Par Marielle Ammouche le 14-10-2017
Les médecins seront-ils bientôt remplacés par des machines ? La question se pose compte tenu des progrès de l’intelligence artificielle et des développements technologiques, en particulier dans le domaine du repérage et du diagnostic.
Meilleure information des patients, détection plus précoce des maladies, diagnostic plus pointu, prédiction de l’évolution d’une pathologie, gain de temps, réduction des dépenses de santé … Les promesses des nouvelles technologies faisant appel à l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la santé sont multiples. Basée sur l’accumulation d’une quantité gigantesque de données et l’analyse prédictive grâce à des algorithmes de plus en plus performants, et qui font que les machines apprennent à partir des données qu’elles compilent, cette nouvelle ère du digital est en plein essor. Son « développement ne fait que commencer », confirme la MACSF à l’occasion de la récente présentation de son panorama des risques professionnels de santé en 2016. Selon le cabinet Frost et Sullivan, le marché dans le secteur sanitaire pourrait, en effet, atteindre 6,6 milliards de dollars en 2021 contre 634 millions en 2014. Il est principalement dans les mains des géants de la Silicon Valley, mais aussi de nombreuses start-up.
Machines VS Dermatologues
La dermatologie est un domaine dans lequel l’intelligence artificielle pourrait être particulièrement performante. Google y est à la pointe grâce à la technologie « Show and Tell », qui analyse le contenu d’images en les classant par catégories. Entre autres, cet outil a « appris », à travers l’étude de 130 000 images prises sur le web, à faire la différence entre plus de 2 000 maladies de la peau. Des chercheurs ont alors voulu évaluer la fiabilité de cet outil. Et dans une étude publiée en février dernier (Esteva A. Nature 542, 115–118, 2 février 2017), ils ont donc comparé les performances du logiciel à celles de 21 dermatologues. Les résultats ont montré que…
les spécialistes ont diagnostiqué 95% des tumeurs malignes et 76% des tumeurs bénignes, et que la « machine » affiche des taux de réussite de respectivement 96 et 90%, soit une « connaissance » au moins équivalente à celle des dermatologues. Forts de ces données, les chercheurs envisagent maintenant de développer une application mobile destinée au grand public basée sur cette IA.
Autre domaine porteur, la cardiologie. « L’électrocardiogramme (ECG) est un examen aussi simple à réaliser que difficile à interpréter. 150 troubles cardiovasculaires peuvent être détectés à partir d’un ECG, à condition qu’il soit correctement interprété …Un cardiologue identifie entre 90 et 130 troubles du rythme, tandis qu’un généraliste en détecte en moyenne une dizaine », rappelle ainsi la MACSF. C’est pourquoi la start-up Cardiologs a lancé une plate-forme d’assistance à l’interprétation de l’ECG plus spécialement orientée vers les médecins non cardiologues. Sa base de données comprend actuellement plus de 300 000 enregistrements, mais les concepteurs espèrent aller jusqu’à 500 000, voire 1 million, pour améliorer les performances du logiciel.
Dans ce domaine, la mise sur le marché de l’Apple watch a ouvert des portes. Ainsi, une startup nommée Cardiogram a mené une étude de détection des anomalies cardiaques à l’aide de cette montre connectée, en collaboration avec l’Université de Californie auprès de 6158 personnes. Les résultats, présentés en mai lors de l’événement Heart Rythm 2017 (Chicago, 10 mai 2017), montrent l’efficacité de cette technologie avec un taux de détection de 97% des troubles du rythme.
Par ailleurs, Implicity, une start up créée par des médecins français, développe une plateforme cloud sécurisée, couplée à un programme d’IA, qui vise à permettre aux praticiens de suivre à distance les patients qui sont équipés de dispositifs implantables cardiaques (pacemakers et défibrillateurs connectés) et d’intervenir uniquement pour les cas pertinents. Cette technologie d’IA est basée sur la combinaison des données collectées par les prothèses avec le dossier médical des patients.
Dépression, rétinopathie…
Plus inattendu, la dépression fait aussi partie des domaines dans lesquels l’IA pourrait avoir un intérêt…
Ainsi, deux chercheurs américains (Universités d’Harvard et du Vermont) ont analysé 43 000 images postées sur Instagram, à l’aide d’un algorithme qu’ils ont créé. Le programme a mis en évidence des caractéristiques spécifiques plus fréquemment observées chez les dépressifs actuels ou même futurs: teintes plus froides, luminosité plus sombre, couleurs plus ternes. Les images bénéficiaient par ailleurs de moins de partages au sein du réseau social, mais aussi de moins de clics d’approbation. Et au final, le taux de détection de la dépression a été de 70%.
Enfin, Dream Up vision a développé un algorithme capable de détecter de manière précoce la rétinopathie diabétique. Cet outil reconnaît les signes de rétinopathie diabétique (micro anévrismes, micro hémorragies, néo vaisseaux, ischémie) sur des images de fond d’œil réalisées à partir d’un rétinographe. L’algorithme a ainsi été « nourri » de 90 000 images de fond d’œil de patients atteints de pathologies diverses.
Dérives
Mais l’intégration de l’IA dans le domaine médical, même si elle semble inéluctable, pose de nombreuses questions. Les conséquences sont majeures à la fois dans le domaine médical, mais aussi sociétal et éthique. Les outils d’IA impactent ainsi directement la relation médecin- patient, pourtant fondamentale au moment du diagnostic. Le risque de dérives…
en particulier d’ordre éthique, est aussi majeur. Ce danger a été souligné récemment avec la publication d’une étude qui visait à détecter l’homosexualité sur des photos de visages.
En outre, comme l’a souligné la MACSF, de multiples interrogations se posent dans le domaine juridique, comme celle de l’inadaptation du régime de responsabilité, en particulier pour le médecin qui conseille une application à un patient, ou encore celle de la protection des données et du secret médical.
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