Publié le 18/04/2020
Le covid-19 peut déclencher une réponse immunitaire excessive qui se traduit notamment par un véritable orage cytokinique capable de déclencher ou d’accélérer une défaillance multiviscérale. Des taux élevés de certaines cytokines, notamment l’IL-6, ont été associés à un surcroît de morbi-mortalité cardiovasculaire chez les patients hospitalisés.
La maladie semble en outre se singulariser par un risque élevé d’arythmie cardiaque capable de mettre en jeu le pronostic vital. Ainsi, des palpitations seraient signalées par 7,3 % des patients lors de la phase inaugurale de la maladie et les arythmies cardiaques survenant en cours d’hospitalisation seraient le lot de près d’un malade sur 5… et près d’un sur deux en unité de soins intensifs, à type de tachycardie ou de fibrillation ventriculaire dans près de 5,9 % des cas.
Toute cette problématique est très bien illustrée par un article d’une équipe italo-américaine publié en ligne dans Circulation (14 avril 2020).
Une atteinte myocardique est-elle à l’origine de ces troubles du rythme ?
Les lésions myocardiques induites par le SARS-Cov-2 semblent être la principale cause de ces arythmies, si l’on prend en compte la fréquence de l’élévation des taux plasmatique de troponine cardiaque, de l’ordre de 20 %, dans les formes sévères de la maladie. Cette explication semble tenir la route car elle fait intervenir des mécanismes pathogéniques plausibles : rôle direct de l’infection virale per se, apoptose cellulaire induite par l’hypoxie ou encore conséquences cellulaires de l’orage cytokinique.
Elle a cependant ses limites : en effet, chez les patients admis en USI, en dépit de la haute prévalence des arythmies (environ 50 %), l’atteinte myocardique biologiquement détectable ne concernerait que moins d’un patient sur deux (1). Donc d’autres mécanismes doivent entrer en ligne de compte …
Un autre mécanisme : les médicaments cardiotoxiques
Il s’agit notamment de l’exposition à des médicaments capables d’augmenter la susceptibilité aux arythmies notamment celles qui dépendent de l’allongement de l’intervalle QT : c’est le cas des torsades de pointes (TdP) qui mettent en jeu le pronostic vital. Parmi ces médicaments figurent en bonne place la chloroquine ou l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir/ritonavir :
dans les deux cas de figure, l’impact sur la repolarisation ventriculaire est en partie direct au travers de l’inhibition du canal ionique hERG-K +, mais aussi indirect par l’augmentation des taux circulants d’autres médicaments capables de prolonger la durée de l’intervalle QT (1).
De facto, la chloroquine et l’hydroxychloroquine ont la capacité d’inhiber le cytochrome CYP2D6 qui est chargé de métaboliser les médicaments suivants : antipsychotiques divers, antidépresseurs et antihistaminiques. Le ritonavir n’est pas innocent, lui non plus, puisque il est à même d’inhiber le CYP3A4, activement impliqué dans le métabolisme de certains macrolides et des antifungiques mais aussi des antidépresseurs et des antihistaminiques.
Parmi les macrolides : l’azithromycine
Parmi les macrolides, il faut souligner la présence de l’azithromycine (capable d’inhiber le SARS-CoV2 in vitro et associé par certains à l’hydroxychloroquine pour guérir plus vite du Covid-19), mais aussi des fluoroquinolones fréquemment utilisés en réanimation pour prévenir les surinfections au prix d’un risque d’allongement du QT.
La situation est encore compliquée par le fait que certains patients exposés à ces médicaments sont parmi les plus fragiles et cumulent d’autres facteurs qui vont, eux aussi, influer sur le dit intervalle QT: cardiopathie préexistante, troubles hydroélectrolytiques ou encore exposition à d’autres médicaments indésirables compte tenu de leur impact sur le QT et sur le risque de TdP (antiémétiques, inhibiteurs de la pompe à protons, agents anesthésiants etc. ). Une stratégie permettant de surveiller le QTc dans ce contexte est disponible sur internet à l’adresse www.crediblemeds.com. (1)
L’inflammation systémique, cerise sur le gâteau ?
Dans ce scénario déjà complexe, il manque un acteur pourtant essentiel: c’est l’inflammation systémique de haut grade, caractéristique des formes sévères du Covid-19. Pourtant, de nombreuses données expérimentales et cliniques soulignent qu’il s’agit là d’un facteur de risque de syndrome du QT long (SQTL) et de TdP.
C’est probablement par l’intermédiaire des effets électrophysiologiques directs des cytokines sur le myocarde que l’inflammation agirait. L’IL6, le TNFα et l’IL-1 sont ainsi capables de prolonger la durée du potentiel d’action en interférant avec l’expression et/ou la fonction de divers canaux ioniques, spécifiquement ceux assurant le transport transmembranaire des ions K+ and Ca++.
L’inflammation systémique peut également agir de manière indirecte pour prédisposer au SQTL et aux TdP. Ainsi, les cytokines peuvent induire une hyperactivation du système sympathique cardiaque en passant par deux voies : l’une centrale par l’hypothalamus, l’autre périphérique par l’activation du ganglion stellaire gauche.
De plus, l’IL-6 se distingue des autres cytokines par sa capacité à inhiber le cytochrome p450, notamment la voie CYP3A4, ce qui n’est pas sans retentir sur la biodisponibilité de médicaments… capables d’allonger le QT.
Par ailleurs, il a été récemment mis en évidence une corrélation entre l’allongement du QT et les taux plasmatiques de CRP (quelle que soit la cause de l’inflammation), mais aussi avec les concentrations d’IL-6.
Il semble par ailleurs que chez les patients atteints de TdP, les taux de cette cytokine puissent atteindre ceux des formes sévères et évolutives de polyarthrite rhumatoïde qui sont 15 à 20 fois ceux des témoins (2).
La vole de l’IL-6 : une approche pharmacologique tentante… à évaluer
Compte tenu de ce que l’on sait du rôle potentiel de l’inflammation systémique dans le Covid-19, il ne faut pas s’étonner du recours à des médicaments capables d’inhiber les médiateurs qui en forment l’ossature biologique. Il semblerait à cet égard logique de bloquer la voie de l’IL-6 pour contrôler l’atteinte pulmonaire et réduire la fréquence des complications cardiovasculaires incluant les arythmies imputables à l’allongement du QT … et in fine diminuer la mortalité à court terme. Ce serait faire d’une pierre au moins deux coups.
A cet égard, le tocilizumab en tant qu’anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur de l’IL-6, représente un espoir thérapeutique dans les formes graves du Covid-19. Il est d’ailleurs en cours d’évaluation dans le cadre d’essais randomisés nécessaires à la démonstration de son efficacité thérapeutique.
Car il ne suffit pas d’avoir un profil pharmacologique intéressant, voire séduisant pour accéder au titre de médicament actif : c’est une autre histoire qui est illustrée par les conflits actuels à propos d’autres stratégies thérapeutiques en cours d’évaluation.
En pratique, face à une forme sévère ou grave du Covid-19, il faut toujours avoir présent à l’esprit le risque d’arythmie cardiaque potentiellement létale, a fortiori quand il existe une inflammation systémique sévère ou une vulnérabilité patente : le rapport bénéfice/risque de chaque médicament doit être pris en compte en intégrant notamment le risque d’allongement de l’intervalle QT et de TdP qui varie d’une classe thérapeutique à l’autre.
Dr Catherine Watkins
RÉFÉRENCES :
- Lazzerini PE et coll. COVID-19, Arrhythmic Risk and Inflammation: Mind the Gap! Circulation. 2020 Apr 14. doi: 10.1161/CIRCULATIONAHA.120.047293.
- (2) Lazzerini PE et coll. Systemic inflammation as a novel QTprolonging risk factor in patients with torsades de pointes. Heart. 2017;103:1821-1829.
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