Publié le 14/11/2018
Un intervalle entre 2 grossesses, c’est à dire le délai entre accouchement et nouvelle conception, court, inférieur à 18 mois, est associé à une augmentation du risque de survenue d’événements pathologiques tels qu’accouchement avant terme, poids de naissance gestationnel faible, hausse de la mortalité infantile. C’est pour cette raison que la pratique clinique et les recommandations de santé publique prônent un intervalle entre 2 grossesses de 18 à 24 mois au minimum. A l’opposé, un âge maternel plus avancé est associé à un risque plus grand d’infertilité et de complications à la naissance. De plus, l’association entre intervalle de grossesse court et effets délétères peut varier avec l’âge de la mère.
Toutes les grossesses de Colombie Britannique en 10 ans
Peu de travaux ayant été, dans la littérature médicale, consacrés à ce problème, une étude a été entreprise, visant à évaluer cette association en fonction de l’âge de la mère. Une cohorte a enrôlé toutes les femmes de Colombie Britannique (Canada), ayant eu au moins 2 grossesses monofoetales, entre le 1er avril 2004 et le 31 Mars 2014. Les principales données étaient tirées du British Columbia Perinatal Data Registry, qui collige les dossiers maternels et infantiles de près de 100 % des naissances dans cette province canadienne. Elles ont, par ailleurs, été croisées à celles d’autres registres fournissant des informations sur le statut économique et sanitaire des populations étudiées. Toutes les gestations de plus de 20 semaines ont été prises en compte à l’exclusion des grossesses suivies d’un avortement spontané ou provoqué. L’intervalle entre les 2 grossesses a été mesuré en mois, allant de la délivrance à la nouvelle conception. Les paramètres analysés ont été la mortalité et la morbidité maternelle sévères jusqu’ au 42e jour du post partum, un retard de croissance à la naissance avec des mesures inférieures au 10e percentile au moins, ajusté au sexe et à l’âge gestationnel, le devenir du fœtus et du nouveau-né, les accouchements prématurés avant la 37e semaine. Tous ces éléments ont été stratifiés en fonction de l’âge maternel lors de la naissance : moins de 20 ans, entre 20 et 34 ans ou au-delà de 35 ans. Plusieurs covariables, potentiellement confondantes, ont été incluses dans l’analyse : nulliparité antérieure, tabagisme, faibles revenus, soins prénatals de mauvaise qualité…Des analyses de sensibilité ont aussi été menées, chez les femmes les plus jeunes ou les plus âgées ou encore prenant en compte d’autres variables telles qu’obésité, traitement préalable pour infertilité ou vie en milieu rural.
La cohorte inclut 123 122 femmes, qui ont mené 148 544 grossesses, dont 121 242 (81,6 %) au-delà de la 20e semaine de gestation. Leur âge moyen était compris, pour 123 821 d’entre elles (83,4 %), entre 20 et 34 ans mais il y avait 7 184 femmes (4,8 %), de moins de 20 ans et, à l’inverse, 17 539 autres (11,8 %) de plus de 35 ans, lors de l’accouchement. Un intervalle inter grossesse court, inférieur à 6 mois, a été moins souvent observé chez les femmes de 35 ans ou plus, comparativement à celles entre 20 et 34 ans (4,4 vs 5,5 %). Les plus âgées de la cohorte ont eu, dans l’ensemble, plus souvent des intervalles intergrossesses de 6 à 11 mois ou de 12 à 17 mois, par rapport aux plus jeunes, âgées de 20 à 34 ans (respectivement, 17,7 vs 16,6 % et 25,2 vs 22,5 %). Par contre, les intervalles très prolongés, de plus de 24 mois, étaient plus rares (32,8 vs 37,6 %) dans cette sous population. Les grossesses avec intervalle très court, de moins de 6 mois, étaient plus fréquentes en cas de faibles revenus financiers, tabagisme ou encore de soins prénatals inadaptés. On notait également dans ces cas une fréquence plus élevée de morts à l’accouchement ou néonatales, d’accouchements prématurés ou d’avortements spontanés.
Augmentation de la morbimortalité maternelle avec les grossesses rapprochées, surtout pour les plus de 35 ans
Dans la population globale, un intervalle de moins de 12 mois a été associé à une augmentation modeste mais significative du risque de morbi mortalité maternelle (de 0,30 % à 6 mois et 0,25 % à 18 mois, soit un rapport de risque ajusté-aRR- s’établissant à 1,18 (intervalle de confiance à 95 % [IC]: 1,09- 1,27) pour un intervalle de 6 mois vs un intervalle de 18 mois. Le risque augmente aussi pour le nouveau-né, de 2 % pour un intervalle de 6 mois vs 1,5 % avec un intervalle de 18 mois, soit un aRR à 1,36 (IC : 1,31- 1,40). On relève aussi un risque accru d’accouchements avant terme, à 5,3 % pour un délai de 6 mois face à 3,3 % pour un délai de 18 mois, soit un aRR calculé à 1,59 (IC : 1,56-2).
Sur un autre plan, il apparaît que le risque de mortalité ou de morbidité sévère chez la mère diffère considérablement en fonction de l’âge. Chez les plus de 35 ans, l’augmentation du risque pour un intervalle court vs un de plus de 18 mois s’établit à 0,62 vs 0,26 % (soit un aRR à 2,39 ; IC : 2,03- 2,80). Par opposition, aucune différence n’est observée, entre des intervalles courts ou plus prolongés, pour les femmes âgées de 20 à 34 ans (risque prédictif à 0,23 % avec un intervalle de 6 mois vs 0,25 % pour un intervalle de 18 mois, soit un aRR à 0,92 (IC : 0,83- 1,02). Il faut toutefois signaler que le risque d’accouchement prématuré spontané est plus grand chez les femmes jeunes (aRR à 1,65 ; IC : 1,62- 1,68) et que le risque d’événements pathologiques chez le fœtus et le nouveau-né a été plus net quand l’âge des mère était compris entre 20 et 34 ans (aRR à 1,42 ; IC : 1,36- 1,49). Diverses imputations ne modifient pas les résultats concernant la morbi mortalité maternelle mais tendent à minorer l’importance des pathologies fœtales, des accouchements avant terme et des petits poids de naissance en fonction de l’âge de la mère.
18 mois, le délai minimum idéal
Ce travail démontre donc que le risque de morbimortalité maternelle, de pathologies fœtales ou néonatales, de délivrance spontanée avant terme augmente quand l’intervalle entre 2 grossesses est réduit, à moins de 12 mois et que les femmes de 35 ans ou plus ont, alors, les risques les plus importants. Ces données sont à rapprocher de celle de nombreuses publications de la littérature médicale qui avaient, préalablement, analysé l’impact, tant sur la mère que sur l’enfant, de la durée de l’intervalle entre 2 grossesses mais qui, dans l’ensemble, avaient fourni des résultats peu généralisables. De façon courante, les recommandations en matière de santé publique suggèrent, qu’il est opportun d’observer, entre 2 gestations, un intervalle minimum de 18 mois et que le risque tend à augmenter pour un intervalle plus faible de 9 mois. Ces notions sont à prendre en compte par les femmes et leurs praticiens quand une nouvelle grossesse est envisagée, bien que cette décision soit, à l’évidence, très multifactorielle.
En résumé, ce travail apporte des renseignements importants sur l’intervalle « idéal » à observer entre 2 grossesses. Il s’est appuyé sur l’étude d’une vaste population, à partir de données médicales précises et validées, complétées par de multiples informations d’ordre sanitaire et sociodémographique. Il confirme que des intervalles inter grossesses courts, de moins de 12 mois, sont associés à une augmentation des risques maternels, fœtaux et néo natals, et cela tant chez les femmes entre 20 et 34 ans que chez celles au-delà de 35 ans. Il précise que l’intervalle optimal, à tout âge, se situerait entre 12 et 24 mois, soit légèrement moindre que dans les recommandations précédentes de la littérature médicale. Ces notions sont particulièrement importantes pour les femmes les plus âgées qui doivent mettre en balance l’allongement de l’intervalle souhaitable entre 2 conceptions et le risque propre inhérent à un âge plus avancé, infertilité et anomalies chromosomiques notamment.
Dr Pierre Margent
RÉFÉRENCES
Schummers L et coll. : Association of Short Interpregnancy with Pregnancy Outcomes According to Maternal Age. JAMA Intern Med., 2018 ; publication avancée en ligne le 29 octobre. doi: 10.1001/jamainternmed.2018.4696.
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