http://www.jim.fr/e-docs/00/02/A3/F8/carac_photo_1.jpg F. VIE LE SAGE, R. COHEN, Publié le 01/08/2018

AFPA, InfoVac, Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP)
de la Société française de pédiatrie, Aix-les-Bains

Depuis de nombreuses années les médecins, les experts mais aussi des patients trouvaient incohérents de voir coexister trois vaccins « obligatoires » et un certain nombre de vaccins « seulement » recommandés. Une hiérarchie injustifiée ressortait de cette distinction sans aucun fondement médical. Il était facile pour les parents réticents à la vaccination de se retrancher derrière un « Je ne veux que ce qui est obligatoire ! », laissant leur enfant et leur entourage sans protection contre des maladies aussi dangereuses que celles dues au pneumocoque, à Hæmophilus B, au méningocoque, à la rougeole ou à la coqueluche et, pour leurs adolescents, à l’hépatite B et au papillomavirus (HPV).

Un triste recul français

Depuis 20 ans, la France est en souffrance vis-à-vis de la vaccination. Différentes crises sanitaires ont entamé la confiance dans la gestion de la santé publique : sang contaminé et VIH, hormones de croissance, Médiator®, etc. En terme de vaccination, le péché originel repose certainement sur la reculade du ministre de la Santé de l’époque (Bernard Kouchner) vis-à-vis de la vaccination des enfants contre l’hépatite B dans les écoles, renforçant le doute sur le lien entre cette vaccination et la sclérose en plaques. Depuis, la gestion de l’alerte à la pandémie grippale de 2009, pandémie non confirmée et les reculades sur la vaccination contre le rotavirus ont amplifié le doute sur la compétence des autorités.

Tout ceci a laissé le champ libre à des rumeurs infondées concernant la sécurité des vaccins : hépatite B et sclérose en plaques, aluminium et problèmes neurologiques, vaccin contre le papillomavirus et maladies auto-immunes, rougeole et autisme. Si ces craintes d’effets indésirables n’ont jamais été confirmées par l’épidémiologie, voire se sont révélées être des manipulations frauduleuses (1), d’autres problèmes ont été réels comme celui de la narcolepsie et du vaccin contre la grippe adjuvée de 2009 ou l’incident du vaccin Méningitec® en 2014. Les pénuries répétées de vaccins ont aussi accru la rumeur d’un complot de l’industrie pour augmenter ses bénéfices. La confusion entre signalement, lien temporel et lien de causalité a été soigneusement entretenue par les lobbys anti-vaccinaux et faiblement démentis par les autorités.

Les vaccinateurs, qui ne faisaient que tenter d’appliquer au mieux les données de la science, se sont ainsi retrouvés dans un étau entre des lobbys anti-vaccinaux très actifs sur les réseaux, une presse classique à l’affût de nouvelles scandaleuses, une justice aux décisions difficilement compréhensibles et une indigence des autorités de santé, sans réaction la plupart du temps. L’activisme des anti-vaccinaux a, lui, fait preuve d’une imagination sans borne, utilisant la justice et les médias, abusant de tous les moyens lobbyistes, diffusant des fake news sans scrupule. Ils ont réussi à entamer la confiance d’une partie du public vis-à-vis des médecins, des sociétés scientifiques et des experts qu’ils vilipendent. Ils les accusent de conflits d’intérêt irréels avec l’industrie, alors qu’eux-mêmes ne révèlent rien sur leurs propres liens avec le commerce « des produits naturels » ou autres.

Leur argumentation ne se base que sur des cas individuels et des liens temporels.

Les liens de causalité allégués ne sont que des suppositions non fondées, basées sur des a priori non scientifiques. Les professionnels de santé, pour une part d’entre eux déstabilisés, sont loin d’être sourds aux sirènes de l’« antivaccinalisme » (2). La France s’est retrouvée ainsi détentrice du record du monde de l’hésitation vaccinale, comme l’a montré l’étude de Heidi J. Larson(3). Cette hésitation porte essentiellement sur la sécurité des vaccins et non sur leur nécessité ou leur efficacité. Ces chiffres seraient à affiner, mais il n’en reste pas moins un gradient spectaculaire : 41 % en France versus 17 % en Europe et 13 % dans le monde ! Cela serait anecdotique si la santé de notre population, et en particulier de nos enfants, n’était en jeu (4). Nombre de couvertures vaccinales sont restées insuffisantes, voire se sont érodées. Des maladies ré-émergent ou ne disparaissent pas comme elles auraient pu le faire.

Réactions des autorités publiques

Face à cela quelles ont été les réactions de nos autorités ? En 2008 avait été organisé un groupe de travail sur l’amélioration de la politique vaccinale, dirigé par Didier Houssin (DGS). Ce groupe a eu le mérite d’apporter des éléments de réflexion et une étude sur le peu de place accordé à la vaccinologie dans le cursus médical. Ensuite, il faudra attendre 2015 (Benoit Vallet, DGS) et le rapport de Sandrine Hurel (5), remis en janvier 2016, pour que le débat démarre vraiment. Une concertation citoyenne (6) s’est déroulée jusqu’en septembre 2016. Elle a été présidée par Alain Fischer, scientifique à la compétence et l’indépendance sans équivoque et par Claude Rambaud, co-présidente du Collectif inter associatif sur la santé. Cette concertation a débattu de deux options principales : soit supprimer toute obligation, soit les étendre à tout le calendrier vaccinal. La première option, quoiqu’intellectuellement plus séduisante, s’est heurtée à des études montrant qu’elle entraînerait une baisse de la couverture vaccinale, y compris pour les valences DTP (7,8). Après un débat et des avis très partagés, la conclusion a été en faveur de l’extension « temporaire » des obligations au calendrier de l’enfant jusqu’aux rappels, avec la possibilité d’une clause d’exemption. Parallèlement, des groupes de familles avaient fait appel au Conseil d’État pour se plaindre de la non-disponibilité du seul vaccin obligatoire, le DTP.

Logiquement, le Conseil d’État a fait injonction en février 2017 au ministre de l’époque, Marisol Touraine, de mettre en adéquation, « dans les 6 mois », la réglementation et la disponibilité des vaccins. Deux solutions étaient sous-entendues, la première était de laisser la réglementation inchangée et d’imposer à l’industrie la production d’un vaccin DTP ayant une AMM pour la primo-vaccination du petit. Cela n’a pas été le cas du seul vaccin disponible (Revaxis®), insuffisamment dosé. L’ancien DTP n’était plus disponible et a été retiré en France pour des effets indésirables de type anaphylactique (9). Aucun vaccin de ce type n’était disponible sur la planète et le développement d’un nouveau vaccin aux normes actuelles (en particulier de sécurité) était impossible en si peu de temps.

L’absence de pertinence médicale d’une vaccination limitée à DTP faisait par ailleurs l’unanimité des scientifiques. Ce vaccin aurait de toute façon été adjuvé et probablement avec de l’aluminium, ce qui n’aurait pas non plus satisfait les groupes demandeurs. La deuxième solution était la mise en adéquation de la réglementation aux vaccins existants et surtout recommandés. Au mois de mai 2017, le changement de ministre de la Santé a été marqué par le message de Marisol Touraine à Agnès Buzyn: « Je vous laisse le chantier de la vaccination ! ». Notre nouvelle ministre n’a pas traîné : elle a appliqué immédiatement la conclusion de la concertation, étendant les obligations pour les enfants nés à partir du 1er janvier 2018 et pour la prévention des 11 maladies déjà recommandées dans le calendrier. Cela représente 4 vaccins (hexavalent, pneumocoque, méningocoque C et ROR), administrés en 10 injections, entre 2 et 18 mois. La clause d’exemption, ayant été jugée anticonstitutionnelle, n’a pas été retenue et aurait été paradoxale.

Parallèlement, A. Buzyn développe ce qui n’avait pas été fait jusqu’à présent : un début de communication active en faveur des vaccins, basée sur des messages scientifiques et non des rumeurs, contre les fake news, les messages préjudiciables à la santé publique, et se prononçant même pour une pénalisation des colporteurs de ces derniers. Elle est soutenue par les 49 sociétés savantes de la quasi-totalité des spécialités, y compris les Académies de médecine et de pharmacie (10). Exception de poids : le Collège des enseignants de médecine générale et la Société de santé publique ! Loin d’être anti-vaccinaux, leur argument est que, pour promouvoir la vaccination, l’obligation n’est pas une bonne stratégie et risquerait d’être contre-productive.

Ce que dit la loi

L’article L.3111-2 du Code de la santé publique est donc modifié par la loi n°2017-1836 du 30 décembre 2017-art 49 et le décret du 25 janvier 2018 (11). Quels en sont les points principaux et nos commentaires ?

• Application pour les enfants nés à partir du 1er janvier 2018. Le contrôle sera réalisé à partir de juin 2018. Cela va laisser une période difficile ou coexisteront des enfants nés avant et nés après dans une même structure, avec tous les problèmes qu’on imagine.

• Elle exclut les adolescents, qui sont la tranche d’âge la plus mal vaccinée, et donc le vaccin anti-HPV. L’Académie de médecine a émis le souhait d’une « exigibilité » jusqu’à l’entrée dans l’enseignement supérieur. S’il paraît difficile d’exclure une adolescente du collège pour non-vaccination anti-HBV, HPV ou autre… Pourquoi pas à l’entrée dans l’enseignement supérieur ?

• Ce sont les titulaires de l’autorité parentale qui sont responsables de son application.

• Les vaccinations doivent être administrées avant l’âge de 18 mois. Lorsqu’elles n’ont pas été pratiquées dans les conditions d’âge, elles le sont suivant les modalités de rattrapage définies dans le calendrier.

• Elle est applicable dans toutes les collectivités d’enfants depuis « l’assistant maternel agréé » jusqu’aux établissements scolaires, quels qu’ils soient (y compris privés), en passant par tous les modes d’hébergements et « toute autre collectivité d’enfants ». L’entrée à l’école pour les enfants nés à partir du 1er janvier 2018 sera donc subordonnée aussi à cette loi.

• Les certificats de vaccination devront être soumis au médecin départemental, responsable de la PMI. Cela représente 700 000 certificats à contrôler par an (cohorte de naissances française) !

• Lors de l’admission en collectivité, en cas de défaut d’un ou plusieurs vaccins, un délai de 3 mois est accordé, après admission provisoire, pour régularisation. En cas de mauvaise foi de parents qui ne réalisent pas ce rattrapage, il va être douloureux de retirer un enfant qui vient juste de s’adapter, etc.

Et pour la suite ?

En novembre 2017, la HAS avait déjà publié des recommandations sur « la nécessité des rappels contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche et la poliomyélite aux âges de 6 ans et de 11-13 ans », ainsi que « les vaccinations exigibles à l’admission et au maintien en collectivité ». La HAS précise : « Une fois la vaccination débutée, il est ensuite nécessaire de poursuivre l’immunisation selon le calendrier vaccinal en vigueur » (12). Une loi comprenant des obligations fait par ailleurs évoquer d’éventuelles sanctions. Agnès Buzyn a bien précisé que le but n’était pas de punir mais de convaincre.

L’article du Code de la santé publique (art. L3116-4) qui prévoyait une peine de 6 mois d’emprisonnement maximale et 3 750 euros d’amende pour « refus de se soumettre à l’obligation vaccinale » a ainsi été supprimé. En revanche, l’article 227-15 du Code pénal est maintenu : la « soustraction par un parent à ses obligations légales compromettant la santé (…) de son enfant » est un délit puni jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. « Un enfant qui se retrouverait avec un handicap en raison d’une absence de vaccin aurait ainsi le droit de mettre en cause pénalement ses parents » (A. Buzyn).

Certificats de contre-indications

• Autre point, celui des certificats de contre-indications (CI). Seules sont reconnues les CI médicales présentes dans l’AMM. Ces CI sont exceptionnelles et parfaitement identifiables.

• Pour l’ensemble des vaccins : « hypersensibilité à l’une des substances actives ou à l’un des excipients », ce qui est en pratique rarissime chez le nourrisson, et laisse supposer que l’enfant a déjà été vacciné au moins une fois.

• Pour les vaccins contenant la valence coquelucheuse : « encéphalopathie d’étiologie inconnue, survenue dans les 7 jours après vaccination » (donc déjà vacciné aussi) et « encéphalopathie évolutive ». Ces enfants sont toujours hospitalisés, cela ne peut donc pas passer inaperçu !

• Pour le ROR : « déficit sévère de l’immunité humorale ou cellulaire (primaire ou acquis) … ». Ceux-ci sont identifiés, ont souvent nécessité des hospitalisations et contre-indiquent parfois la collectivité.

Quelles sanctions en cas de faux certificats ?

• Pour le patient qui s’en sert, l’article 441-1 du Code pénal sanctionne cette infraction d’une peine pouvant aller jusqu’à 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende.

• Pour le médecin qui le fait (CNOM) : « le médecin s’expose alors tout à la fois à des sanctions pénales et disciplinaires, et peut être condamné à réparer sur le plan civil le dommage que son intervention fautive a causé ou favorisé », selon l’article 441-8 du Code pénal : soit 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

En conclusion

Cette loi ne change rien mais change beaucoup. Qu’on ait ou pas des a priori « philosophiques » ou « tactiques » sur le principe d’obligation, elle a le mérite d’exister et notre responsabilité de soignant est qu’elle réussisse. La Cour des comptes en a confirmé le caractère positif, y compris en termes de rapport coût/bénéfice (13). Elle ne va rien changer à notre pratique. Nous ne ferons pas plus de vaccins qu’avant, puisque nous appliquions le calendrier vaccinal et nous continuerons toujours à expliquer et tenter de convaincre les hésitants. Elle va changer beaucoup. Enfin, nous avons un message fort des autorités.

Enfin, nous avons un message basé sur la science et non la rumeur. Enfin, nous avons un soutien à notre pratique. Les vrais hésitants hésiteront moins, sentant la cohésion entre le monde médical et les autorités de santé. Ceux qui sont énervés par le principe et refuseront « plus » qu’avant, étaient probablement déjà dans le refus. Le plus important reste cependant à faire : convaincre. La loi n’est qu’un début. L’échec n’est pas une option. Les autorités ont, elles aussi, une obligation. Celle de développer une vraie communication, une vraie présence sur les réseaux sociaux, de permettre le déploiement d’outils comme le carnet de vaccination électronique, et de faire un réel effort de formation sociétale et professionnelle, depuis l’école primaire jusqu’aux écoles professionnelles.

Notre obligation commune est de créer la synergie sociétale indispensable dans le respect de la collectivité et de ses individus, et non dans un individualisme aveugle, incohérent, égoïste et irresponsable. Par ailleurs, Il ne faudra pas pénaliser le vaccin anti-HPV « seulement recommandé » et méprisé en France (moins de 20 % de couverture vaccinale !), ni son extension aux garçons. Cela ne devra pas non plus brider l’introduction de nouveaux vaccins déjà présents dans de nombreux pays (rotavirus, autres méningocoques) ou à venir (VRS, etc.). La vaccination du professionnel, de l’adulte, et en particulier de la femme enceinte (grippe, coqueluche) seront aussi un vrai challenge.

Références

1. “Affaire Wakefield”: General Medical Council Dr Andrew Jeremy Wakefield Détermination on Serious Professional Misconduct (SPM) and sanction 24 May 2010: http://www.gmc-ukorg/Wakefield_SPM_and_SANCTIONpdf_32595267pdf. Deep B. How the vaccine crisis was meant to make money. BMJ 2011 ; 342 : 136-42. 2. Médecins et politique vaccinale : – Verger P et al. EBioMedicine 2015 ; 2 : 891-7. – Collange F et al. Etudes et Résultats 2015. – Collange F et al. Bull Epidemiol Hebd 2016 ; 406-13.
3. Larson HJ et al. EBioMedicine 2016 ; 12 : 295-301.
4. Santé publique France. Données de couverture vaccinale. Saint-Maurice : Santé publique France 2016.
5. Hurel S. Rapport sur la politique vaccinale. 2016 Janvier. http://socialsante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_sur_la_politique_vaccinale_janvier_2016_.pdf
6. https://www.santepubliquefrance.fr/Actualites/Vaccination-retour-sur-laconcertation-citoyenne
7. Nicolay N et al. Vaccination : perceptions et attitudes. In: Gautier A, Jauffret-Roustide M, Jestin C eds. Enquête Nicolle 2006 Connaissances, attitudes et comportements face au risque infectieux. Saint-Denis, Inpes, 2006.
8. Baromètre Santé 2016. http://inpes.santepubliquefrance.fr/Barometres/barometre-sante-2016/index.asp 9. https://www.mesvaccins.net/web/vaccines/4-d-t-polio-merieux
10. https://afpa.org/manifeste-49-societessavantes-faveur-de-lobligation-vaccinaleenfants/
11. Loi : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2017/12/30/CPAX1725580L/jo/texte ; décret : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2018/1/25/SSAP1732098D/jo/texte
12. HAS. Condition d’exigibilité des vaccins en collectivité. Nov. 2017. https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2815700/fr/necessite-des-rappels-vaccinaux-chez-lenfant-exigibilite-des-vaccinations-encollectivite
13. Cour des comptes, Rapport public annuel 2018. Tome 1, chapitre 2 p. 28 14. Le Monde, 1er juin 2017 : http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/06/01/vaccins-science-ou-rumeurs-il-fautchoisir_5137277_1650684.html

Copyright © Len medical, Pediatrie pratique, mai 2018