Publié le 22/08/2018
Paris, le mercredi 22 août 2018 – Tout en se montrant prudente sur le sujet, la ministre de la Santé a récemment indiqué qu’elle n’était pas hostile à l’idée d’une expérimentation de l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques. Si cette prise de position ministérielle ouvre pour les défenseurs français de cette évolution une nouvelle ère, il est peu probable que les changements s’opèrent aussi rapidement qu’en Grande-Bretagne. Outre-Manche, quelques semaines seulement se sont écoulées entre la constitution de deux groupes d’experts indépendants sur le sujet et la décision du ministre de l’Intérieur (et non de la Santé) d’autoriser l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques.
Des professionnels de santé prêts à franchir le pas
S’il ne faut sans doute pas prévoir de modifications aussi soudaines en France, ces derniers mois ont conduit à constater un mouvement d’ampleur en faveur de la libéralisation du cannabis à des fins thérapeutiques. Cette tendance s’observe également chez les professionnels de santé. Un sondage réalisé sur notre site du 10 juillet au 21 août révèle en effet qu’une majorité de nos lecteurs se déclare favorable à la délivrance du cannabis (ou de THC/CBD) sur ordonnance. L’adhésion a une telle idée est assez large sans être plébiscitaire puisqu’elle concerne 56 % des professionnels ayant participé au sondage, tandis que 38 % se montrent totalement réfractaires à une telle option et que 5 % ont considéré difficile de se prononcer. Ces résultats s’inscrivent dans une tendance déjà observée dans ces colonnes en 2003.
Des spécialistes conscients des limites des données disponibles
Faut-il voir dans ces résultats une conviction solide quant à l’efficacité du cannabis face à différents symptômes ou plutôt une attitude pragmatique pour répondre aux demandes (potentiellement croissantes) des patients ? Plusieurs éléments suggèrent que la seconde interprétation est la plus pertinente. Ainsi, une enquête nationale menée auprès de 400 oncologues américains, dont les résultats ont été publiés début juillet dans le Journal of Clinical Oncology révèle que seuls 30 % d’entre eux considèrent disposer de données suffisantes pour établir des recommandations fiables sur l’utilisation du cannabis. Néanmoins, 67 % de ces praticiens jugent que la marijuana est un traitement adjonctif utile dans la gestion de la douleur.
Des preuves restreintes, des effets secondaires redoutés
Si les médecins américains n’hésitent pas à admettre les limites des données dont ils disposent, c’est que ces dernières demeurent inégales. Un très large travail d’analyse publié l’année dernière par les académies américaines de Médecine, de Sciences et d’Ingénierie reposant sur plus de 10 700 études avait conduit à conclure que s’il existait des certitudes ou des preuves substantielles de l’efficacité du cannabis sur les douleurs chroniques chez l’adulte, les nausées et les vomissements induits par la chimiothérapie et les spasmes musculaires associés à la sclérose en plaque, il demeure impossible de se prononcer en ce qui concerne les anorexies liées au cancer, le syndrome de l’intestin irritable, l’épilepsie, la SLA ou encore la chorée de Huntington. On relèvera par ailleurs qu’en décembre 2017, le Collège des médecins de l’Alberta a dans trois avis différents invité à la prudence vis-à-vis des effets indésirables du cannabis utilisé à des fins thérapeutiques. D’une manière générale, la recherche manque encore de données robustes.
Un encadrement minutieux indispensable
Ces lacunes n’ont pas empêché de nombreux pays à franchir le pas, face notamment à la persistance de douleurs réfractaires chez certains patients. Par ailleurs, l’autorisation du cannabis thérapeutique s’inscrit dans une appréciation différente de la notion de soulagement de la douleur. « L’usage du cannabis thérapeutique (…) soulage probablement plus la souffrance dans sa globalité – physique, psychique et sociale – qu’un symptôme spécifique » faisait ainsi remarquer il y a quelques mois sur le site The Conversation le docteur Nicolas Authier (psychiatre et professeur à l’Université Clermont). Mais au-delà de ce positionnement pragmatique et de cette évolution philosophique, la question de l’encadrement est cruciale en cas de libéralisation.
Il ne peut probablement s’agir uniquement d’autoriser les médicaments contenant du THC/CBD. De telles dérogations existent déjà : deux traitements sont potentiellement disponibles (mais l’un, le Sativex, faute d’accord concernant son prix ne peut encore être prescrit en France). C’est donc plus probablement une délivrance médicalisée qui doit être mise en place.
Sur ce point, Nicolas Authier suggérait « La création d’un dispositif d’accès au cannabis à visée thérapeutique, en dehors de celui des médicaments autorisés, doit être réfléchie avec tous les acteurs concernés. Cela a été fait dans des pays comme le Canada, la Suisse ou l’Allemagne. En France, les professionnels de santé, les institutions qui les représentent, les associations de patients et les autorités sanitaires devront travailler ensemble sur la pertinence et la faisabilité d’un dispositif impliquant des structures agréées et des médecins formés. A la croisée de la recherche et du soin, la mise en place d’un registre français du cannabis thérapeutique serait une première étape pour accompagner les patients concernés. Médecins et patients seraient inscrits sur ce registre piloté par une équipe de recherche rattachée à l’Inserm.
Le patient bénéficierait alors d’une délivrance encadrée d’extraits de cannabis standardisés issus d’une production et d’une distribution contrôlée par un monopole d’État. Cela permettrait d’optimiser cet usage avec une supervision médicale pesant le bénéfice et le risque. Enfin, un tel dispositif permettrait aussi d’améliorer les modalités d’administration du cannabis en proposant des alternatives moins toxiques que le fumer sous forme de cigarette roulée – les « joints ». Par exemple par la bouche en gélules, ou par voie transmuqueuse en spray. Les patients atteints de maladies chroniques et sévères, réfractaires aux médicaments disponibles (dont les médicaments cannabinoïdes), pourraient ainsi passer d’une pratique d’automédication avec une substance illicite à un encadrement légal, médical et sécurisé » décrivait-il.
Reste à savoir si même à travers un tel cadre, ceux qui redoutent fortement une explosion de la consommation et des effets délétères associés se montreraient plus rassurés et plus convaincus.
Aurélie Haroche
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