une intoxication volontaire ».
A cette question, la commission répond simplement qu’il y a lieu de « conserver la rédaction actuelle de l’article 122-1 du code pénal » qui dispose que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».
Pour défendre le statu quo, les membres de la commission déploient l’argumentaire suivant : « au regard de la très forte imbrication entre les troubles psychiques avérés et les recours à des substances psychoactives, l’exclusion du bénéfice de l’article 122-1 pour les actes commis suite à consommation de toxiques serait une disposition dont la radicalité aggraverait le risque de pénaliser la maladie mentale et constituerait une atteinte substantielle aux principes fondamentaux de notre droit pénal relatifs à l’élément intentionnel.
Il en serait de même pour les arrêts par les personnes atteintes de troubles mentaux de leurs traitements psychotropes, sans autorisation médicale. »
Un statu quo toutefois accompagné d’un certain nombre de recommandations pour mieux prendre en compte le sort des victimes en l’absence de procès.
Faut-il ignorer la main tendue (ou le doigt pointé) de la Cour de cassation ?
Face à la pression politique, le moins que l’on puisse dire est que le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti semble bien disposé à aller bien au-delà de la recommandation de prudence de la commission.
Le Ministre peut toutefois extraire du communiqué de la Cour de cassation relatif à l’affaire un argument en faveur d’une modification.
En effet, la haute juridiction avait souligné que si « une personne qui a commis un acte sous l’emprise d’une bouffée délirante abolissant son discernement ne peut pas être jugée pénalement même lorsque son état mental a été causé par la consommation régulière de produits stupéfiants » c’est bien parce que « la loi ne prévoit pas de distinction selon l’origine du trouble psychique ».
« Or le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer » indique la Cour.
Il n’en fallait pas plus pour que l’exécutif saisisse la main tendue (ou en tout cas, perçoive dans ces lignes un appel du pied).
Il est vrai que d’autres voix estiment que les dispositions actuelles révèlent une faille.
Sans utiliser l’expression impropre de « vide juridique » utilisée par le Garde des Sceaux, Jean-Christophe Muller, avocat général à la cour d’appel de Paris et David Senat, avocat général à la cour d’appel de Toulouse rappellent qu’en Italie, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, la responsabilité pénale peut-être retenue lorsque le trouble psychique de l’auteur d’un crime provient d’une consommation volontaire de produits toxiques.
C’est sans doute sur ce point précis que le législateur axera une réforme qui touche un nombre infime de cas.
En 2019, 58 personnes ont bénéficié d’une décision d’irresponsabilité pénale pour troubles psychiques soit 0,0017 % des 33 118 personnes renvoyées en procès à l’issue d’une information judiciaire.
PS 1 : Indiquons que contrairement à certaines rumeurs, l’auteur des faits n’a pas été « libéré » mais est hospitalisé en unité pour malades difficiles et le restera en fonction de avis des médecins et de l’autorité judiciaire et de la décision du Préfet.
PS 2 : Si vous le souhaitez, vous pouvez donner votre avis sur la nécessité d’une modification de la loi dans ce domaine en participant à notre sondage.
Charles Haroche
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