Publié le 26/11/2020
Paris, le jeudi 26 novembre 2020 – Une proposition de loi portée par le groupe Écologie Démocratie et Solidarité (composé essentiellement d’anciens membres de La République en marche) visant « à améliorer l’effectivité du droit à l’avortement » a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 8 octobre dernier.
Une de ses mesures phares concerne l’allongement du délai légal d’interruption volontaire de grossesse de 12 à 14 semaines (16 semaines d’aménorrhée).
Cette évolution est une réponse à la revendication de nombreuses associations de défense du droit des femmes et notamment du Planning familial, qui rappellent qu’aujourd’hui un nombre important de femmes (quelques milliers chaque année) s’orientent vers l’étranger pour pouvoir mettre fin à une grossesse non désirée, en raison du dépassement du délai légal en France.
Le CCNE saisi pour se pencher sur l’acceptation des médecins
Le débat parlementaire autour de cette proposition de loi qui doit désormais être examinée par le Sénat a suscité les réactions hostiles de plusieurs sociétés savantes, de l’Ordre des médecins et de l’Académie de médecine.
Certains des arguments mis en avant par les opposants à l’allongement des délais insistent notamment sur la dangerosité accrue de l’acte quand il est retardé.
« Plus l’IVG est tardive, plus elle est dangereuse Le fœtus double de taille, il passe de 85 mm à 120 mm, la tête est ossifiée et plus le fœtus grandit, plus il faut dilater le col de l’utérus pour le sortir » a par exemple observé le président du Collectif national des gynécologues obstétriciens français, le Pr Israël Nisand, évoquant de possibles répercussions sur des grossesses futures.
Face à ces interrogations et mises en garde, le ministre de la Santé, Olivier Véran a saisi le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) afin qu’il puisse se prononcer sur cette question de la dangerosité, ainsi que sur les conséquences d’un tel allongement sur l’acceptation des professionnels de santé, alors que le précédent recul du délai avait entraîné dans les premiers temps une augmentation du nombre de praticiens choisissant d’invoquer leur clause de conscience pour refuser de réaliser des avortements.
Une hostilité intrinsèque et conjoncturelle
Alors que cette question de l’acceptation des professionnels de santé est cruciale, le sondage réalisé sur notre site confirme qu’elle pourrait être difficile à obtenir.
En effet, une large majorité de nos lecteurs médecins, pharmaciens et infirmiers, 62 %, se déclare défavorable au passage du délai légal à 14 semaines, tandis que 34 % approuvent cette mesure et 4 % considèrent complexe de se prononcer.
Sondage réalisé sur JIM du 25 octobre au 16 novembre 2020
Ces résultats suggèrent que contrairement à ce qui pourrait être observé sur d’autres sujets (et en tout cas contrairement à une idée reçue assez largement répandue), les réactions de l’Ordre des médecins et de l’Académie de médecine sont un bon reflet du sentiment majoritaire du corps médical.
Ils ne sont en outre guère surprenants : une même hostilité avait été constatée au moment du passage du délai légal de 10 à 12 semaines.
Ils rappellent que l’IVG constitue pour une grande partie des professionnels de santé un droit indispensable pour éviter les graves conséquences des grossesses non désirées, mais qui doit demeurer limiter afin d’éviter une banalisation, considérée éthiquement et moralement, impossible à approuver.
Ces résultats confirment probablement également qu’une partie des professionnels partagent les inquiétudes exprimées par le président du CNGOF concernant la dangerosité accrue des IVG tardives, sans encore évoquer le fait que plus l’IVG est tardive plus le développement du fœtus peut entraîner des obstacles psychologiques chez les médecins.
Par ailleurs, au-delà d’une probable réticence intrinsèque concernant toute mesure tendant à étendre le champ de l’IVG, cette hostilité révèle probablement une incrédulité quant à la réelle capacité d’un allongement à régler le problème du nombre de femmes hors délai.
En effet, ce nombre n’a pas significativement diminué lors de l’augmentation du délai légal de 10 à 12 semaines. Si des questions d’organisation des soins peuvent être invoquées pour expliquer cette absence d’impact, il n’est également pas impossible que le prolongement des délais ne soit pas la meilleure solution pour répondre à la situation des femmes hors délai.
Les praticiens favorables à l’allongement dénoncent l’hypocrisie de ses pourfendeurs
Les résultats de notre sondage laissent deviner une fracture réelle entre les professionnels hostiles à l’allongement et ceux qui y sont favorables.
De fait, certains médecins, infirmières et sages-femmes, soutiennent avec force la proposition de loi controversée.
Ainsi, l’Association nationale des centres d’avortement et de contraception a initié fin octobre une pétition soutenant l’adoption définitive de la proposition de loi qui a été signée par 400 médecins, gynécologues-obstétriciens, sages-femmes et infirmières.
Par l’adhésion à cette pétition, ces professionnels de santé souhaitent remettre en question les discours évoquant la dangerosité supposée de l’acte, en rappelant que dans plusieurs pays voisins, des médecins pratiquent régulièrement des IVG au-delà de 12 semaines sans aucune difficulté majeure.
Le Dr Nathalie Trignol-Viguier (PH référente du Centre d’Orthogénie du CHU Bretonneau à Tours et co-présidente de l’ANCIC) détaille dans les colonnes de Marie-Claire les motivations de cette action :
« Nous avons voulu faire savoir que des professionnels directement impliqués avaient une vision totalement différente, appuyée par la revue de la littérature, et étaient prêts à pratiquer des IVG jusqu’à 14 semaines (…)
Pour moi, c’est un combat idéologique de s’opposer à ce point à un geste qui est très bien fait près de nos frontières, au sein même de l’Union Européenne, et que l’on cautionne.
C’est juste incompréhensible d’entendre dire que c’est dangereux et qu’il ne faut pas le faire alors que techniquement, une interruption de grossesse est possible jusqu’à 41 semaines d’aménorrhées en France (…)
Est-ce que les médecins hollandais, britanniques ou espagnols sont beaucoup plus compétents que leurs homologues français ? » s’interroge le praticien.
Une question qui en filigrane confirme la nature principalement idéologique du débat et la persistance de sa vigueur, dont témoignent les résultats et la forte participation à notre sondage.
Aurélie Haroche
Copyright © http://www.jim.fr
Crispations tout azimut autour de la réforme de l’IVG
IVG : débat explosif en perspective à l’Assemblée et dans l’opinion