Publié le 24/10/2019
Les recommandations, tant US qu’internationales, préconisent d’effectuer des tests de dépistage génétique chez les femmes souffrant d’un cancer du sein (CS) uniquement lorsqu’elles ont une histoire familiale (HF) évocatrice ou présentent des critères cliniques précis. Mais cette attitude ne permet que de dépister environ 10 % seulement des porteuses de mutations de BCRA. Les patientes avec variations génétiques pathogènes de ce gène n’ont pas toujours une HF suggestive et les critères habituellement admis conduisent à méconnaître approximativement 50 % des porteuses de variants pathogènes.
De plus, l’accès aux tests est réduit et ils sont, en pratique courante, sous utilisés. On estime que seulement 20 à 30 % des patientes éligibles au dépistage sont testées et que, dans la population générale, 97 % des porteuses de mutations pathologiques restent non identifiées.
Un dépistage systématique, étendu à toutes les femmes ayant un CS (et, dans un second temps, en cas de positivité, aux membres proches de leur famille) serait susceptible d’identifier davantage de porteuses et donc d’améliorer la prévention et de diminuer le risque de CS controlatéral ou de tumeur maligne de l’ovaire (CO) secondaires.
En effet, les femmes avec mutations BRCA1/BRCA2 ont un risque allant de 17 à 44 % de développer un CO et de 69 à 72 % de développer un CS avant 80 ans. En outre, il faut aussi compter avec le gène de haute pénétrance PALB2, récemment identifié, qui est associé à un risque de cancer de 44 %.
Dans un article récent du JAMA Oncology, Le Sun et collaborateurs ont évalué le rapport coût/ efficacité d’un dépistage systématique. Ils se sont appuyés sur les données de 4 vastes essais cliniques et d’études de cohortes menés aux USA, au Royaume Uni et en Australie. Un modèle a été conçu afin d’étudier l’intérêt d’un dépistage, chez toutes les patientes atteintes de CS, de mutations BRCA1/BRCA2/PALB2, comparativement à la pratique actuelle fondée sur une HF et des critères cliniques. Les éléments d’analyse ont été recueillis entre le 1er Janvier 2018 et le 8 Janvier 2019 : 11 836 femmes avec CS invasif ont été incluses, quelle que soit leur HF. Moins de 10 % d’entre elles remplissaient les critères classiques de recherche.
C’était le plus souvent des Blanches et elles étaient représentatives de la population féminine occidentale. Les auteurs ont mis au point un modèle de micro simulation pour comparer les coûts et l’efficacité du dépistage systématique BRCA1/BRCA2/ PALB2 chez toutes les malades (stratégie A) vs un dépistage restreint, basé sur l’HF et les critères cliniques (stratégie B), vie durant.
En cas de dépistage positif, le test était aussi effectué chez les parentes au premier degré et si nécessaire, complété de proche en proche. Par la suite, les porteuses saines pouvaient bénéficier, à titre diagnostique, d’une IRM ou d’une mammographie, recevoir une chimio prévention, voire subir une mastectomie préventive ou une salpingo-ovariectomie afin de réduire le risque de CO.
Le rapport différentiel coût/efficacité (ICER) était le coût à payer par année de vie ajustée à la qualité (QALY), comparé aux couts standards de 30 000/QALY £ UK et de 100 000 $ US. L’incidence de nouveaux cancers mammaires et ovariens, l’excès de décès cardiovasculaires après ménopause iatrogène précoce et le retentissement sur la population globale ont été également estimés.
L’évaluation économique des différentes éventualités possibles a été menée en accord avec les données du National Institute of Health and Clinical Excellence. Le modèle inclut 54 483 nouveaux CS au Royaume Uni et 242 462 aux USA, ainsi que leurs parentes. Plusieurs analyses de sensibilité furent effectuées pour tester le modèle de micro simulation.
Possibilité de prévenir des nouveaux cas de cancer du sein et de l’ovaire
Comparativement à la pratique commune (stratégie B), le recours à des tests systématiques pour toutes les patientes ayant un CS invasif (stratégie A), puis une pratique en cascade de tests successifs chez leurs proches en cas de positivité, s’est avérée très efficace en termes de coûts. L’ICER a été calculé à 10 464 £/QALY (avec un intervalle de crédibilité compris entre 8 347 et 28 965 £) et, dans une perspective sociétale à 7 286 £/QALY (de 6 194 à 21 585). Aux USA, l’ICER est, respectivement, de 65 651 $/QALY (de 48 613 à 248 185 $) et de 61 618 $ (pouvant aller de 42 927 à 221 281).
De plus, la stratégie A, avec dépistage systématique, a été associée à une prolongation de l’espérance de vie atteignant 419 jours au Royaume Uni et 298 jours aux USA chez les femmes porteuses de variants pathologiques BCRA1/BCRA2/PALB2. Une pratique généralisée pendant un an permettrait aussi de prévenir 1 142 nouveaux cas de CS et 959 cas de CO UK ; aux USA, la prévention éviterait respectivement 5 478 et 4 255 cas complémentaires. A un horizon de vie entière, ce serait 683 décès UK et 2 406 aux USA prévenus.
Quant à l’excès de mortalité par coronaropathie, lié à une ovariectomie pré ménopausique sans traitement substitutif, il est estimé à 8 par an au Royaume Uni et à 35 par an aux USA. Diverses analyses de sensibilité confirment les résultats initiaux. En étude probabiliste, après multiples simulations, la pratique des tests généralisés reste coût/ efficace dans 98 à 99 % des simulations pratiquées aux USA et dans 64 à 68 % de celles UK.
Ce travail constitue donc un apport notable et précis, en faveur de la pratique systématique des tests de recherche de mutations chez toutes les femmes porteuses d’un CS. Le rapport coût/ efficacité est plus avantageux que celui de la pratique actuelle, basée sur l’HF et des critères cliniques stricts. De plus, le dépistage généralisé a pour avantage essentiel de réduire le nombre de CS et de CO ainsi que leur mortalité. Les résultats de cette étude recoupent celle d’un essai norvégien récent, n’ayant toutefois inclut que 535 patientes.
Il faut rappeler que la recherche a comporté non seulement les tests BRCA1/BRCA2 mais également PALB2 qui est un gène de susceptibilité associé à un risque accru de 44 % pour le CS. D’autres gènes de susceptibilité sont connus (STK11, PTEN, p53…) mais le risque associé est plus faible, de l’ordre de 1,5 à 2,0% et ils n’ont pas fait l’objet d’une analyse dans ce travail. Sur un autre plan, il sera, dans l’hypothèse d’une généralisation des tests, nécessaire d’augmenter les structures de biologie et le nombre de professionnels permettant de les réaliser et de les interpréter correctement.
Cette étude a plusieurs points positifs. Elle a pris pour base de larges populations non sélectionnées. Elle a permis des comparaisons avec la pratique habituelle dans un but à la fois comptable mais aussi sociétal. Elle a intégré les potentiels effets secondaires coronariens…
A l’inverse, on doit se rappeler que le modèle de base de micro simulation prenait pour hypothèse que toutes les femmes atteintes de CS bénéficiaient de tests génétiques et qu’il suggérait qu’une ovariectomie pré ménopausique pouvait diminuer l’incidence du CS, ce que des travaux récents tendent à infirmer.
Les prix des tests peuvent être plus élevés que ceux retenus dans l’étude. Enfin, cette dernière a essentiellement porté sur des femmes blanches, limitant quelque peu la généralisation à toute la population.
Quoi qu’il en soit, ce travail laisse à penser que la réalisation généralisée des tests de recherche des gènes de susceptibilité BRCA1/BRCA2/PALB2 peut reduirer de façon substantielle nombre de nouveaux CS et CO ainsi que leur mortalité, comparativement à la pratique actuelle.
Cette stratégie nouvelle apparaît très coût/efficace dans les systèmes de santé UK et US et pourrait, in fine, amener à une modification des recommandations cliniques en la matière.
Dr Pierre Margent
RÉFÉRENCE : Sun L et coll. : A Cost-Effectiveness Analysis of Multigene Testing for All Patients with Breast Cancer. JAMA Oncol.,2019 ; publication avancée en ligne le 3 octobre. doi: 10.1001/jamaoncol.2019.3323.
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