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Arrêtons les expérimentations ! » Le professeur François Carré, cardiologue, médecin du sport au CHU de Rennes, alerte depuis des années sur la trop faible activité physique des enfants, en France.

« On n’a plus le temps. La mèche est de plus en plus courte… »

Le professeur François Carré.

Le professeur François Carré. | OUEST-FRANCE

Ouest-FranceRecueilli par Gaspard BREMOND. Publié le 26/04/2023 à 07h01

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ENTRETIEN. « Nos enfants ne font pas assez de sport et préparent leur infarctus à 30 ans ! » (ouest-france.fr)

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François Carré n’a pas l’habitude de mâcher ses mots quand il s’agit d’alerter l’opinion, les politiques, sur les maux qui traversent notre société dès qu’il est question de santé.

Ce cardiologue rennais, médecin du sport, a été l’un des auteurs dune étude, à l’hiver, évoquant la baisse de la capacité physique des adolescents.

Il y a quelques années, il fut également l’un des spécialistes ayant plaidé pour l’initiative des « trente minutes de sport » à l’école primaire pour tous les Français.

Désormais obligatoire dans les écoles, ce dispositif est pourtant, dans la pratique, pas assez mis en place.

Sans accuser le corps enseignant, car il le comprend en partie, François Carré regrette néanmoins qu’en 2023, l’activité physique soit le plus souvent encore reléguée tout en bas des priorités des professeurs. 

« On ne sait pas assez que le sport permet de mieux apprendre, de mieux comprendre ! », dit-il, lançant en quelque sorte un appel aux enseignants. 

« Et ce qu’on constate, en tout cas, c’est que les jeunes, aujourd’hui, ont des maladies de vieux… » .

Remettre l’enfant en mouvement

« Aujourd’hui, il faut remettre le petit en mouvement. Simplement le faire bouger.

J’avais été alerté il y a quelque temps par des professeurs d’EPS au collège qui me disaient qu’à l’entrée en 6e, sur six enfants, trois ou quatre ne pouvaient pas faire quatre cloche-pied sur le même pied.

Cela voulait dire qu’il était inutile de leur apprendre un sport car déjà, en psychomotricité, ils étaient très en retard.

Sur six enfants à qui on lançait un ballon, trois ne l’attrapaient pas car ils n’y arrivaient pas.

On ne leur avait jamais envoyé de ballon. J’ai donc expliqué qu’en primaire, il fallait remettre l’enfant en mouvement, en activité, et ensuite au collège lui apprendre une activité physique, faire de l’apprentissage d’un sport.

Un enfant qui ne bouge pas sera un adulte qui ne bouge pas. Toutes les études le démontrent.

Aujourd’hui, les enfants ne savent pas ce que c’est que l’effort.

On voit des enfants de collège car ils sont très rouges quand ils courent ! Ils ont le cœur qui bat très vite.

Cela veut dire qu’il n’y a pas l’habitude de l’effort. Cette habitude, il faut la prendre plus jeune.

Le meilleur moment c’est le primaire. Surtout qu’on a tous les bienfaits en plus, et j’insiste sur ça : l’enfant apprend mieux, plus vite, il est plus calme.

Des professeurs des écoles qui ont mis en place les trente minutes de sport par jour m’ont appelé et m’ont dit : « J’ai divisé par deux les trente minutes.

Quinze minutes à l’entrée quand ils arrivent, quinze minutes après la cantine.

Comme ça j’ai des enfants qui sont calmes, plus réceptifs à ce que je leur apprends. »

L’enfant qui arrive à l’école le matin a, en moyenne, fait seulement cinquante pas entre le moment où il s’est couché la veille et son arrivée à l’école.

Comment ne pas comprendre qu’il ne tient pas en place sur sa chaise ?

Je sais qu’il y a une expérience qui est intéressante, les « rues scolaires ».

On ferme des rues à 200 ou 300 mètres des écoles, pour permettre aux enfants de marcher un peu avec leurs parents avant d’entrer en classe. C’est bon pour tout le monde. »

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Les bienfaits sur l’apprentissage du sport à l’école

« L’enfant qui fait quinze minutes d’activité en matinée apprend bien plus de choses dans le reste de la matinée que celui qui reste quatre heures sans bouger.

Et même si son professeur trouvera qu’il a bien avancé ! Ce n’est pas parce qu’on a bien avancé que l’enfant a bien intégré.

Des études démontrent cela. Vous prenez deux strophes de poésie à apprendre. Vous divisez la classe en deux.

Le premier groupe apprend la poésie, le deuxième va courir.

Le premier met onze minutes à apprendre la première strophe, le deuxième l’apprend en sept minutes après avoir couru.

Le lendemain, inversion des rôles. Celui qui la veille avait appris la première strophe en sept minutes, qui n’a pas couru, va l’apprendre en onze minutes.

Celui qui, cette fois va courir, va l’apprendre en sept minutes.

Si vous faites une IRM cérébrale d’un enfant qui entre en classe, en s’étant simplement levé, lavé les dents, habillé, et venu à l’école, ne peut pas apprendre, car son cerveau dort.

Mais le même enfant qui a bougé dix-quinze minutes, le cerveau est « ouvert », prêt à tout capter.

Il faudrait que les professeurs du primaire essaient de commencer par l’activité physique.

Vous verrez qu’ils seront convaincus.

Il faut regarder les choses en face. En CM1, on est avant-dernier en mathématique sur les classements.

Est-ce que vraiment, sous prétexte qu’on a fini le programme, on peut être content de cela ?

Est-ce qu’il ne vaut pas mieux peut-être réduire les programmes et changer de méthode, ajouter à l’apprentissage quelque chose qui permette à l’enfant d’être plus concentré, plus calme, pour mieux apprendre ?

À Nogent-sur-Marne, dans l’école pilote de ce dispositif, ça fait depuis 2019 qu’ils font trente minutes d’activités physiques chaque jour.

Mme la ministre des Sports a demandé aux enfants « Qu’est-ce que ça vous a apporté les trente minutes de sport par jour ? »

Une petite fille a levé la main et elle a dit : « Moi, depuis qu’on fait trente minutes de sport tous les matins, on ne se dispute plus dans la classe ! ».

C’est un message énorme. Il faut que les professeurs le comprennent. »

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Des « 30 minutes » pas assez réalisées

« Là où il y a un problème, c’est qu’il aurait fallu former et expliquer aux professeurs des écoles.

On leur a dit « C’est trente minutes d’activité physique, c’est comme ça ! » Non, ce n’est pas bien.

D’autant qu’ils ont désormais à gérer le savoir-nager, le savoir-pédaler… Cela fait beaucoup de choses.

C’est vrai, aussi, que des kits (pour faire du sport) devaient être mis en place, et ça n’a pas été le cas, il n’y en avait pas assez pour toutes les écoles.

Cela a fait amateur. Honnêtement, comment convaincre des professeurs des écoles en leur disant : « Vous faites plus d’activités physiques mais vous vous débrouillez ! »

Cela montre bien qu’on n’accorde pas d’importance à l’activité physique.

Jamais on aurait dit cela pour les mathématiques, par exemple.

Résultat, aujourd’hui, malheureusement, quand il y a du temps à gagner, on le fait sur l’activité physique, c’est une erreur grossière. »

L’inquiétude

« Je suis très inquiet. Aujourd’hui, nos collégiens de 15 ans préparent leur infarctus à 30 ans.

Aux États-Unis, une étude vient de démontrer que tous les enfants qui sont en surpoids entre 6 et 11 ans ont 30 % de risques en plus d’avoir un accident cardiaque avant 30 ans que les autres.

Pour moi, on n’a plus de temps à perdre. Arrêtons de faire des expérimentations.

Regardons ailleurs ce qu’il se fait. Vous avez presque autant d’obèses enfants que chez les adultes.

Il y a longtemps je parlais de bombe sanitaire à retardement. Là, je dis que la mèche est très très courte.

Les jeunes, aujourd’hui, ont des maladies de vieux, comme le diabète.

On observe des enfants de 15 ans avec une pression artérielle plus élevée, plus de cholestérol que les enfants de 1971.

Et j’ajoute : qui va soigner ces malades ? Car vous rajoutez la désertification médicale en plus… Si vous avez 200 000 malades de plus par an, qui va s’en occuper ? Je le dis, on ne pourra pas soigner tous les malades. »

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