mardi 30 octobre 2018
Actualités & Opinions > Actualités Medscape – Dr Jean-Pierre Usdin – 25 octobre 2018
Philadelphie, États-Unis – Est-ce qu’un système d’incitation financière brève pour les patients et/ou les médecins fondé sur le contrôle du taux de LDL est économiquement viable ? C’est la drôle de question que se sont posés des chercheurs de l’École de Santé publique de Boston. Grâce à des simulations informatiques s’appuyant sur une population réelle, l’équipe de Ankur Pandya montre que la stratégie est efficiente lorsque les incitations financières sont partagées entre les deux acteurs, et ce dès 1 an [1]. Après la rémunération aux objectifs, à quand la rétribution de l’observance ?
Simulation à 10 ans d’une étude effectuée sur 1 an
Dans leur étude, Ankur Pandya (Havard TH Chan School of Public Health Boston) et son équipe ont développé un modèle, CVD PREDICT(Cardiovascular Disease Policy Model for Risk, Events, Detection, Interventions, Costs, and Trends), leur permettant de réaliser une simulation économique à 10 ans des résultats favorables de l’étude clinique randomisée Effect of Financial Incentives to Physicians, Patients, or Both on Lipid Levels menée parAsch et coll. en 2015 [2]. Celle-ci avait montré une diminution significative à 1 an du taux de cholestérol LDL lors d’une incitation financière partagée entre le médecin et son patient. En se fondant sur la détection, l’intervention, le coût des maladies cardiovasculaires, le programme CVD PREDICT est en effet capable de simuler à long terme les coûts et conséquences de l’intéressement financier dans le traitement de l’hypercholestérolémie [3]. Le principe est le suivant, en utilisant les données de l’étude de Asch, les chercheurs ont créé une population virtuelle (1 million de patients modèles dont 31% de femmes) ayant le même âge (61 ans) et le même niveau moyen de cholestérol 1,53g/l que la population enrôlée dans l’essai clinique d’origine.
Ont ensuite été évaluées 4 stratégies nécessitant la constitution de 4 groupes-modèles à l’instar de ceux évalués dans l’essai clinique de Asch et collaborateurs (voir encadré ci-dessous) :
- un groupe témoin sans rémunération,
- un groupe dans lequel le médecin était rémunéré (1 000 $ par patient qui atteignait le seuil de LDL fixé),
- un groupe patient rémunéré qui participait au tirage au sort pour 1 000 $ s’il était adhérent au traitement,
- un groupe dans lequel patient et médecin partageaient les gains entre eux.
Un pilulier connecté au centre d’étude était fourni à chaque patient. Et le LDL-cholestérol était évalué de façon trimestrielle.
Protocole de l’étude originale [2]
L’étude qui a inspiré les chercheurs comportait 350 médecins et leurs 1 500 patients. Les patients recrutés devaient avoir : un score de Framingham à 10 ans d’au moins 20%, ou une maladie vasculaire avec un LDL cholestérol > 1,2g/l ou un score entre 10 et 20% avec un LDL > 1,4g/l.
Les médecins traitants étaient répartis au hasard dans 4 groupes.
1/ Un groupe témoin sans rémunération, 2/ un groupe dans lequel le médecin était rémunéré (1 000$ par patient qui atteignait le LDL fixé), 3/ un groupe patient rémunéré qui participait au tirage au sort pour 1 000$ s’il était adhérent au traitement, 4/ un groupe dans lequel patient et médecin partageaient les gains entre eux. Un pilulier connecté au centre d’étude était fourni à chaque patient.
A un an les patients du groupe partagé avaient une diminution de 0,336g/l du LDL initial, significativement plus nette que celle du groupe contrôle 0,251g/l (p= 0,002).
Les diminutions dans les groupes patients (0,251g/l) ou médecins (0,279g/l) n’étaient pas significativement différentes de celles du groupe témoin.
Les auteurs concluaient : les incitations financières partagées permettent une diminution significative du LDL à 12 mois. Il faut maintenant savoir si cette approche financière est une initiative efficiente.
A l’issue du calcul : la stratégie « médecin-patient » est la meilleure
Le modèle a fait évoluer ces 4 groupes virtuels en les projetant 10 années plus tard et a comparé une mesure standard de coût/efficacité dite QALY faisant intervenir la longévité et la qualité de vie du patient rapportées au coût d’une année de vie gagnée (l’investissement divisé par la réduction obtenue sur les dépenses de santé). Les auteurs ont défini un rapport investissement/QALY dans lequel le système de santé ne trouve pas son compte si le rapport dépense/économie est élevé – le rapport gagnant/gagnant correspondant à un investissement modéré/QALY élevé !
Dix ans plus tard, en affichant un rapport dépense/économie élevé et un faible QALY, le groupe témoin (sans incitation) est perdant par rapport aux 3 autres stratégies.
Les stratégies incitation financière vers le patient ou le médecin sont elles-mêmes dépassées à 10 ans par celle du couple médecin/patient partageant les gains. Dans cette hypothèse, investir dans une année d’incitation est efficace avec un coût 60 000$ par QALY même si le taux de LDL augmente.
Même si le taux de cholestérol LDL n’est pas maintenu à l’objectif au-delà de 7 ans
Toujours selon les projections, autorisées par les modèles informatiques, la stratégie du partage s’avère encore efficace mais de moins en moins performante, si le taux de cholestérol LDL n’est pas maintenu à l’objectif au-delà de 7 ans, voire 5 ans (avec des rapports coût 100 000$/QALY et 130 000$/QALY, respectivement).
Les auteurs soulignent d’ailleurs qu’il n’est pas non plus interdit de penser que le taux de cholestérol soit encore favorable à 5 ans, dans ce cas, l’économie serait plus probante !
« Ce modèle d’évaluation économique basé sur des données cliniques, tend à prouver que la rémunération partagée entre les médecins et leurs patients est favorable [à la santé des patients et au système de santé] (…) Ces résultats sont financièrement adaptés, si l’on se réfère aux repères américains coût-efficacité, [dans l’étude calculé à 60 000$/QALY]. Les seuils pour les USA sont situés entre 100 000/QALY et 150 000$/QALY » affirment les auteurs.
Cependant, il convient aussi d’évaluer ces chiffres en fonction de la durée du traitement du taux de LDL pas forcément maintenu dans les critères. On a vu que la projection suggère que cela reste valable pour un LDL maintenu dans les zones recommandées même s’il ne s’agit que de 7 ans voire pendant 5 ans !
Notre consœur de Medscape.com a interrogé le Dr Lauren G Gilstrap, cardiologue et chercheur en économie de la santé, laquelle s’est montrée plutôt enthousiaste considérant que : « cette étude est particulièrement bien réalisée et procure des informations pertinentes tant aux payeurs, qu’aux patients et aux assureurs ». Elle a ajouté que « la plupart des patients traités par les statines vont bien, le prix des génériques est abordable, la majorité des patients poursuivront ce traitement. Fixer à 10 ans [dans l’étude] le déclin de l’effet du traitement est probablement défaitiste ».
Les auteurs concluent, eux, que « ce modèle statistique inspiré des résultats d’un essai clinique randomisé montre que les incitations financières partagées entre le médecin et son patient pour contrôler le LDL cholestérol atteignent les standards conventionnels coût-efficacité. Cependant ces résultats positifs sont dépendants de la durée de la réduction du taux de LDL, des coûts impliqués et de l’horizon auquel on se place ».
Ce payement à la performance et à l’observance a-t-il, pour autant, un avenir dans nos systèmes de santé ?
Le Dr Pandya n’a pas rapporté de liens d’intérêt.
Le Dr Asch a reçu des fonds du National Institutes of Health (NIH) pendant l’étude et est partie prenante et partenaire de VAL Health. Cette étude a été financé par des financements du National Institute on Aging and the National Heart, Lung, and Blood Institute. Le Dr Gilstrap n’a pas rapporté de liens d’intérêt. |
Références : Actualités Medscape © 2018
Citer cet article: Est-ce rentable de payer médecins et patients pour atteindre les seuils de LDL-chol ? – Medscape – 25 oct 2018.