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Skippeuse professionnelle et coach, Julie Mira a développé une méthode d’apprentissage de la voile spécialement conçu pour les femmes et travaille également sur un plan de féminisation avec la FFVoile.

En cette journée internationale des droits des femmes, la navigatrice nous parle des difficultés, toujours actuelles, auxquelles sont confrontées les femmes dans le monde de la voile.

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Les femmes navigantes sont encore trop peu représentées dans le monde maritime. | ANNE BEAUGÉ

Propos recueillis par Laurène COROLLER et Rachel MOREAU. Publié le 08/03/2023 à 11h43

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INTERVIEW. Julie Mira, skippeuse et coach : « La féminisation de la voile est l’affaire de tous » (ouest-france.fr)

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Voiles et Voiliers : Julie, on vous connaît aujourd’hui en tant que coach mais pouvez-vous revenir sur votre parcours nautique.

Julie Mira : Ne venant pas d’une famille de marins, j’étais attirée toute petite par les bateaux. À 9 ans, je commence à naviguer en école de voile, puis en régate. C’est le début d’une passion dévorante. À 19 ans, je passe mon BPJEPS (brevet professionnel de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et du Sport), j’encadre dans des écoles de voile et très vite je me lance dans la navigation hauturière avec une première transatlantique à 20 ans. J’ai enchaîné avec le diplôme du capitaine 200. Je suis passée par tous les postes à bord. C’était une manière de me créer de l’expérience, mais aussi d’être intégrée dans le milieu. Depuis treize ans, je ponce mes cirés des convoyages, aux régates, avec une appétence pour la navigation polaire et l’arctique.

Aucun propriétaire ne laisserait la responsabilité de son bateau à une femme

Voiles et Voiliers : Et en 2019, vous avez créé les Marinettes, un programme de coaching spécialisé dans l’apprentissage de la navigation pour les femmes mais aussi pour les couples…

Julie Mira : Je croisais peu de femmes dans ce milieu professionnel, les plaisancières croisées au hasard des ports étaient rarement cheffe de bord. Très tôt, je me suis questionnée sur la place des femmes dans le nautisme et les pourquoi de cette sous-représentation.

Les remarques constantes m’ont alerté, que ce soit à mon examen au BPJEPS où mon examinateur me fait remarquer qu’aucun propriétaire ne laisserait la responsabilité de son bateau à une femme ou à mon examen du capitaine 200 quand un officier de marine marchande me demande si je souhaite avoir une vie de famille, car si c’est le cas je n’ai pas choisi le bon métier.

Pour intégrer l’environnement, j’ai dû coller à des codes qui ne me ressemblaient pas et j’ai remarqué que malheureusement, je n’étais pas la seule dans cette situation.

J’ai créé Les Marinettes pour accompagner les femmes qui ont créé des blocages en navigation à cause de mauvaises expériences ou d’un manque technique. C’est une approche pédagogique différente et bienveillante où je mélange des outils de coaching, de préparation mentale et de la voile.

Pour que la recette fonctionne dans le temps, l’implication du binôme est nécessaire et permet d’ajuster la communication, de travailler sur la confiance et l’équilibre des rôles à bord.

Plus d’une centaine de personnes ont été formées et permettent d’alimenter une représentation positive des femmes navigantes et des couples, loin du cliché persistant des hommes à la barre et de la femme, perdue la gaffe dans la main.

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Julie Mira est titulaire d’un BPJEPS et du Capitaine 200. | MATHILDE PILLON

Nous croisons très peu de mixité ethnique et c’est la triste réalité de notre sport

Voiles et Voiliers : L’affaire Clarisse Crémer a fait couler beaucoup d’encre, donnée lieu à de nombreuses prises de parole chez les navigatrices et les navigateurs. 

Dans une interview à Voiles et Voiliers, Jean-Luc Van Den Heede a affirmé que c’était les femmes qui ne voulaient pas naviguer. Cette phrase vous a choqué ?

Julie Mira : Le début de l’interview de VDH dans Voiles et Voiliers m’a beaucoup interrogé et j’ai trouvé très réducteur de juger que si les femmes ne naviguent pas, c’est simplement parce qu’elles n’en ont pas envie. La réalité est bien plus complexe à mon sens et bien plus large que le cas des femmes. Nous croisons très peu de mixité ethnique et c’est la triste réalité de notre sport.

Stéphanie Brulé-Josso en parle brillamment dans une thèse qu’elle a réalisé en 2009 : L’habilitation du voilier de plaisance en croisière familiale, dans laquelle elle vient interroger les rapports hommes/femmes et le système de hiérarchie conjugale imprégnée d’une culture patriarcale. Les propriétaires de voiliers habitables sont à 98 % des hommes occidentaux et dans 80 % des cas, ont plus de 40 ans. Les clichés ont la vie dure, le manque de confort ou le mal de mer seraient réservés au sexe féminin. Rassurons-nous, nous sommes tous égaux face au mal de mer !

Le problème à tendance à se trouver dans la transmission. Les difficultés à se former en collectif dû au partage de cabine avec bien souvent un étranger, ou le père qui emmenait son fils naviguer, mais pas sa fille. Ce sont des cas que j’ai régulièrement en coaching.

Concernant la perte de sponsor de Clarisse, ça met en évidence et médiatise un souci du fonctionnement de notre sport, mais aussi de notre société. Je repense à une interview de Sam Davies en 2012 dans Paris Match : « Vous reprenez part à la course la plus dangereuse du monde. Être mère ne vous a pas calmée ? » ou encore « Pour un sponsor, n’est-ce pas un handicap de soutenir une jeune maman ? »

Il est bon de rappeler que la maternité est encore une question dans la carrière des femmes et qu’a un moment de leur vie, elles doivent choisir. Dans le milieu maritime, les femmes marins professionnels représentent 2 % des navigants. Une fois mère, seulement 0,1 % d’entre elles retrouvent leur poste. La raison première : les armateurs ont peur d’embarquer les mamans.

Le documentaire de Nina Montagné, « ÊTRE MER » abordant cette thématique. Il a été diffusé quelques jours après le coup médiatique de l’affaire Crémer, une coïncidence qui nous rappelle la nécessité d’ouvrir la parole.

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Former et sensibiliser est nécessaire pour faire bouger cette image que la voile est un sport d’homme

Voiles et Voiliers : Organisateurs, classes, FFVoile et même ministère des Sports disent avoir pris le sujet en main. Mais qu’en est-il vraiment aujourd’hui ?

Julie Mira : Le ministère des Sport oblige les fédérations à mettre en place des actions de prévention et de formation sur les violences et le sexisme avec le programme « Stop violence ». Un plan de féminisation auquel je participe est mis en place cette année par la Fédération Française de Voile.

Il a pour but d’accompagner les structures sportives dans la mise en place d’outil comme des stages 100 % féminins, des vestiaires séparés, des plannings dédiés, des systèmes de « garderie » pour enfant… Former et sensibiliser est nécessaire pour faire bouger cette image que la voile est un sport d’homme.

Avec les Marinettes, Julie Mira propose une nouvelle approche dédiée aux femmes. | ERIC GACHET

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Voiles et Voiliers : Est-il illusoire de penser qu’hommes et femmes peuvent être sur un pied d’égalité sur un bateau et dans une carrière de sportif ?

Julie Mira : C’est une histoire d’hommes et de femmes, un travail commun pour que les mentalités évoluent et qu’ainsi chacun puisse avoir la possibilité de prendre la place qu’il souhaite.

Nous sommes un des rares sports où femmes et hommes courent à classement égal et ça doit rester une force

Voiles et Voiliers : Quelles évolutions pourrait-on imaginer pour les navigatrices ?

Julie Mira : Le 100 % féminin est bien accueilli et est un bon tremplin pour prendre confiance en soi avant d’intégrer les équipages mixtes. Cette année voit l’apparition de courses mixtes en Mini et en Figaro. Une initiative pour favoriser les navigatrices encore peu nombreuses. Dans un futur proche, il me semble nécessaire de trouver des axes afin d’intégrer les navigatrices dans les centres d’entraînements, de les recruter et de les garder ! Nous verrons avec du recul si ce type d’action a un effet bénéfique sur notre pratique. Nous sommes un des rares sports où femmes et hommes courent à classement égal et ça doit rester une force. La féminisation de la voile est l’affaire de tous, des hommes, comme des femmes.

« Enfants à bord – Bien naviguer en famille »

Parution le 19 mai 2023, éditions Voiles et Voiliers

96 pages – Prix : 19,90 Euros