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Date de publication : 14 Septembre 2017 image: https://eurekasante.vidal.fr/themes/main/default/front/imgs/icon-comment.png
Une équipe américaine a comparé le devenir de 560 patients atteints de cancers du sein, du poumon, du côlon ou de la prostate et pris en charge avec les traitements actuellement recommandés au devenir de 281 patients cancéreux utilisant exclusivement des « médecines alternatives ».
Cette comparaison, effectuée par Skyler Johnson et son équipe et dont les résultats ont été publiés dans le Journal of the National Cancer Institute, fait émerger une nette perte de chance sous « médecine alternative », puisque la mortalité globale y est 2 fois et demi supérieure que sous traitement conventionnel.
L’écart varie selon le type de cancer considéré (5,6 fois plus de décès pour le cancer du sein, non significatif pour le cancer de la prostate, ce qui confirme au passage l’évolution lente de ce cancer) maisreste très défavorable aux options « alternatives ».
En conclusion, face à ces risques de plus probablement sous-estimés, les auteurs insistent sur l’importance de tenter de déceler, en communiquant davantage avec eux, les patients atteints d’un cancer évolutif ayant recours à de telles approches non validées (souvent plus jeunes, vivant dans un milieu plus aisé, ayant un plus haut niveau socio-éducatif), surtout lorsque ces approches remplacent, au lieu d’éventuellement les compléter (ce qui peut être utile, comme l’activité physique), les thérapies usuelles.
Le recours aux traitements non conventionnels est le plus souvent « complémentaire », et non « alternatif »
Convaincre les patients d’accepter un traitement lourd en cancérologie n’est généralement pas très difficile eu égard à la gravité de la maladie.
Mais certains patients préfèrent, par exemple après avoir entendu des informations, discuté avec des patients atteints de cancers ou avoir beaucoup lu sur internet (sans avoir forcément le sens critique scientifique nécessaire pour « digérer » de telles lectures, surtout en étant perturbé par une maladie grave), se tourner vers des approches « complémentaires », aux bénéfices pas toujours démontrés ou mal étayés sur ces pathologies, et surtout ne devant pas conduite à l’abandon des traitements usuels, validés.
De plus, s’ils recourent aux thérapies non conventionnelles, ils se gardent généralement de le mentionner aux médecins.
Cependant, rares sont ceux qui se tournent exclusivement vers ces approches.Ces dernières méritent alors le titre de thérapies « alternatives » et non « complémentaires », puisqu’elles remplacent le traitement actuellement en vigueur.
Analyse de la survie moyenne de 2 groupes de patients atteints de 4 types de cancers
Skyler Johnson et son équipe de la faculté de médecine de Yale (USA) ont donc effectué une étude inhabituelle pour tenter d’estimer l’impact sur le pronostic vitalde ce dernier choix (« alternatif » et non « complémentaire »).
Le recrutement des dossiers patients s’est fait de 2004 à 2013. Les quatre cancers les plus fréquents aux Etats Unis ont été choisis comme référence : sein, prostate, poumon et côlon/rectum.
Les thérapies dites « conventionnelles » comprenaient la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie et/ou l’hormonothérapie. Les stades 4 et terminaux ont été exclus du fait de l’espérance de vie brève.
Les 281 patients identifiés comme traités exclusivement par des méthodes « alternatives » étaient plus souvent des femmes, plus jeunes, à moindre comorbidité etplus haut niveau socio-éducatif. Le lieu de résidence de ces patients était plus fréquemment la zone Pacifique et l’interrégion rocheuse américaines, zones plus riches que d’autres dans ce pays.
Le cancer de ces 281 patients était majoritairement du sein ou du poumon, à des stades plutôt 2 et 3.
Les 580 « conventionnels » ont été appariés aux 281 « alternatifs » 2 pour 1 pour tous critères sur une moyenne de suivi de 66 mois.
Traitement alternatif », un facteur indépendant de mortalité tous cancers confondus
En analyse univariée, tous cancers confondus, les patients suivant des traitements « alternatifs » (qui n »étaient pas définis par les dossiers de la base nationale) ont présenté une survie globale à 5 ans de 54,7 %, contre 78.3 % aux traitements conventionnels, soit un risque relatif de décès multiplié par 2,21 (hazard ratio [HR] 2,21, IC95%1,72 – 2,83) :
Ces différences persistent en ajustant les résultats en fonction des facteurs sociodémographiques, avec un risque de décès 2 fois et demi supérieur (HR à 2,50 IC95% 1,88 – 3,27).
De survies différenciées selon le type de cancer
La survie à 5 ans avec un cancer du sein, dans le groupe « alternatif », était de 58,1%(IC95% 46,0% – 68,5%) contre 86.6 % en conventionnel (P < 0,001). Soit un risque realtif de décès multiplié par 5,68 en traitement « alternatif » (HR = 5,68 ; IC95 3,22 -10,04) :
Le choix « alternatif » s’avère donc particulièrement néfaste face à un cancer du sein aux premiers stades, car un temps précieux est perdu, avant que l’aggravation ramène les patientes dans en centre de médecine officielle, constatent les auteurs.
En cas de cancer colo-rectal, la survie à 5 ans était de 19,9 % dans le groupe « alternatif », contre 79,4 % dans le groupe « conventionnel » (P < 0,001), avec un risque relatif de décès multiplié par 4,57 (IC95% 1,66 -12,61) :
En cas de cancer du poumon, la survie constatée était de 19,9 % (IC95% 9,9% -32,4%) dans le groupe « alternatif », contre 41,3 % en conventionnel (P < 0,001) avec un risque relatif de décès multiplié par 2,17 (IC95% 1,42- 3,32) :
image: http://vidalactus.vidal.fr/gestionnaire/_images/mediatheque/Alternatives-POUMON-therapies-medecines-survie-globale-cancers-prostate-sein-poumon-colon-rectum-1.jpg
Par contre, les auteurs n’ont pas constaté de différence significative chez les patients atteints d’un cancer de la prostate. Ils ne sont par ailleurs pas surpris, eu égard à sa faible agressivité, ainsi qu’aux stades consignées dans les dossiers compilés pour lesquels la seule surveillance active est recommandée. En outre, la durée de l’étude est trop courte pour mettre en évidence une significativité que Johnson et coll. considèrent probable si l’on allongeait cette durée :
Des limites qui ne pourraient qu’accentuer les résultats, selon les auteurs
Pour les auteurs, les limites de cette étude ne pourraient qu’augmenter l’impact défavorable des médecines alternatives qui serait sous-évalué.
En effet, les auteurs ont manqué d’informations sur un possible panachage de traitements conventionnels et alternatifs dans les dossiers. De plus, la typologie des patients alternatifs exclusifs est plus jeune, en meilleure santé par ailleurs et mieux aidée par son niveau de vie plus élevé, ce quinormalement devrait aider à une survie un peu plus prolongée.
En conclusion : gare au recours exclusif aux « médecines alternatives » !
Les risques évoqués dans l’étude sont importants, et donc probablement sous-estimés : près de 6 fois plus de risque de mourir d’un cancer du sein, 4,5 fois plus de risque avec un cancer du côlon et/ou du rectum, plus de 2 fois plus en cas de cancer du poumon.
Certes, des thérapies non médicamenteuses peuvent aider à la survie, à commencer par l’activité physique, le maintien d’une vie sociale riche, voire d’uneactivité professionnelle, ou encore la relaxation (sophrologie, yoga), la lutte contre le surpoids ou, à l’inverse, la prise de compléments nutritionnels en cas de dénutrition avérée.
Le danger survient lorsque ces thérapies complémentaires, et d’autres, parfois farfelues, remplacent le traitement conventionnel, comme le montre bien cette étude.
D’où la délicate mission des cancérologues, médecins traitants autres professionnels de santé et aidants de tenter de repérer de telles bascules, afin de tenter d’en dissuader rapidement les patients concernés afin d’éviter toute perte de chance.
L’actualité récente vient d’illustrer le danger possible de thérapies « complémentaires » ou alternatives » en cas de cancer : un Australien de 67 ans, ayant un cancer de la prostate en rémission, a pris pendant 5 ans des amandes contenues dans les noyaux d’abricots, persuadé, peut-être par des sites « alternatifs » peu crédibles comme celui-ci, qu’ils pouvaient prévenir le retour du cancer. De fait, il s’est empoisonné avec ces amandes de noyaux d’abricot, présentant un taux de cyanure sanguin 25 fois supérieur aux niveaux acceptables !
Heureusement, des médecins s’en sont aperçus au décours d’une intervention chirurgicale (exploration d’une hypoxie inexpliquée), lui ont demandé d’arrêter de consommer ces amandes et tout est rentré dans l’ordre. |
En savoir plus :
Use of Alternative Medicine for Cancer and Its Impact on Survival. Skyler B. Johnson, Henry S. Park, Cary P. Gross, James B. Yu. J Natl Cancer Inst (2018) 110(1): djx145
Noyaux d’abricots: Attention à l’intoxication au cyanure, 20minutes.fr, 13 septembre 2017 (article reprenant cette étude de cas anglaise : An unusual presentation of chronic cyanide toxicity from self-prescribed apricot kernel extract, BMJ Case Reports, 11 septembre 2017)
Sur VIDAL.fr :
Une « revue-ombrelle » montre une association forte entre surpoids et 11 types de cancers (mars 2017)
Rapport sénatorial : comment lutter contre les dérives thérapeutiques et sectaires ?(avril 2013)
Thérapies complémentaires : analyses et recommandations de l’Académie de médecine(mars 2013)