Publié le 11/08/2020

L’ibuprofène est un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) en vente libre dans la plupart des pays du monde et, de ce fait, largement utilisé pour soulager des symptômes volontiers associés aux états fébriles, qu’il s’agisse de céphalées, de courbatures ou de douleurs diverses.

Depuis l’émergence de la Covid-19, ce médicament a suscité une levée de boucliers et de mises en garde au bénéfice notamment de l’acétaminophène. Mais que disent réellement les études ?

Des bases biologiques

Les motifs de cette mise à l’index sont d’abord d’ordre biologique. Il s’avère que l’ibuprofène augmente les concentrations plasmatiques de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ECA2) en interférant avec le système rénine angiotensine aldostérone (SRAA).

Or, l’ECA2 est le corécepteur membranaire par lequel le SARS-CoV-2 pénètre dans les cellules de l’hôte, ce qui a fait craindre un risque d’aggravation de l’infection par une exposition précoce à ce médicament pris devant les symptômes inauguraux de la Covid-19, tels la fièvre et les myalgies.

Il a même été suggéré que ce médicament pouvait augmenter le risque de contracter cette infection.

Il est établi que l’ECA2 joue un rôle majeur dans la physiopathologie de la Covid-19, le virus favorisant la production excessive d’angiotensine II et, de ce fait, augmentant la perméabilité vasculaire et les lésions pulmonaires.

La sécurité d’emploi de l’ibuprofène a donc été mise en doute devant ces mécanismes d’action biologiques et quelques études cas-témoins qui ont déclenché des réactions épidermiques relayées rapidement par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), au point de mettre en alerte les professionnels de santé et le public.

L’OMS est d’ailleurs revenue en arrière le 18 mars 2020 en pesant le pour et le contre, mais le débat n’est pas pour autant clos.

Dans un essai de phase II, l’ECA2 recombinant améliore le SDRA

Pourtant, certaines données expérimentales sont venues contredire les hypothèses précédentes en suggérant que l’augmentation accrue de l’expression de l’ECA2 chez le rat diabétique atténue les effets de l’angiotensine II et de facto les lésions pulmonaires.

Par ailleurs, d’autres médicaments que les AINS sont à même d’augmenter les taux d’ECA2 : c’est le cas notamment des thiazolidinediones, des inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou encore des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II.

La polémique s’est d’ailleurs étendue à ces classes pharmacologiques pour lesquelles un certain flou a régné pendant plusieurs semaines avec des positions contradictoires des uns et des autres, jusqu’à ce que la situation se clarifie.

Chez les patients diabétiques et hypertendus, exposés à ces médicaments, la controverse sur l’ibuprofène a gagné en puissance pour revenir à de plus justes proportions.

Au cours de certaines infections pulmonaires virales, dans un essai de phase II, l’administration d’ECA2 recombinant peut améliorer le syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA), ce qui tendrait à innocenter encore plus les AINS, dont l’ibuprofène, et les antagonistes pharmacologiques du SRAA. Le rôle complexe du système immunitaire dans la pathogénie de la Covid-19 a, d’ailleurs, conduit à évaluer les immuno-modulateurs dans son traitement tels le tocilizumab.

La fièvre témoignant d’une réponse antivirale robuste, les antipyrétiques ne doivent pas être prescrits de façon systématique

Il n’en reste pas moins que l’ibuprofène fait preuve d’autres effets potentiellement néfastes tels l’inhibition de la production des anticorps dans des cultures cellulaires ou encore l’atténuation d’une fièvre, ce qui peut retarder le diagnostic de la maladie. Alors, que faire ? Face à un syndrome fébrile, faut-il recourir à l’ibuprofène ou à l’acétaminophène ?

La fièvre dans les infections virales est un phénomène autolimité qui témoigne d’une réponse immunitaire robuste de l’hôte face au virus. Les antipyrétiques ne sont donc pas contre-indiqués, mais leur usage n’a aucune raison d’être systématique, et leur indication mérite d’être posée au cas par cas, toujours en fonction du rapport bénéfice/risque propre à chaque patient et à chaque situation clinique.

Dr Philippe Tellier

RÉFÉRENCE: Kutti Sridharan G. et coll. : COVID-19 and Avoiding Ibuprofen. How Good Is the Evidence? Am J Ther. American J Therapeutics 2020 : 27, e400–e402.DOI: 10.1097/MJT.0000000000001196.

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