Vegans, végétaliens, pescétariens… Ces pratiques alimentaires ont-elles un intérêt médical ? Ces privations représentent-elles un danger pour la santé ? Experts et médecins répondent.
Christian Delahaye | 28.07.2017
Crédit Photo : Phanie Zoom Véganisme
Fortement relayés par les médias et surtout par les réseaux sociaux, les régimes d’exclusion débordent des rayons alimentaires pour investir les modes de vie, avec les « sans-se-laver », « sans-s’habiller »… Le même scénario attire à chaque fois des foules d’adeptes : haro sur un produit, une substance, un comportement, qui empêcherait de bien vivre. Enjeu : se soigner individuellement, en dehors des chemins médicaux scientifiquement balisés. « Le Quotidien » propose un état des lieux de ces « sans-sans », en deux temps : intox/détox.
Intox à la viande ?
Études épidémiologiques, exigences éthiques et prises de conscience écologistes, tout concourt aujourd’hui à nourrir la tendance sans-viande. Sans oublier les scandales alimentaires (la vache folle dans les années 1990, plus récemment le horse-gate). Ni les images chocs tournées clandestinement dans les abattoirs par l’association végane L214.
Depuis Pythagore jusqu’à Brad Pitt, en passant par Albert Einstein, le mouvement végétarien a ses têtes d’affiche, ses organisations (mouvement international « Lundi sans viande ») et ses grands rendez-vous (journée mondiale sans viande). Au chapitre scientifique, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), l’agence cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a classé la viande transformée, essentiellement la charcuterie, dans la catégorie des agents « cancérogènes pour l’homme ».
Le mois dernier, l’Institut national américain de la santé, après avoir suivi 7,5 millions de personnes, a conclu que les viandes blanches et rouges, par excès d’acides gras saturés et d’agents carcinogènes, exacerbent la mortalité due aux maladies cardio-vasculaires, respiratoires, rénales, cancers et diabète. Le refus de la souffrance animale est d’autre part mis en avant, avec plus de 3 000 manifestants défilant à Paris à la mi-juin, vêtus de rouge, pour demander la fermeture de tous les abattoirs. Enfin, dans le contexte de la transition énergétique, les écologistes ne manquent pas de rappeler que la production d’aliments animaux, rapportée au poids ou aux calories, est cinq à sept fois plus énergivore que la production céréalière, le rumen des bovins produisant de surcroît d’énormes quantités de méthane, ce gaz à très fort effet de serre.
Bref, les végétariens, les végétaliens, les pescétariens, les flexitariens et autres véganes (les options sans viandes sont à la carte) déploient un argumentaire aussi diversifié que convaincant. En France, les seuls végétariens représenteraient au moins 2 % de la population, ils pourraient atteindre 4 %, selon Emmanuelle Kesse (directrice de recherche INRA). 5 firmes américaines et britanniques se partagent le marché mondial de la viande artificielle, en progression de 20 % par an.
Détox
La carence en vitamine B12 constitue l’argument principal des anti-sans-viande. La cobalamine n’est en effet présente que dans les produits animaliers et son déficit peut entraîner une anémie de Biermer, ainsi que des troubles neurologiques et gastro-intestinaux. « C’est la raison pour laquelle on observe souvent que les végétariens ont un teint gris, ils sont anémiés », note la nutritionniste Florence Foucault.
« On ne peut pas remplacer toutes les protéines animales par des protéines végétales », souligne le Pr Jean-Marie Bourre, neurotoxicologue (Académie de médecine). Mais « le problème ne se pose véritablement que pour les végétaliens et les véganes, remarque le Pr Jean-Michel Lecerf (Institut Pasteur de Lille), les végétariens compensant avec le lait et les œufs et parvenant généralement à un bon équilibre alimentaire, avec un minimum de vigilance. »
Le seul régime sans viande n’est donc pas stigmatisé par la faculté, c’est l’intégrisme du refus de tout produit animal qu’elle dénonce. Or, s’inquiètent les experts nutritionnistes et diététiciens, il est très difficile de faire entendre la voix de la science face à des publics très communautaristes, voire franchement sectaires, médecins et scientifiques étant accusés de raconter n’importe quoi.
Parmi d’autres, le Pr Jean-Marie Bourre se fait traiter de terroriste, Florence Foucault déclenche les foudres des véganes et reçoit des mails incendiaires. « Lors de conférences, je me fais régulièrement insulté et traité d’assassin, témoigne le Pr Lecerf. Avec les mangeurs-autres, on est souvent dans une ambiance de guerre. L’alimentation, qui devrait être le domaine de la convivialité et du bien vivre est en train de devenir le champ de bataille des nouvelles guerres de religion. »
Source : Lequotidiendumedecin.fr