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Alors qu’un plan de lutte contre l’infertilité, annoncé par Emmanuel Macron, doit être présenté d’ici à six mois, le professeur Samir Hamamah, responsable du service et de l’équipe médicale de Biologie de la reproduction au CHU de Montpellier, et co-auteur d’un rapport sur le sujet, décrypte les enjeux d’une maladie longtemps taboue.

La PMA n’est pas une « baguette magique » contre l’infertilité, prévient le Pr Hamamah. Près d’un couple sur deux (45 %) quitte le circuit de Procréation médicalement assisté (PAM) sans enfant. Une image contenant Police, Graphique, logo, texte

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La PMA n’est pas une « baguette magique » contre l’infertilité, prévient le Pr Hamamah. Près d’un couple sur deux (45 %) quitte le circuit de Procréation médicalement assisté (PAM) sans enfant. | THOMAS BREGARDIS / OUEST FRANCE

Ouest-France Carine JANIN. Publié le 22/01/2024 à 19h11

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 ENTRETIEN. L’infertilité, « une maladie de l’intime » longtemps taboue (ouest-france.fr)

Un plan de lutte contre l’infertilité, annoncé par Emmanuel Macron, lors de sa conférence de presse du 16 janvier, doit être dévoilé « au plus tard d’ici à six mois », vient d’indiquer l’Élysée.

Co-auteur du rapport sur l’infertilité publiée en 2022 avec Salomé Berlioux, le professeur Samir Hamamah,

responsable du service et de l’équipe médicale de Biologie de la reproduction au CHU de Montpellier, en décrypte les enjeux.

Qui est concerné par l’infertilité ? Quelles en sont les causes ? Comment y répondre ? Entretien.

Un plan de lutte contre l’infertilité annoncée par Emmanuel Macron, doit être présenté d’ici à six mois. Nécessaire ?

Indispensable. 3,3 millions de personnes en âge de procréer souffrent d’infertilité, soit 6,6 millions de personnes si on inclut le ou la partenaire. Elle doit devenir une priorité nationale dans le débat public.

Pourquoi cette maladie est-elle longtemps restée en dehors des radars des politiques publiques ?

Parce qu’elle touche à l’intime, à la famille, à la société, à la politique, parfois à Dieu.

Elle a longtemps été considérée comme une maladie honteuse, alors que c’est une maladie comme une autre et si on ne fait rien, elle aura pour effet de faire disparaître l’espèce humaine.

Qui est concerné ?

Un tiers de l’infertilité est d’origine féminine, un tiers d’origine masculine et un tiers concernent l’homme et la femme. Et 15 % reste inexpliquée. C’est un vrai problème de santé publique.

Quelles sont les causes de l’infertilité ?

Trois catégories. Sociétales d’abord. Les femmes font des enfants de plus en plus tard (à 31 ans et deux mois, alors qu’il était autour de 24 ans il y a une trentaine d’années). 30 % des enfants qui naissent actuellement en France ont une mère âgée de 35 ans et plus et un père de 38 ans et plus.

Les femmes, tant mieux, font de plus en plus de formations longues, puis cherchent le job espéré, puis le prince ou la princesse. Et elles arrivent ainsi à 32 ou 33 ans.

Les couples doivent savoir que la fertilité de la femme est optimale à 25 ans. Ensuite, elle diminue.

25 ans, c’est très tôt ?

Quand vous naissez, il ne vous reste que 1 % de votre capital ovocytaire. Dans votre vie intra-utérine, vous aviez un nombre colossal d’ovules : sept millions.

À votre naissance, il ne vous en reste qu’un million, à votre puberté 300 000.

Et entre votre puberté et votre ménopause, il ne vous reste que 200 ou 300 ovules de qualité, sur un chiffre de départ de sept millions.

Le slogan des années 1970 : « Un enfant, si je veux, quand je veux » doit être repensé ?

Aujourd’hui, on devrait plutôt dire : « Un enfant quand je peux ».

Il y a aussi des facteurs environnementaux ?

Ce sont les perturbateurs endocriniens, auxquels on est exposé tout au long de sa vie : ils sont dans les molécules chimiques présentes dans l’atmosphère, dans l’eau.

Regardez autour de vous, dans un périmètre de 5 km à 10 km, s’il n’y a pas une déchetterie, une usine de cosmétologie, de peinture, de pétrochimie, d’agriculture intensive…

Ces perturbateurs endocriniens sont aussi dans les produits que l’on consomme au quotidien…

Par exemple ?

Shampoing, fond de teint, rouge à lèvres… Une femme consomme 5 à 6 kg de rouge à lèvres tout au long de sa vie.

À l’intérieur, il y a des perturbateurs endocriniens, les éthers de glycol, qui permettent de conserver les lèvres colorées toute la journée.

Je demande pour cela au gouvernement la création d’un logo reprotoxique à l’instar de Nutriscore, qui nous permettrait d’être informés avant d’acheter quoi que ce soit.

Après, libre à chacun d’acheter ce qu’il souhaite. Il faut informer et éduquer à l’échelle collective et individuelle.

Ces perturbateurs endocriniens ont aussi une incidence sur la qualité du sperme ?

Un petit-fils dispose aujourd’hui de 56 % des spermatozoïdes dont disposait son grand-père.

Il faut aussi intégrer l’hygiène de vie. Le tabac, l’alcool, la drogue, l’obésité, le sport intense, le manque de sommeil… Avec les perturbateurs endocriniens, cela fait un cocktail explosif.

Et les causes médicales ?

15 % des femmes qui se tournent vers les fécondations in vitro (FIV) sont touchées par l’endométriose.

Une maladie redoutable dont la durée de diagnostic est de sept ans et qui est la première cause d’infertilité féminine.

Aujourd’hui, il existe heureusement un test salivaire innovant, développé par une biotech française, qui permet d’avoir le diagnostic en une dizaine de jours.

Des femmes souffrent aussi du syndrome des ovaires polykystiques, d’autres de pathologiques tubaires qui conduisent à boucher les trompes.

Il y a aussi des facteurs psychologiques ?

Oui. On compte 5 % de grossesses spontanées chez des couples infertiles, soit avant une fécondation in vitro, soit après un échec.

De la même façon, il y a des couples qui, après avoir galéré pendant des années, adoptent un enfant et quelques mois après, une grossesse spontanée survient.

La procréation médicalement assistée peut-être une réponse à l’infertilité ?

Mais la fécondation in vitro n’est pas une baguette magique. Près d’un couple sur deux (45 %) quitte le circuit de procréation médicalement assistée (PMA) sans enfant.

Informer, éduquer… Quelles sont vos autres préconisations ?

Mieux former le corps médical à ces problématiques. Et mieux diagnostiquer l’infertilité, je l’ai évoqué concernant l’endométriose.

Il faut aussi booster la recherche pour améliorer les résultats de la PMA.

Sur ce point, le gouvernement vient de nous accorder trente millions d’euros, c’est bien.

Dernier axe : il faut une structure, à l’instar de l’Institut national contre le cancer, qui incarne cette problématique, qui priorise, qui décide, qui fasse des recommandations, qui inspecte.

Car si on veut vraiment lutter contre l’infertilité, il faut une prise en charge globale, qui dépasse le strict cadre médical. Il faut un Institut national de la fertilité et de la natalité.

Des tests permettent de connaître les réserves ovariennes des femmes. Il faut les développer ?

Bien sûr, si on veut faire moins de fécondations in vitro avec de meilleurs résultats.

Avec les progrès de la biologie moléculaire et de l’intelligence artificielle, je pense qu’on pourra très bientôt, avec une simple goutte de salive, avoir une idée précise de la réserve ovarienne, à la fois qualitative et quantitative.

De même, il faut autoriser davantage de centres, y compris privés, à congeler les ovules des femmes, pour réduire les délais d’attente.

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