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L’aile se règle avec trois bouts : chariot d’aile, chariot de grand-voile et écoute pour ajuster l’orientation, la cambrure et le vrillage. Le foc autovireur est complété au portant par un gennaker sur enrouleur. | GILLES MARTIN-RAGET
Gilles Martin-Raget. Publié le 07/05/2019
Repéré aux Voiles de Saint Barth, l’Eagle 53 est un étonnant catamaran gris métallisé doté de foils et d’une aile rigide digne de celle des bolides de l’America’s Cup. Cet exemplaire, pour l’instant unique, pourrait bien avoir des grands frères à l’avenir. Gilles Martin-Raget a été bluffé. Il nous explique…
Il fallait bien que cela arrive un jour. À force de voir des catamarans à aile rigide et foils filer comme des avions, un anonyme fortuné a fini par dire : « Je veux le même ! » Sous-entendu : pas pour faire de la course mais pour mes navigations personnelles, quand il fait beau. Pour aller du port à la plage en famille ou avec les amis, tirer un bord à 25 nœuds autour des îles, faire un mouillage à l’heure de l’apéro, piquer une tête, avaler un en-cas, faire une petite sieste, puis route retour, à bloc toujours !
Trois ans de gestation
Donc, l’impétrant, accessoirement déjà propriétaire d’un Gunboat de 90 pieds, contacte Peter Melvin. Ce dernier était aux manettes de la jauge de la Coupe de l’America et a vu naître les catamarans monstrueux de San Francisco, puis les AC45 et les 50 pieds des Bermudes. Avec comme réponse en substance à l’époque : « N’y pense même pas mon coco, c’est trop compliqué à gérer ».
Mais ça, c’était il y a cinq ans.
Et comme l’individu a de la suite dans les idées et que les concepteurs étaient séduits par la problématique à résoudre, l’histoire a quand même fait son chemin. Bien aidée par l’évolution fulgurante des techniques, des idées et de tout le savoir-faire qui tourne autour des ailes et des foils. Avec l’appui d’un financement ad hoc.
Les foils de la version standard permettent d’accroître la puissance et de soulager le bateau. Dans la version « Turbo », les foils en T orientés vers l’extérieur et les safrans ajustables permettront un décollage total de la plate-forme. | GILLES MARTIN-RAGET
Après trois ans de gestation, l’Eagle 53 existe. Il navigue – vite – et on envisage sérieusement de lui construire des petits frères. Des petits frères éventuellement plus grands. Entre-temps, des créateurs plus que confirmés ont planché sur tous les aspects du projet. Tant qu’à faire, autant impliquer les meilleurs spécialistes.
Des concepteurs issus de la Cup
Pas étonnant donc que les noms comme celui de Randy Smyth, le légendaire coureur de catamaran US multiple médaillé olympique figure sur la liste de ceux qui ont fait partie de l’aventure. Paul Bieker, l’électron libre du Team Oracle Racing qui a pondu les idées les plus folles autour des multis de son équipe, cinq America’s Cup durant, est aussi présent. Mais aussi d’autres concepteurs ou constructeurs de l’équipe Oracle parmi lesquels on retrouve le jeune ingénieur français Steven Robert qui a dessiné l’aile.
Aucun chantier n’a voulu se lancer dans l’aventure, il a donc été créé pour l’occasion à Bristol dans le Rhode Island. Là encore avec des gens qui ont façonné de quantité d’œuvres d’art en carbone pré imprégné haut module dans le giron d’Oracle Racing pendant des années.
Une aile hybride
Elle est fine, élancée et ressemble un peu à une aile de Classe A avec une quête très prononcée. Il n’y a pas de volet, la partie arrière orientable que l’on voit habituellement sur les bateaux de la Coupe de l’America. En réalité, il s’agit d’une aile hybride. En navigation, une « grand-voile » est hissée sur un rail fixé sur le bord de fuite de l’aile. Ce système breveté permet d’abord de moduler la surface totale. La partie « textile » peut être envoyée ou non, réduite à un ou deux ris selon la force du vent ou l’allure.
Une fois en l’air, elle constitue un immense volet arrière qui accroît l’efficacité et la puissance du gréement en apportant deux réglages supplémentaires : Le vrillage. C’est-à-dire choquer l’écoute qui tend plus ou moins la chute. Et la cambrure. C’est-à-dire jouer sur la position relative des deux chariots sur rails circulaires. Celui de l’aile rigide et celui de la grand-voile textile. Donc, trois bouts en tout pour régler l’ensemble depuis le cockpit et avec des winches électriques. Lumineux !
L’Eagle 53 au près dans l’alizé sous grand-voile à un ris et foc. La surface de voile peut encore être réduite pour une navigation sous aile seule. | GILLES MARTIN-RAGET
Au mouillage, l’Eagle 53 est amarré par l’arrière. L’aile est tournée à l’envers et maintenue par deux bouts. C’est ainsi que le cata est le plus stable et reste exactement dans l’axe du vent, ce qui supprime de fait tout zigzag intempestif. À quai ou dans une marina, l’aile est laissée libre. Sa largeur réduite ne débordant pas au-delà des coques par vent de travers. Il fallait oser, mais apparemment cela fonctionne.
Le large bimini symbolise à lui seul l’intelligence de la foule de solutions adoptées qui sortent souvent des sentiers battus. Côté face il apporte l’ombre nécessaire à l’espace vie situé entre les deux coques. Côté pile, il crée une surface conséquente pour les amateurs de bains de soleil. Mais pour les fous de techniques, il fait surtout office de plaque située à la base de l’aile. On sait à quel point cette solution améliore la circulation dans filets d’air dans sa partie basse.
Sur l’avant, le plan de voilure est complété par un foc autovireur et un gennaker sur enrouleur pour le portant. Toutes les manœuvres reviennent au cockpit central situé entre les deux postes de barres.
Deux versions de foils
Pour le moment, les deux grands foils courbés, tournés vers l’intérieur et complétés par un « tip » de taille réduite sont relativement classiques. Ils permettent de valider le concept général du bateau. Mais une seconde version est déjà dans les tuyaux. Les foils de la version « Turbo » seront en forme de T tournés légèrement vers l’extérieur afin de faire vraiment décoller le bateau en sécurité. Les safrans sont équipés de plans horizontaux réglables à leurs extrémités afin de caler l’assiette longitudinale. Les réglages sont fixes actuellement mais pourront être réglés en navigation sur la version « T ».
Design épuré inspiré des superyachts
Outre ces solutions techniques qui puisent dans les aspects les plus extrêmes de la course, le design général est dépouillé, percutant et contemporain. Il est signé Eric Goffrier, qui œuvre d’habitude sur les super yachts. L’équipage est conquis : « C’est le seul bar au monde équipé d’une aile rigide et capable de foiler ! » Un joli bar, résolument moderne, avec de nombreuses banquettes à coussin rouge et un imposant comptoir carbone équipé de tabourets rotatifs.
Si l’Eagle 53 est un dayboat extrême côté voile, la vitesse pure et les performances, c’est aussi une plateforme extrêmement spacieuse qui peut emmener une dizaine de personnes dans de bonnes conditions de sécurité. L’espace vie est profondément ceinturé de toute part. Il y a de nombreux sièges et sofas et un minimum absolu de bouts apparents. Ils sont dissimulés dans les épaisseurs du rouf et ses tubes de structure. Chacune des coques est équipée d’une cabine avec salle d’eau séparée, les moteurs à transmission Zdrive étant placés très en avant sous les lits pour un meilleur centrage des poids.
Situé à l’arrière et entouré de tabourets et banquettes, le grand bar est l’élément central de la plate-forme. Les postes de barre et le cockpit central occupent un minimum de place. | GILLES MARTIN-RAGET
Il sera intéressant de voir comment va se développer ce qui est bien plus qu’un concept boat… à coup sûr le dayboat le plus rapide du monde
Il reste évidemment un jouet un peu fou et très onéreux. Ce qui est certain, c’est que les Antilles constituent un terrain de jeu rêvé pour ses deux coques affûtées et son turbo à voile. Il ne serait pas étonnant de le retrouver en régate au milieu de ses congénères dès la prochaine saison de course en mer des Caraïbes, notamment aux Voiles de Saint-Barth…
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Les chiffres de l’Eagle 53 :
– Longueur de coque : 16.5 m
– Longueur à la flottaison : 16.08 m
– Largeur hors tout : 8.5 m
– Tirant d’eau dérive basse, foils en C : 3.05 m
– Tirant d’eau dérive haute, foils en C : 0.45 m
– Tirant d’eau dérive haute foils en T : 2.9 m
– Tirant d’eau dérive basse foils en T : 0.605 m
– Tirant d’air : 26.9 m
– Déplacement minimum : 6000 kg
– Déplacement en charge : 7540 kg
– Hauteur sous barrot (salon et coques) : 2.00 m
– Largeur de coque : 1.1 m