https://www.jim.fr/e-docs/00/02/B7/98/carac_photo_1.jpg Publié le 14/06/2019

L’incidence, vie entière, des désordres dépressifs majeurs (MDD) est de l’ordre de 10 à 15 %. L’option thérapeutique commune réside en une approche pharmacologique et/ou psychologique. De nombreux essais cliniques randomisés ont, de fait, établi l’efficacité des anti dépresseurs mais, en pratique, leur action reste limitée, tant à court qu’à long terme. De plus, environ un tiers des patients va développer une résistance au traitement administré. Des approches thérapeutiques nouvelles sont donc indispensables. Dans une livraison récente du JAMA, O. Köhler-Forsberg s’est penchée plus particulièrement sur l’impact de l’exercice physique, de la nutrition et de la kétamine dans les dépressions profondes.

Faire du sport pour ne pas déprimer ?

L’exercice pourrait se révéler une option thérapeutique utile dans la prévention et le traitement des MDD, hypothèse faite qu’il existe un lien entre activité physique et facteur neurotrophique cérébral, donc avec la neuroprotection. Cependant, à ce jour, l’utilité et l’efficacité de l’exercice dans la prise en charge des MDD sont mitigées. Une méta analyse de 33 essais cliniques randomisés (n = 1 877) a révélé que les entrainements contre résistance, vs l’inactivité étaient associés à une réduction significative des symptômes dépressifs.

Ceci indépendamment de l’état de santé du patient, du volume d’exercice et de l’amélioration constatée de la force physique. Toutefois, on doit signaler que vingt des essais n’avaient concerné que des individus présentant une simple symptomatologie dépressive, et seulement quatre, des patients chez qui le diagnostic d’authentique MDD avait été posé. De plus, il existait un large effet de taille suivant les travaux.

Une possible association causale entre exercice physique et MDD a été permise via une approche de randomisation mendélienne. Utilisant une allocation au hasard, cette méthode tend à réduire le risque entre confusion et causalité reverse. Après inclusion des données de 611 583 adultes, dont 91 082 avec activité quantifiée par accéléromètre, il a pu être mis en évidence une relation protectrice entre activité physique et MDD, l’odds ratio se situant à 0,74 (intervalle de confiance à 95 % de 0,59 à 0,92).

En pratique, remplacer un mode de vie sédentaire par 15 minutes d’activité intense journalière ou une heure d’activité modérée est associé à une réduction relative potentielle de 15 % du risque de développement d’une dépression. Toutefois, pratiquer une activité physique régulière est loin d’être simple, et plus encore en cas de MDD, de par une symptomatologie comprenant une faible motivation et une volonté réduite chez les déprimés.

Quel régime pour améliorer l’humeur ?

L’impact de la nutrition a été aussi abordé. De nombreuses études ont analysé l’effet de la diététique sur l’humeur, les résultats ayant été très divers de par l’étude de régimes alimentaires très différents auprès de populations diverses et selon des méthodologies, elles aussi, variées.

Des études observationnelles laissent à penser qu’il existe une relation positive entre humeur et régime alimentaire incluant végétaux (légumes, fruits, céréales complètes…) et protéines maigres (œufs, poissons…), dans des pays et pour des groupes d’âge divers. Toutefois, peu de travaux ont spécifiquement porté sur l’impact de la diététique en cas de MDD.

L’essai SMILES a été l’un des premiers à étudier l’effet du régime méditerranéen. Dans un collectif de 56 adultes en MDD classée de modérée à sévère, il a été procédé, pendant 12 semaines, lors de 7 sessions de 60 minutes, à des interventions associant conseils diététiques et support par une diététicienne. Celles-ci ont été comparées à un support purement psychosocial. Il a été, au final, constaté une amélioration plus franche dans le groupe intervention, notamment chez les dépressifs diabétiques.

Deux autres essais randomisés ont, quant à eux, étudié l’effet d’un régime chez les obèses.

L’essai RAINBOW (n = 409 ; âge moyen de 51 ans) a porté chez des individus dépressifs dont l’index de masse corporelle (IMC) dépassait 30 et qui recevaient un traitement à visée de réduction pondérale. En comparaison avec une prise en charge standard, le groupe avec intervention démontra, à 12 mois, une perte de poids plus nette couplée à une amélioration de la symptomatologie dépressive.

L’essai MOODFOOD (n = 1 025 ; âge moyen de 46,5 ans) a, pour sa part, étudié l’impact d’une supplémentation multi nutritionnelle visant à promouvoir un régime de type méditerranéen auprès de sujets dont l’IMC était compris entre 25 et 40, sans MDD franche, mais présentant une symptomatologie dépressive au moins modérée.105 patients (10 %) développèrent, dans les 12 mois, une authentique MDD, sans différence notable entre les 2 groupes, en opposition avec l’essai RAINBOW qui avait décelé une interaction modeste, mais significative, entre évolution du poids et signes de dépression.

Au total, dans l’ensemble, les interventions multiples ciblant le style de vie (régime alimentaire, exercice physique, arrêt du tabagisme…) se révèlent utiles, en sus des traitements pharmacologiques et psychologiques, dans la prise en charge d’une dépression. Des travaux futurs restent à venir, incluant des populations plus nombreuses et portant sur un suivi plus long, de l’ordre de plusieurs années.

De nouvelles molécules prometteuses

Troisième point abordé, le recours à la kétamine. Le 5 mai 2019, la FDA approuvait l’emploi de la kétamine nasale (Spavata) dans les dépressions résistantes aux traitements. Déjà utilisée, depuis les années 1970, comme drogue anesthésique, la kétamine a fait secondairement la preuve qu’elle pouvait améliorer la symptomatologie dépressive et les idées suicidaires chez des patients déprimés dont les traitements étaient devenus inopérants. Cet effet bénéfique avait été constaté dans les heures suivant l’administration IV d’une dose sub anesthésique de 0,5 mg/kg ; cette action était transitoire avec retour à l’état dépressif de base dans les semaines suivantes.

A cette posologie, on ne note pas de perturbation significative du statut cardio vasculaire. Toutefois, une surveillance s’impose de par le risque de sédation, confusion, dissociation et, à plus long terme, celui de tolérance, d’abus ou de mauvaise utilisation. Divers essais cliniques ont démontré un effet anti dépresseur de la kétamine après administration IV ou intra nasale, en complément des traitements de base, chez des patients souffrant de dépressions résistantes. On se doit de signaler que les patients psychotiques ou toxicomanes avaient été exclus des études et que les données à long terme sont très limitées. En outre, la forme IV est onéreuse, souvent non couverte par les assurances médicales et la forme intra nasale nécessite une administration fréquente, hebdomadaire ou bi hebdomadaire.

A ce jour, on ne sait si elle deviendra un traitement commun dans les dépressions résistantes, si elle devra être prescrite uniquement par les médecins en centres spécialisées et si elle sera remboursée par les assurances.

D’autres drogues sont à l’étude, telles le rapastinel, agissant sur le système glutamique, qui aurait un effet rapide après injection IV. De même, une méta analyse récente ayant inclus 36 essais et 9 422 patients a suggéré un bénéfice possible des anti inflammatoires, en complément des anti dépresseurs. Quant à la brexanolone, modulateur allostérique des récepteurs GABA A, elle a été récemment approuvée par la FDA dans la prise en charge de la dépression du post partum. Enfin, dans une étude restreinte (n = 20 participants), la psilocybine a fait la preuve d’un effet anti dépresseur significatif, en association à un support psychologique, son effet ayant persisté plus de 6 mois.

Du sur mesure

En conclusion, plusieurs nouvelles modalités thérapeutiques, pharmacologiques ou non pharmacologiques, sont en cours d’évaluation dans les MDD. Parmi elles, doivent être retenues, quand cela est possible, les modifications du style de vie (alimentation, exercice physique…).

Dans tous les cas, doivent être pris en compte les besoins et préférence propres du patient, ses comorbidités somatiques et psychiques, la sévérité de la dépression, les antécédents et tentatives thérapeutiques antérieures, et enfin, la disponibilité des différentes options thérapeutiques.

Dr Pierre Margent

RÉFÉRENCE : Köhler-Forsberg O et coll.: Evolving Issues in the Treatment of Depression. JAMA 2019. Publication avancée en ligne le 24 mai 2019.

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