L'inquiétude au sujet du temps passé par les jeunes devant les écrans ne date... (Photo Martin Tremblay, La Presse) http://images.lpcdn.ca/104x70/201211/21/613560.pngPublié le 29 janvier 2018 PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE =  ISABELLE AUDET La Presse

L’inquiétude au sujet du temps passé par les jeunes devant les écrans ne date pas d’hier. Par contre, le drapeau rouge levé par des investisseurs d’Apple, la semaine dernière, ravive les préoccupations de nombreux parents. Peut-on encore aider nos enfants à garder le contrôle?

Au début du mois, deux investisseurs ont demandé à Apple de trouver des moyens de limiter l’utilisation de ses produits par les enfants. Le géant a alors annoncé qu’il bonifiera sous peu les options de contrôle parental sur ses appareils. Car, en fin de compte, il revient aux parents d’aider leurs enfants à trouver un équilibre. Avant de bannir les écrans, il existe des solutions concrètes pour en gérer l’utilisation à la maison. Pour les connaître, nous en avons discuté avec sept spécialistes.

Se connaître avant d’agir

Afin de favoriser une prise de conscience en famille, il peut être d’abord pertinent de comptabiliser le temps d’écran sur un tableau, suggère l’équipe de Québec en forme. Tous les membres de la famille (eh, oui!) se prêtent à cet exercice au cours d’une période prédéterminée. Chaque personne note le temps qu’elle a passé à utiliser la technologie, et pourquoi elle y a eu recours. On a alors une base de discussion plus solide pour encadrer l’utilisation des écrans à la maison. De plus, on peut plus facilement souligner ce que l’on considère comme du temps d’écran de qualité… ou pas, ajoute Thierry Plante, spécialiste en éducation aux médias pour HabiloMédias.

Qui a le contrôle?

Cette prise de conscience est cruciale, souligne Jean-Michel Pelletier, psychologue. Avec les adolescents, il précise qu’il peut être intéressant d’aller plus loin. Le psychologue qui se spécialise en motivation fait entre autres comprendre aux jeunes comment les grandes entreprises cherchent à monopoliser leur attention. Il leur explique comment, avec un graphisme efficace et un système qui récompense les utilisateurs assidus, elles arrivent à rendre les utilisateurs accros. «Les adolescents n’aiment pas être contrôlés. Ni par leurs parents… ni par une entreprise», souligne-t-il. Le psychologue ajoute que bien souvent, lorsqu’ils constatent qu’ils n’ont pas le plein contrôle, les jeunes se montrent plus ouverts aux stratégies pour s’éloigner des écrans.

Gestion visuelle du temps

La Société canadienne de pédiatrie recommande de ne pas laisser les enfants de moins de 2 ans devant des écrans. «À cet âge, la priorité va être mise sur la socialisation», précise Stéphanie Lebrun, psychologue en milieu scolaire. Par la suite, pour amener les enfants à prendre eux-mêmes des décisions, Solène Bourque et Stéphanie Deslauriers, psychoéducatrices, suggèrent l’utilisation de coupons, de jetons ou de billes pour matérialiser le temps passé devant les écrans. Chaque objet permet, par exemple, l’utilisation d’un temps prédéterminé (15 ou 30 minutes, par exemple) de tablette ou de jeux vidéo. Si l’enfant dispose d’une heure le samedi, il doit ainsi l’utiliser à bon escient. Il devient alors responsable de la gestion de son temps d’écran. «On sait aussi que les enfants ont tendance à se conformer aux demandes lorsqu’ils ont une marge de manoeuvre et un certain contrôle», explique Stéphanie Deslauriers.

Privilégier les aires communes

Tous les intervenants s’entendent sur ce point: l’utilisation des appareils mobiles, jeux vidéo et ordinateurs comporte moins de risques lorsqu’elle a lieu dans une pièce commune. «Et ce, peu importe l’âge de l’enfant», précise Solène Bourque, psychoéducatrice. À l’adolescence, certaines circonstances peuvent permettre l’utilisation d’un écran dans une chambre, mais pour favoriser les discussions – et les rigolades au sujet d’une vidéo comique, aussi! -, les parents ont tout avantage à demander aux jeunes de s’installer au salon, quitte à utiliser des écouteurs. «S’il survient une situation dérangeante pour notre ado, on va le voir dans son visage. S’il est dans sa bulle dans sa chambre, on ne le verra pas», ajoute la psychoéducatrice.

Apprivoiser l’ennui

La psychologue scolaire Stéphanie Lebrun note que partout, les téléphones intelligents et les tablettes sont utilisés pour combler un temps d’attente. Elle insiste toutefois sur l’importance d’apprivoiser ces moments et de faire du temps d’écran une récompense plutôt qu’un réflexe pour se désennuyer. «C’est une solution facile. On peut toutefois préparer un sac d’activités ou proposer des petits jeux pour attendre», affirme la psychologue. «C’est correct et c’est normal d’avoir besoin d’un moment de répit une fois de temps en temps, ajoute Amélie Meeschaert, psychoéducatrice. Par contre, avec les plus petits, si on voit l’écran comme une occasion de passer du temps ensemble plus que comme un outil qu’on utilise toujours pour les occuper, on les aide à voir les écrans différemment dès le plus jeune âge.»

Ranger les appareils, sortir les jeux

À la maison, les tablettes s’ajoutent souvent aux téléphones intelligents et aux ordinateurs portables. Difficile alors de faire la gestion de tous ces appareils, en convient Thierry Plante. Pourquoi ne pas créer un espace de chargement unique pour s’assurer, le soir venu, qu’aucun appareil n’est «oublié» dans une chambre? Amélie Meeschaert suggère d’ailleurs que les appareils ne soient pas rangés à portée de main, pour éviter qu’on les utilise trop fréquemment. «Profitons-en pour mettre les jeux de société plus en vue, pour qu’on ne les oublie pas!», propose Stéphanie Deslauriers. Ce temps de jeu prendra inévitablement du temps qu’on aurait peut-être consacré aux écrans, ajoute-t-elle.

Donner l’exemple!

Tous les spécialistes interrogés insistent sur ce point: il est souvent tout aussi difficile pour les parents de se détacher de leurs appareils mobiles. Or, les gestes ont une portée éducative plus grande que les paroles, expliquent-ils. «On fixe des limites, mais ce genre de contrat fonctionne encore mieux si le parent a des règles à respecter lui aussi, explique Thierry Plante. On peut s’amuser et donner des conséquences même aux parents… avec humour!»

En discuter ouvertement

Ne pas utiliser d’appareils à table. Fermer tous les écrans au moins deux heures avant le coucher. Ne pas dormir avec un téléphone intelligent à portée de main. Les parents fixent des limites, mais si elles sont issues d’une discussion ouverte en famille, les règles sur l’utilisation de la technologie auront une meilleure portée. C’est l’occasion pour un jeune d’expliquer, par exemple, qu’il a besoin d’un bloc de 90 minutes pour terminer une partie de son nouveau jeu vidéo. Les parents prennent le temps de comprendre ce qui l’intéresse, et ils ajustent le temps d’écran en conséquence. Si les limites sont cruciales, l’empathie et la discussion sont des avenues gagnantes, assure Jean-Michel Pelletier.

Diminuer graduellement

On constate qu’on a collectivement perdu le contrôle? Résistons à la tentation de tout arrêter d’un coup. «Pour les jeunes qui jouent cinq heures par jour, passer à deux heures peut être très difficile», souligne Solène Bourque. Au cours d’une discussion en famille, il peut être convenu de diminuer progressivement le temps d’écran quotidien 30 minutes à la fois, jusqu’à arriver à une utilisation plus convenable. «Il faut aussi comprendre que la distinction entre la vie en ligne et la vie hors ligne est beaucoup plus floue pour les adolescents. Si on y va trop fort, ça peut avoir un impact sur leur vie sociale, qui est extrêmement importante», ajoute Thierry Plante.

Et si rien ne fonctionne?

Enfin, au-delà de toutes ces stratégies, il peut être pertinent de consulter un professionnel en certaines circonstances. «Si l’on constate que notre enfant s’isole, si on remarque qu’il a des difficultés de sommeil, si son comportement change, si son rendement académique est affecté… il peut être important d’aller chercher de l’aide», ajoute Stéphanie Lebrun, psychologue.

Des ressources

> Recommandations de la Société canadienne de pédiatrie: https://www.cps.ca/fr/documents/position/le-temps-d-ecran-et-les-jeunes-enfants

> Astuces pour limiter le temps d’écran, de WixxMag: http://www.wixxmag.ca/articles/8-trucs-et-astuces-pour-limiter-le-temps-d-ecran

> HabiloMédias: http://habilomedias.ca/blogue/ce-que-tous-les-parents-devraient-savoir-%C3%A0-propos-du-temps-d%E2%80%99%C3%A9cran-avis-d%E2%80%99un-expert

> Vidéo conçue par Jean-Michel Pelletier pour les adolescents: http://cliniquemotivationautodeterminee.com/2017/11/16/bulles-de-distraction-findesession/