Le navigateur lorientais, désormais co-skipper du maxi trimaran Gitana 17, a été élu, jeudi, Marin de la Décennie 2010-2020 par un jury réuni par la Fédération Française de Voile. Une distinction qui récompense son palmarès impressionnant, mais aussi sa personnalité de leader avant-gardiste.
Franck Cammas, marin de la décennie 2010-2020 | OUEST FRANCE
Ouest-France Recueilli par Jacques GUYADER.Publié le 17/12/2020 à 14h39
Après deux heures de débat ce jeudi matin, le jury sélectionné par la Fédération française de voile a élu Franck Cammas marin de la décennie à une large majorité.
Franck Cammas, quel est votre sentiment en apprenant cette élection comme Marin de la Décennie ?
C’est sympa, je suis un peu surpris. J’imagine que c’est toujours difficile d’élire un marin parmi d’autres qui pratiquent tous des disciplines aussi différentes les unes des autres.
Ça fait plaisir de ressortir du vote avec une si belle assemblée autour. Même si on ne fait pas de la voile pour ça, ce sont forcément des reconnaissances qui marquent, donc je suis très reconnaissant.
Sur ces dix dernières années, j’ai eu des hauts et des bas, et la chance de pratiquer sur plein de supports différents et c’est ce qui me motive. Grâce à mes partenaires, j’ai pu toucher à tout.
Je suis passionné par tout. Je me suis encore levé à 3 h du matin pour regarder les premières épreuves préliminaires de la coupe de l’America.
Ce sont des bateaux qui me font rêver… En 10 ans, il y a eu tellement de progrès que ce soit en course au large en In shore ou en voile olympique, et il y a des champions partout. Et ce qui est formidable en voile, c’est que l’on peut passer de l’une à l’autre.
Même si ça demande beaucoup de travail.
C’est souvent aussi difficile de gagner des régates qui durent une demi-heure que des tours du monde. Et c’est bien de faire ressortir aussi la voile olympique et ses talents, qui travaillent tout autant et tout au long de l’année.
Qu’ont été, pour vous ces dix dernières années ?
J’ai vraiment switché après la Volvo Ocean Race, vers la coupe de l’America, en essayant étape par étape, en faisant de l’olympisme, ce qui était une formation importante pour moi qui venait de la course au large.
J’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à faire de l’olympisme c’est très difficile techniquement, avec beaucoup de talent autour de soi.
Et autant de départs sur l’eau de détails à intégrer, c’était une grosse phase d’apprentissage.
Et c’est ça qui me motive quand j’entreprends un gros challenge, c’est parce que je ne le maîtrise pas encore et j’ai besoin de trouver des idées pour y arriver.
C’est pour ça que j’ai toujours eu du mal à refaire quelque chose que j’ai gagné, ou que j’avais déjà fait.
À chaque fois, il y a eu des nouveaux trucs.
Comme participer avec Prada aux premiers essais de bateaux volants qui étaient des bateaux magnifiques, les AC 72, ces catamarans à aile rigide, qui ont fait passer une marche énorme en termes de développement de bateau.
On a vu ce que ça donnait en 2013 en baie de San Francisco.
Je trouve que ça marque le début d’une nouvelle ère déclinée à tous les niveaux de bateaux des plus petits aux plus grands.
Et même en course au large aujourd’hui.
Cela a marqué une nouvelle façon de naviguer, ces nouveaux concepts, ce pilotage qui est un peu chamboulé, même s’il faut continuer à faire de la voile, il y a plein de choses à réapprendre, il y a plein de sensations nouvelles et très intenses.
La coupe de l’America a été frustrante parce que l’on peut toujours faire mieux si l’on avait les moyens.
Et c’est toujours un peu la rengaine que l’on a en France, parce que l’on n’a pas une personnalité très forte en termes de moyens qui poussent dans ce sens – là, les équipes françaises, comme en Angleterre et en Italie…
Mais être à la barre du bateau français lors de la première régate de la coupe de l’America était une fierté, et pouvoir battre des équipes très fortes en place, même si cela n’a pas été fréquent, comme les Anglais d’Artemis, cela a été un moment très très fort…
Et de votre côté désormais, les dix prochaines années ?
Je suis revenu à mes premières amours, le multicoque récemment chez Gitana, et c’est une bonne passerelle entre la course au large et le vol…
J’ai aussi la chance d’être toujours aussi passionné par la navigation de tout type.
Et j’aime bien aussi revenir parfois à Port-la-Forêt faire du Figaro pendant deux jours et me prendre des tôles avec des petites jeunes, car cela m’amuse bien de voir que j’ai encore des choses à apprendre aujourd’hui…
Quant aux dix prochaines années, il y a plein de choses à faire.
La Coupe de l’América m’intéresse beaucoup évidemment.
Le Trophée Jules Verne aussi, car en dix ans, on peut peut-être gagner 10 jours, ce qui ferait un gain de 20 % et qui serait exceptionnel.
Donc on a toujours l’impression que l’on a découvert des choses et finalement le progrès avance en permanence. Progrès technique, progrès humain…
Et c’est le cas de la voile, avec le progrès technique, mais aussi sportif et humain quand on voit tous les nouveaux passionnés, ce qui est très important pour la suite.
Vous gardez une préférence pour le solitaire ou l’équipage ?
En fait ces dix dernières années, je n’ai pas beaucoup fait de solo depuis la route du Rhum en 2010, qui est quasiment ma dernière course en solitaire, même si j’aurais dû en faire sur Gitana, il y a quelques mois sur The Transat.
Entre le solitaire et un départ de coupe de l’America c’est un peu le grand écart, ou même avec une régate de Nacra 17.
Un grand écart en termes de technique et d’approche, mais c’est aussi tout ce que la voile peut proposer.
Ce ne sont pas les mêmes plaisirs non plus, la même technique. Aujourd’hui, moi j’aime quand même aller beaucoup dans les détails, pousser mon bateau, sa technique, aller dans la finesse maximale…
Et, pour cela le solitaire n’est pas très adapté car on doit toujours se garder une marge assez confortable par rapport à l’équilibre du bateau. Et on n’utilise pas le potentiel à 100 % comme on peut le faire en équipage.
Et il y a beaucoup plus de choses à apprendre et à développer sur des courses comme la coupe de l’America… où l’on se bat, en plus, contre des équipes extrêmement fortes sportivement, mais aussi techniquement et dans le management.
Et c’est sûrement de ces campagnes-là que naissent toutes les technologies que l’on voit apparaître ensuite sur d’autres types de voile.
Mais en début de la décennie, ce qui a marqué mon parcours c’est la Route du Rhum en 2010, c’est ce qui m’a marqué depuis tout jeune, et c’est presque par hasard que je l’ai gagnée car c’était un essai que de naviguer en solo sur ces grands bateaux tout seul.
Rien n’était scénarisé avec une victoire au bout cette fois-là alors que ça l’était bien plus d’autres fois.
Mais ce fut quand même un aboutissement de 15 ans en course au large en solitaire et en équipages sur des multicoques.
Il y a eu deux moments très forts avec la victoire au bout, la Route du Rhum et la Volvo Ocean Race, et un moment très fort sans la victoire au bout, c’est la Coupe de l’America.
Mais toujours la voile internationale, car c’est toujours intéressant de mettre un pied dans un univers qu’on ne maîtrise pas et qui est de très haut niveau.
C’est toujours une sensation très forte et une motivation décuplée, de mon point de vue…
Voile Ultime Franck Cammas Lorient Sport Morbihan Coupe de l’America Route du Rhum