Publié le 06/03/2021

Paris, le samedi 6 mars 2021 – En décembre 2020, Fouad, lycéenne de 17 ans à Lille, mettait fin à ses jours.

Fouad était transgenre et rapidement plusieurs de ses proches ont signalé les brimades subies au sein de son établissement, qui pourraient avoir contribué à son passage à l’acte.

Si les causes des suicides sont toujours très complexes, cette tragique histoire rappelle en tout cas que le parcours des enfants et des adolescents transgenres reste toujours très difficile, tant en ce qui concerne leur propre cheminement psychologique que l’acceptation par la société.

Sans même évoquer ce type de drame, on sait que la vie scolaire de ces enfants est profondément bouleversée.

« Quand ils arrivent à la consultation, 30 % à 40 % des enfants sont déscolarisés, 60 % font état de difficultés comme le harcèlement scolaire », signalait récemment dans les colonnes du Monde, Agnès Condat, pédopsychiatre à la Pitié-Salpêtrière.

La gravité de ce contexte rend difficilement crédible l’hypothèse selon laquelle la transidentité serait un phénomène de mode, encouragé par les réseaux sociaux, ce qui parfois transperce en filigrane dans certains discours.

Une médiatisation positive

Il est cependant indubitable que ce phénomène quasiment invisible il y a encore vingt ans prend une place de plus en plus importante.

« En moins de 10 ans, en Grande Bretagne, le nombre de petites filles ou jeunes filles adressées au corps médical pour un changement de sexe est passé d’une quarantaine par an à près de 2000.

Le nombre de jeunes garçons est lui passé d’une cinquantaine à plus de 700 » rappelait dans le Figaro début décembre la juriste, Olivia Sarton (du collectif Juristes pour l’enfance).

Bien sûr, on ne peut pas nier dans cette forte augmentation une influence de la médiatisation de la transidentité ; mais l’influence n’est pas nécessairement superficielle.

Il est probable que la multiplication des discours (et des discours déculpabilisants et déstigmatisants) sur la transidentité pousse aujourd’hui un nombre plus important de jeunes gens et de jeunes filles à manifester soit leurs doutes soit leurs convictions sur ce sujet, en dépit des obstacles nombreux qui continuent à exister.

Un film lumineux

Reportages, témoignages, films qui mettent en lumière ces garçons qui se sont toujours pensés comme filles et ces filles qui se savent des garçons, ont contribué à faire évoluer le regard de la société.

Celui-ci n’est plus systématiquement marqué par le rejet et la haine et cela semble essentiel pour éviter qu’aux questionnements inévitables que l’acceptation de l’inadéquation entre son sexe biologique et son sexe psychique entraîne s’ajoute l’hallali.

S’inscrivant dans ce courant mettant en lumière la transidentité, le film Petite fille de Sébastien Lifshitz, diffusé en décembre sur Arte et qui sera bientôt accessible sur Netflix, a beaucoup été commenté.

Ce film documentaire suit la lumineuse Sasha, né petit garçon, et voulant avec fermeté et constance depuis l’âge trois ans « être une fille quand il sera grand ».

Il raconte également le courage de sa famille, la souffrance de sa mère luttant contre une certaine culpabilité, à l’idée qu’elle avait avant la naissance de l’enfant tant désiré une petite fille, et l’enfer de l’école.

Le film montre encore la prise en charge bienveillante à l’hôpital Rober Debré, le « diagnostic » de dysphorie de genre pratiquement immédiatement posé (en s’appuyant cependant sur le vécu de l’enfant et notamment la constance de sa situation) et l’engagement vers un traitement.

La caméra montre-t-elle tout ?

Les critiques cinématographiques du film n’ont pu que louer le portrait ainsi dressé et l’ode à la liberté qui est un des fils majeurs de l’œuvre de Sébastien Lifshitz.

Mais beaucoup de spécialistes, psychiatres, pédopsychiatres et juristes se sont interrogés sur la rapidité avec laquelle une prise en charge semblait être mise en place.

« Au motif qu’il serait impossible d’obtenir un rendez-vous de consultation dans un délai raisonnable auprès d’un pédopsychiatre dans l’environnement du domicile de la famille (ce qui est plus que probable quand on connaît l’état de l’offre de soins en pédopsychiatrie en France, ndlr), la mère a (…) choisi d’emmener directement son enfant en consultation auprès du Dr Anne Bargiacchi, psychiatre attachée à l’hôpital parisien Robert Debré et spécialiste de la dysphorie de genre.

Cette première consultation est censée avoir été filmée en direct dans le cadre du documentaire.

On peut espérer qu’il ne s’agit que d’une mise en scène et que le documentaire ne reflète pas la réalité tant la consultation est brève et l’examen de l’enfant de 8 ans quasi inexistant.

Toujours est-il qu’à l’issue de cette première consultation, le diagnostic de dysphorie de genre est posé de manière définitive, la mère a obtenu un certificat médical demandant au corps enseignant d’accueillir Sasha en tant que petite fille, et la question des traitements hormonaux et de la prise de bloqueur de puberté a été abordée.

Lors du rendez-vous suivant, le parcours médical est précisé: un rendez-vous doit être pris avec un endocrinologue pour (explique-t-on à l’enfant) éviter de voir apparaître les signes de puberté » décrit Olivia Sarton.

Si la rapidité de ce processus interroge, c’est parce que la question de la compréhension et au-delà du consentement de l’enfant est en cause.

Il est en effet difficile de s’assurer que chaque enfant a la maturité nécessaire pour appréhender la complexité de ces traitements et leur caractère potentiellement irréversible (d’autant plus que légitimement sur d’autres sujets un vrai recul s’impose face à ce que certains présentent comme « le consentement » de l’adolescent).

De la même manière, peut-on considérer que le désir exprimé par l’enfant et même sa souffrance sincère à l’idée de devoir être prisonnier d’un corps qu’il ne reconnaît pas comme son identité, puissent tenir lieu de réel consentement éclairé et surtout intangible?

Il s’agit d’un enjeu majeur d’autant plus que les cas où les enfants ou adolescents devenus adultes regretteraient ou s’interrogeraient ne seraient pas rares.

« Est-il raisonnable de mettre en place des traitements irréversibles alors que 85 % des enfants au moment ou après leur puberté se sentent finalement bien dans leur sexe biologique ?

(selon l’Association psychiatrique américaine, 98 % des garçons concernés finissent par accepter leur sexe biologique après avoir naturellement passé par la puberté) (l’ampleur de ces chiffres bien que sourcés suscitera sans doute une certaine réserve, ndrl).

La prise en charge médicale précoce ne risque-t-elle pas de perpétuer inutilement la confusion au détriment de la santé psychologique à long terme des enfants impliqués ? 

Est-il raisonnable d’engager des enfants et des adolescents dans ce processus de transition quand, en Grande-Bretagne, au Canada et aux Etats-Unis, de nombreux jeunes adultes regrettent leur transition engagée pendant l’enfance et mettent en œuvre des processus de détransition qui ne seront pour la plupart jamais satisfaisants (notamment lorsqu’une mastectomie a été réalisée) ? » s’interroge l’association Juristes pour l’Enfance.

« L’enfant a, comme tout un chacun, le droit de recevoir des soins de qualité.

La qualité des soins n’est-elle pas interrogée, gravement, par les aspects suivants les effets secondaires et les effets parfois définitifs des traitements pour les enfants et les ados.

Le caractère invasif de ces traitements sur le corps sain d’un enfant.

Le caractère encore largement expérimental des traitements appliqués, sans pouvoir ni prévoir ni contrôler les conséquences (quels effets à long terme des bloqueurs de puberté, quels effets sur le corps et sur le développement du cerveau de cet évitement de la puberté ?)

L’illusoire consentement d’un enfant à des actes dont il ne peut sérieusement envisager la portée (par exemple, renoncement à l’exercice futur de sa sexualité, plaisir sexuel et fécondité, dont il n’a aucune idée).

Les témoignages montrent que le mal-être de certains jeunes était dû à autre chose (troubles autistiques etc…) et qu’ils n’ont pas bénéficié des soins qu’ils auraient dû recevoir pour ces causes-là », explicite encore l’organisation.

Changer de sexe biologique avant de changer d’avis

Dans d’autres pays, ces sujets font également débat.

Le 1er décembre, la Haute Cour de Londres a ainsi estimé qu’on ne pouvait pas considérer comme suffisamment éclairé le consentement d’un enfant pour demander un changement de sexe et accepter des traitements irréversibles.

Olivia Sarton indique que le témoignage de Keira Bell, 23 ans, a probablement « été décisif » dans ce « procès mettant en cause la clinique londonienne « Tavistock and Portman NHS Trust » spécialisée dans la transition de genre des mineurs.

Keira Bell, qui s’est décrite comme ayant été un garçon manqué dans son enfance, s’est tournée vers la clinique Tavistock alors qu’elle avait 14 ans.

La clinique lui a très rapidement prescrit des bloqueurs de puberté.

Puis Keira s’est vue administrer à 17 ans de la testostérone, et elle a enfin subi une ablation des seins à 20 ans.

Quelque temps plus tard, regrettant amèrement le parcours suivi et assumant désormais son sexe féminin, Keira a introduit une action en justice contre la clinique.

Elle lui a reproché de ne pas avoir remis en cause son souhait de devenir un garçon alors qu’elle sortait tout juste de l’enfance et de lui avoir prescrit à 14 ans des bloqueurs de puberté après seulement trois rendez-vous d’une heure.

Lui donnant raison, la Haute Cour de Londres a estimé, dans un arrêt abondamment commenté Outre-Manche, qu’il était très peu probable qu’un enfant de 13 ans ou moins soit apte à donner son consentement à l’administration de bloqueurs de puberté et qu’il était également douteux qu’un enfant de 14 ou 15 ans puisse comprendre et mesurer les risques et conséquences à long terme de la prise de médicaments bloqueurs de puberté. (…)

Keira Bell a contesté le fait que la clinique Tavistock lui ait prescrit des bloqueurs de puberté à 14 ans, après seulement trois rendez-vous d’une heure.

Elle a affirmé qu’elle n’aurait pas dû être mise si vite sous traitement.

À plusieurs reprises elle a soutenu que, devant le mal-être profond d’une adolescente comme elle, il était de la responsabilité des institutions comme la clinique Tavistock d’intervenir et de faire en sorte que les enfants reconsidèrent ce qu’ils disent », rapporte la juriste.

Un tel témoignage rappelle, s’il en était besoin, l’extrême complexité de la prise en charge de tels cas, qui à la fois doit permettre de rassurer l’enfant et sa famille sur le fait qu’il a tout à fait le droit de se considérer comme appartenant au sexe opposé, qui doit accompagner l’enfant sans vouloir prétendre le faire changer « d’avis » ou condamner un « caprice », mais qui doit également s’assurer de la profondeur de cette aspiration et de l’inexistence d’autres causes expliquant cette démarche.

Éviter les interprétations psychanalytiques même au nom de l’indispensable prudence thérapeutique

Or, la rapidité avec laquelle certaines prises en charge semblent décidées (comme le suggère le film Petite fille, qui cache néanmoins probablement certaines ellipses) interpelle.

Faut-il y voir le poids d’un militantisme dangereux, assimilant tout questionnement, même honnête et bienveillant, à une attitude transphobe ?

Dans une tribune publiée début décembre dans Marianne (en écho au film Petite fille) un collectif de psychiatres, psychologues et psychanalyses évoquaient sans détour :

« En effet, nous assistons à un hypersubjectivisme identitaire « à la demande » qu’une certaine médecine ratifie.

Nous assistons encore à une situation de Diktats et d’impératifs catégoriques où les discours politiques et militants viennent croiser les discours cliniques au point de se confondre et entraver tout discernement » dénonçaient-ils.

Si l’accusation est sans nuance, il apparaît en effet très important que le militantisme positif permettant de lutter contre la stigmatisation des trans ne devienne pas pernicieux et dangereux s’il annihile l’indispensable prudence thérapeutique.

Cette prudence thérapeutique impose notamment la patience, mais probablement pas nécessairement de convoquer des théories psychanalytiques faisant intervenir le rôle de la mère.

Or, les rédacteurs de la tribune de Marianne n’échappent pas à une telle tentation lançant de façon nébuleuse :

« La question qui mérite d’être non seulement posée mais entendue est celle de la place subjective qu’occupe cet enfant dans l’économie familiale et auprès de la mère notamment.

Un enfant, seul, ça n’existe pas, il se construit psychiquement avec les premiers autres présents au moment de sa naissance et il lui faut aussi faire un travail psychique pour se séparer d’eux afin de frayer sa propre voie et se singulariser ».

Plus globalement, la médecine ne devrait pas être jugement de l’acceptation par les parents du désir de leur enfant, au nom de l’idée discutable selon laquelle « Aimer un enfant, c’est aussi lui faire accepter la limite ; il peut certes rêver d’être un autre mais le réel le contraindra toujours et il incombe aux parents de le lui faire entendre ».

Il apparaît indispensable d’être conscient du risque réel et non fantasmé d’une influence potentiellement dangereuse d’un certain discours militant sur la prise en charge thérapeutique de ces enfants.

Faut-il pour autant remettre en question la légitimité des reportages et autres films (au-delà du fait qu’une œuvre cinématographique comme Petite fille devrait rester en dehors du champ de telles considérations, puisqu’une œuvre ne se doit pas de répondre à tel ou tel schéma ou règle pédagogique) ?

L’association Juristes pour l’enfance note :

« Ces émissions qui livrent le ressenti intime des enfants à l’exposition du public interrogent : que reste-t-il de la vie privée et de l’intimité des enfants dont le questionnement est ainsi exposé et médiatisé, alors que les enfants n’ont pas conscience de la violation de leur intimité et ne peuvent y consentir en connaissance de cause ?

Est-il responsable de présenter la transition de genre comme anodine, alors que de nombreux adultes trans témoignent de sa complexité, de la nécessité de la prendre en charge dans un temps long, sans se précipiter dans des traitements médicaux extrêmement lourds ? », observe-t-elle légitimement, mais l’Observatoire des discours idéologiques sur l’enfant et l’adolescent, collectif de médecins, psychologues, enseignants, juristes et magistrats, va plus loin.

Dans une récente lettre présentant sa saisine du Comité national consultatif d’éthique sur ces questions, il parle « d’une certaine propagande qui se médiatise par le biais de documentaires et par les réseaux sociaux qui tendent à banaliser ces transitions sociales et médicales ».

Parler de « propagande » est-il parfaitement approprié, quand on assiste plus certainement à la libération de la parole, après des années d’ostracisme et de rejets violents et si pédagogie, nuance, résistance aux militantismes aveugles et bornés sont indispensables, tout retour en arrière ou censure paraissent devoir être évités.

Émettre non pas des doutes mais ouvrir un espace pour la réflexion n’est très certainement pas de la transphobie et est salutaire (notamment pour le bien-être des enfants), mais les accusations de propagande ou les enfermements psychanalytiques ne servent probablement pas le débat, voire peuvent en aggraver les positions radicales.

Ainsi, ce sujet porte-t-il des questionnements multiples et fondamentaux sur la transmission de l’information, la confiscation par différentes minorités militantes de sujets majeurs et surtout sur le consentement de l’enfant et de l’adolescent, au cœur de nombreuses réflexions aujourd’hui.

On le redécouvrira en lisant :

Olivia Sarton
Juristes pour l’enfance
Collectif de psychiatres et psychanalystes
L’Observatoire des discours idéologiques sur l’enfant et l’adolescent

Aurélie Haroche

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