Par Carla K. Johnson, AP

une femme s'est fait faire une prise de sang. Profession Santé logo 13/04/2022

Joyce Ares venait d’avoir 74 ans. Puisqu’elle se sentait bien lorsqu’elle a accepté de donner un échantillon de sang pour des fins de recherche, elle a été des plus surprises lorsque le test de dépistage a révélé des signes de cancer.

Après une nouvelle analyse de son sang, une tomographie par émission de positons (TEP) et une biopsie à l’aiguille, on lui a diagnostiqué un lymphome hodgkinien.

« J’ai pleuré », raconte cette courtière immobilière à la retraite.

« Juste quelques larmes et je me suis dit: “OK, maintenant, qu’allons-nous faire? » »

Cette résidente de Canby, dans l’Oregon aux États-Unis, s’était portée volontaire pour subir un test sanguin présenté comme le franchissement d’une nouvelle frontière dans le dépistage du cancer chez les personnes en bonne santé.

Ce test permet de détecter le cancer en vérifiant des fragments d’ADN excrétés par les cellules tumorales.

De tels tests sanguins, appelés biopsies liquides, sont déjà utilisés chez les patients atteints de cancer pour adapter leur traitement et vérifier si les tumeurs reviennent.

Aujourd’hui, une entreprise fait la promotion de son test sanguin auprès de personnes ne présentant aucun signe de cancer, afin de détecter les tumeurs du pancréas, des ovaires et d’autres sites pour lesquels aucune méthode de dépistage n’est recommandée.

Il s’agit désormais de savoir si ces tests sanguins de dépistage du cancer – s’ils sont ajoutés aux soins de routine – pourraient améliorer la santé de la population ou contribuer à atteindre l’objectif de la Maison Blanche de réduire de moitié le taux de mortalité par cancer au cours des 25 prochaines années.

Grâce aux progrès du séquençage de l’ADN et de la science des données, qui rendent ces tests sanguins possibles, la société californienne Grail ainsi que plusieurs autres s’empressent de les commercialiser.

Des chercheurs du gouvernement américain prévoient une vaste expérience – qui pourrait durer sept ans et inclure 200 000 participants – pour voir si les tests sanguins peuvent tenir leur promesse de détecter plus tôt les cancers et de sauver des vies.

« Ces tests semblent merveilleux, mais nous n’avons pas assez d’informations », indique le Dr Lori Minasian, de l’Institut national du cancer, qui participe à la planification de la recherche.

« Nous n’avons pas de données définitives qui montrent qu’ils réduisent le risque de mourir du cancer. »

Grail est déjà loin devant les autres entreprises, avec 2000 médecins prêts à prescrire le test dont le prix s’élève à 949$US.

La plupart des régimes d’assurance n’en couvrent pas le coût.

Les tests sont commercialisés sans l’aval de groupes médicaux ni la recommandation des autorités sanitaires américaines.

L’examen de la Food and Drug Administration n’est pas requis pour ce type de test.

« Dans le cas d’un médicament, la FDA exige qu’il y ait une forte probabilité que les avantages soient non seulement prouvés, mais qu’ils l’emportent sur les inconvénients.

Ce n’est pas le cas pour des procédures comme les tests sanguins », stipule le Dr Barry Kramer, de la Lisa Schwartz Foundation for Truth in Medicine.

Grail prévoit néanmoins demander l’approbation de la FDA, mais commercialise son test au fur et à mesure qu’il soumet ses données à l’agence.

L’histoire du dépistage du cancer a enseigné la prudence.

En 2004, le Japon a mis fin au dépistage massif d’un cancer infantile chez les nourrissons, après que des études ont montré qu’il ne permettait pas de sauver des vies.

L’année dernière, une étude menée sur une période de 16 ans auprès de 200 000 femmes au Royaume-Uni a révélé que le dépistage régulier du cancer de l’ovaire ne faisait aucune différence en termes de mortalité.

Des cas comme ceux-ci ont également révélé des surprises: le dépistage permet de trouver certains cancers qui n’ont pas besoin d’être soignés.

Le revers de la médaille?

De nombreux cancers dangereux se développent si rapidement qu’ils échappent au dépistage et s’avèrent tout de même mortels.

Le dépistage peut aussi faire plus de mal que de bien.

Anxiété due aux faux positifs, coûts inutiles, effets indésirables graves liés au traitement du cancer: les tests de l’antigène prostatique spécifique (APS) chez les hommes, par exemple, peuvent entraîner des complications liées au traitement, comme l’incontinence ou l’impuissance, même lorsque certains cancers de la prostate à croissance lente n’auraient jamais causé de problèmes.

Les preuves les plus solides concernent les tests de dépistage des cancers du sein, du col de l’utérus et du côlon.

Pour certains fumeurs, le dépistage du cancer du poumon est conseillé.

Les tests recommandés – mammographie, test PAP, coloscopie – ne recherchent qu’un cancer à la fois, tandis que les nouveaux tests sanguins permettent d’en détecter plusieurs à la fois.

C’est un avantage, selon le Dr Joshua Ofman, directeur de Grail.

« Nous dépistons quatre ou cinq cancers dans ce pays, mais (beaucoup) de décès sont dus à des cancers que nous ne dépistons pas du tout », poursuit-il.

Le Dr Tomasz Beer, de l’Oregon Health & Science University de Portland, a dirigé l’étude parrainée par l’entreprise à laquelle Joyce Ares a participé en 2020.

Après un misérable hiver de chimiothérapie et de radiothérapie, les médecins lui ont annoncé que le traitement était un succès.

Son cas n’est pas aberrant, « mais c’est le résultat idéal espéré; ce ne sera pas le cas pour tout le monde », affirme le Dr Beer.

Si d’autres cancers précoces ont été détectés parmi les participants à l’étude, certains ont connu des expériences moins évidentes.

Pour certains, les analyses de sang ont conduit à des scanners qui n’ont jamais permis de localiser le cancer, ce qui pourrait signifier que le résultat était un faux positif, ou qu’un mystérieux cancer se manifestera plus tard.

Pour d’autres, les tests sanguins ont détecté un cancer qui s’est avéré avancé et agressif, regrette-t-il.

Un participant plus âgé, atteint d’un cancer grave, a refusé le traitement.

Grail continue de mettre à jour son test au fur et à mesure qu’il tire des enseignements de ces études.

La société parraine également un essai avec le National Health Service britannique sur 140 000 personnes pour voir si le test sanguin peut réduire le nombre de cancers détectés à un stade avancé.

Bien que Joyce Ares se sente chanceuse, il est impossible de savoir si son test a ajouté des années de santé à sa vie ou s’il n’a pas fait de réelle différence, nuance le Dr Kramer, ancien directeur de la division de la prévention de l’Institut national du cancer.

« J’espère sincèrement que Joyce a bénéficié de ce test », souhaite le Dr Kramer, lorsqu’on lui a parlé de son expérience.

« Mais malheureusement, nous ne pouvons pas savoir, à un niveau individuel, si c’est le cas. »

Les traitements anticancéreux peuvent avoir des effets secondaires à long terme, ajoute-t-il, « et nous ne savons pas à quelle vitesse la tumeur se serait développée ».

Le traitement du lymphome de Hodgkin est si efficace que le fait de retarder la thérapie jusqu’à ce qu’elle ressente des symptômes aurait peut-être permis d’obtenir le même heureux résultat.

Pour l’instant, les experts de la santé soulignent que le test sanguin de Grail ne constitue pas un diagnostic de cancer; un résultat positif nécessite de faire d’autres examens et biopsies pour le confirmer.

« Il s’agit d’une voie dans l’horizon des tests de diagnostic qui n’a jamais été explorée auparavant », relate le Dr Kramer.

« Notre destination ultime est un test qui présente un avantage net évident. Si nous ne le faisons pas soigneusement, nous nous éloignons de cette voie. »

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