Publié le 18/12/2019
Nous avons déjà évoqué le phénomène de l’effet Werther (« copycat-suicide », suicide par imitation) où un pic de suicides dans la population générale succède au décès volontaire d’une célébrité. The Canadian Journal of Psychiatry revient sur ce thème, avec deux articles traitant d’aspects complémentaires de cette problématique psychiatrique et sociologique du « suicide contagieux. »
Augmentation du nombre de suicides après 13 reasons why
Le premier émane d’une équipe internationale (Australie, Autriche, Canada) qui s’intéresse à l’augmentation de la prévalence des suicides en Ontario (Canada) après la diffusion (en 2017) de 13 reasons why sur Netflix, une série présentant un portrait controversé du suicide et ayant suscité des craintes de contagion possible.
Aux États-Unis, on aurait constaté « une augmentation de l’ordre de 10 % » du nombre de suicides chez les jeunes, après la diffusion de cette série, mais cette observation inquiétante n’est pas confirmée dans d’autres pays.
A côté des difficultés d’interprétation et du manque de solidité statistique des résultats de l’étude, limitée par les petits nombres, on constate qu’une quarantaine de décès excédentaires a été notée en 2017, soit une augmentation de 18 %, par rapport aux taux attendus.
Comment se donner la mort sur Google
Précisant, sans surprise, que les effets négatifs d’une telle œuvre de fiction s’exercent sur la partie vulnérable de la population exposée, les auteurs font le parallèle entre la diffusion de 13 reasons why et la situation analogue, observée dans les années 1980 après la diffusion de Mort d’un étudiant (une autre œuvre de fiction) par la télévision allemande.
Ces constats incitent les auteurs à penser que la diffusion de 13 reasons why sur Netflix peut aider à clarifier l’impact des fictions sur les suicides. Par exemple, cette diffusion a été suivie d’une augmentation des recherches sur Google concernant la façon de se donner la mort ainsi que d’une augmentation du nombre de patients reçus dans les services d’urgences pédiatriques aux États-Unis.
La question de la responsabilité des médias
Dans l’autre article, une seconde équipe internationale (Canada, Colombie, États-Unis) évoque un autre aspect de l’effet Werther : la « contagion » suicidaire liée, non à une œuvre de fiction (comme pour le célèbre roman de Goethe, Les souffrances du jeune Werther, à la fin du XVIIIème siècle, ou pour cette série sur Netflix), mais à la médiatisation (ou à la surmédiatisation) du suicide d’une célébrité.
Les auteurs analysent l’exemple du « suicide par suffocation du comédien Robin Williams » (en août 2014), suivi d’une augmentation disproportionnée de suicides aux États-Unis et au Canada, malgré la couverture médiatique améliorée des principaux médias. Ainsi, le mois d’août 2014 a enregistré « le nombre de suicides le plus élevé entre 2010 et 2015 » au Canada.
Les auteurs suggèrent que d’autres facteurs pourraient avoir contribué à ce pic de suicides par imitation, par exemple la couverture maladroite du suicide d’une star dans les médias sociaux et alternatifs. À nouveau, se pose donc la question de la responsabilité morale des journalistes et des autres relais d’opinion (professionnels de radio et de télévision, blogueurs et influenceurs sur Internet) dans le traitement d’informations sensibles comme l’évocation du suicide, dans la réalité ou dans la fiction.
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/13_Reasons_Why_(s%C3%A9rie_t%C3%A9l%C3%A9vis%C3%A9e)
Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCES: Sinyor M et coll. : Suicides in young people in Ontario following the release of ‘‘13 reasons why’’. Canadian J Psy., 2019 ; 64(11) : 798–804.
Whitley R et coll. : Suicide mortality in Canada after the death of Robin Williams, in the context of high-fidelity to suicide reporting guidelines in the canadian media. Canadian J Psy., 2019 ; 64(11) : 805–812.
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Après le suicide de la star,…l’effet Werther
Les journalistes canadiens briefés pour éviter les contagions suicidaires