L’année prochaine, en 2021, l’arrivée du Fastnet se jouera non pas à Plymouth, mais à Cherbourg ! Au-delà de la longue « entente cordiale » entre le Royal Ocean Racing Club (RORC) et l’Union Nationale pour la Course au Large (UNCL), les Français ont toujours aimé se mesurer aux Anglais dans les courses à la voile.
Et en particulier dans cette « Rolex Fastnet Race » qui, ces dernières années, leur a si bien réussi. Un peu d’histoire.
Un classique : le départ au louvoyage dans le Solent. Souvent il faut tirer des bords jusqu’à Land’s End… | KURT ARRIGO / ROLEX
Voiles et Voiliers. Publié le 22/11/2020 à 06h30
Connue à l’origine sous le nom de « The Ocean Race » (oui, comme la course autour du monde en équipage aujourd’hui), la Fastnet Race a été organisée pour la première fois en 1925, inspirée par une autre course au large de 600 milles, la Newport-Bermudes.
Peu après sa première édition, l’Ocean Race a conduit à la création du RORC. Elle a été organisée chaque année jusqu’en 1931, date à laquelle elle est passée à son format biennal actuel.
Ce n’est qu’en 1928 que la course a connu son premier engagé tricolore – le cotre L’Oiseau Bleu, propriété de Léon Diot.
Mais la France avait déjà inscrit sa marque puisque c’est Jolie Brise qui avait remporté la première édition.
Ce cotre construit en 1913 par le chantier Albert Paumelle était un bateau de travail, mais sa carrière avait pris fin avec l’avènement de la vapeur.
C’est le Britannique George Martin (pas le producteur des Beatles, un autre !) qui le rachète en 1923 et l’aménage en yacht privé. À son bord, Martin ne se contente pas de remporter la première édition de la course océanique ; il s’imposera à nouveau en 1929 et 1930.
Et aujourd’hui encore, Jolie Brise reste le seul bateau à avoir signé un tel triplé !
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Cammas et Caudrelier remportent en temps réel la Fastnet 2019 et battent le record de l’épreuve
C’est en 1965 qu’un bateau français s’impose (en temps réel) pour la première fois de l’histoire de la course. Il s’agit du Sangermani Gitana IV du baron Edmond de Rothschild, long de 28 mètres, qui a établi un temps de 3 jours 9 heures et 40 minutes. Ce record – qui a tenu 19 ans ! – fait partie de l’héritage laissé par le banquier franco-suisse.
L’année dernière, le trimaran Ultime Edmond de Rothschild (Gitana 17), long de 32 mètres, mené par le tandem Franck Cammas / Charles Caudrelier, a établi un nouveau record de la course avec un temps de 1 jour et 4 heures.
Le maxi-trimaran Edmond de Rotschild (Gitana 17), poursuivi par Sodebo, au départ de la course. | CARLO BORLENGHI / ROLEX
Les grandes heures d’Éric Tabarly
Ce n’est qu’en 1967 que la course a véritablement connu son premier vainqueur français au classement général en temps compensé. Il s’agissait inévitablement du grand Éric Tabarly, à bord de Pen Duick III, la goélette de 17 mètres qu’il avait conçue.
Cette même année, le célèbre officier de marine français a également remporté les courses Round Gotland et Sydney Hobart.
Trente ans plus tard, à 66 ans, Tabarly est revenu participer à la Fastnet Race, à bord d’un plan tout aussi novateur, Aquitaine Innovations d’Yves Parlier (le premier monocoque à mât-aile soutenu par des outriggers), et le plan Finot a remporté le classement Open 60 de la course.
Toujours en 1997, un peu plus tard dans l’année, Parlier et Tabarly avaient aussi gagné la Transat Jacques Vabre. La dernière course de Tabarly… C’est l’année suivante qu’il a disparu en mer au cours d’une navigation sur Pen Duick, premier du nom, le plan Fife.
La Fastnet Race a acquis sa réputation internationale au cours des années 1970 et 1980. En partie, hélas, à l’occasion d’une tragédie. Le troisième jour de course, en 1979, la flotte de plus de 300 bateaux a été prise dans une tempête qui s’est avérée bien pire qu’annoncée.
Le bilan fut terrible avec 19 morts, dont quatre sauveteurs. Cela reste aujourd’hui encore la plus grande mission de sauvetage jamais organisée en temps de paix au Royaume-Uni.
Pendant cette période, la course a également constitué l’ultime étape de l’une des plus grandes compétitions de voile internationales : l’Admiral’s Cup. Disputée par équipes nationales de trois bateaux, cette épreuve était le championnat du monde non officiel de course au large et avait déjà des liens étroits avec la France par l’intermédiaire de son sponsor de longue date, Champagne Mumm.
En 1991, alors que les équipes italienne et danoise étaient favorites, l’équipe française l’a remporté grâce à sa performance exceptionnelle dans le Fastnet Race.
Encore quatrième, au classement général provisoire, au moment du départ de cette dernière course de l’Admiral’s Cup, Corum Saphir (un bateau de 50 pieds) s’est facilement installé à la première place, tandis que le one tonner Corum Diamant terminait carrément parmi les two tonners, pourtant plus grands.
L’équipe française a ainsi remporté sa première et unique victoire dans l’Admiral’s Cup… avec une toute petite avance : 138,75 points, contre 138,13 pour l’équipe italienne, deuxième.
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Dans son uniforme jaune et blanc, l’équipe française Corum, dirigée par Luc Gellusseau, était très en avance sur son temps. Elle ressemblait déjà à une équipe de voile professionnelle d’aujourd’hui. Et il y avait du beau monde là-dedans : Jean-Yves Bernot, Marcel van Triest, Bertrand Pacé, Pierre Mas, Luc Pillot ou encore Marc Bouet…
Chabaud, première femme victorieuse
Après Tabarly en 1967, il a fallu attendre 1999 pour voir une nouvelle victoire française au classement général.
C’est Catherine Chabaud, deux Vendée Globe à son actif, qui s’est imposée à bord de son Imoca Whirlpool Europe 2. Aujourd’hui, les Imoca (et d’autres classes comme les Ultimes et les Class40) courent en dehors de la flotte principale (IRC), mais ce n’était pas le cas en 1999 – cette édition de la course du Fastnet était d’ailleurs la toute première à être organisée dans le cadre de l’IRC, une nouvelle règle de jauge concoctée par le RORC et l’UNCL.
Catherine Chabaud l’a emporté cette année-là avec un équipage réduit composé notamment du futur vainqueur de la Route du Rhum (en 2006), Lionel Lemonchois. Elle reste la première et, à ce jour, la seule femme à avoir remporté la course au classement général.
L’année dernière, en 2019, elle est revenue à Cowes à bord de l’ex-Helvim de Jean-Luc Van Den Heede (un plan Harlé de 1991, construit pour le deuxième Vendée Globe, celui de 1992-1993). À bord de ce célèbre « Cigare Rouge », un yawl de 60 pieds très étroit, elle avait couru son premier Vendée Globe, quatre ans après VDH, en 1996-1997 (elle avait terminé sixième et dernière, sur 15 bateaux au départ dont 9 avaient abandonné).
Pour la Rolex Fastnet Race de 2019, elle était à bord avec son fils et son mari, Jean-Marie Patier, lequel avait remis le bateau pour courir la Route du Rhum en 2018 (il avait terminé quatrième en catégorie Rhum).
Les vainqueurs de la Rolex Fastnet Race au classement général ne sont pas toujours des professionnels célèbres à bord des bateaux les plus rapides.
En 2005, la météo a fait de cette édition une « course de petits bateaux » et ce fut le tour du Nicholson 33 Iromiguy, mené par un médecin de Saint-Malo, Jean-Yves Château. Celui-ci participait pour la quatrième fois. Iromiguy, âgé de 30 ans, était également l’un des bateaux les moins chers de la course – son skipper, qui l’avait acheté 20 ans plus tôt, plaisantait à peine en disant que ses voiles valaient plus que le bateau !
N’empêche, quelques-uns de ses équipiers amateurs avaient couru le Tour de France à la Voile, ou pratiqué le match-racing à haut niveau…
Depuis une vingtaine d’années, les bateaux de course de type « open » ont leur propre classement, distinct de celui de la flotte principale (IRC). De quoi attirer encore davantage de coureurs professionnels français.
En 1999, Loïck Peyron, sur le trimaran 60 pieds Orma Fujicolor, avait établi un nouveau record de la course avec un temps de 1 jour 16 heures et 27 minutes. Puis en 2011, quelques mois avant qu’il n’établisse un nouveau record sur le Trophée Jules Verne (tour du monde en équipage), le même Peyron est revenu à bord du trimaran géant Banque Populaire V (40 mètres), réduisant le temps de référence à 1 jour, 8 heures et 48 minutes.
Ce bateau a ensuite été vendu à Yann Guichard et Dona Bertarelli ; rebaptisé Spindrift 2, il a remporté à nouveau l’épreuve en temps réel en 2013 et en 2015. Comme on l’a dit plus haut, le record de Peyron a finalement été battu l’année dernière par l’Ultime Edmond de Rothschild, avec Franck Cammas et Charles Caudrelier (1 jour, 4 heures et 2 minutes).
Les premiers à avoir leur propre classement au Fastnet ont été les multicoques open. Les Imoca du Vendée Globe ont suivi en 2005, année de la victoire de Jean-Pierre Dick sur Virbac-Paprec, devant Bernard Stamm sur Cheminées Poujoulat.
Les Class40 sont entrés dans la danse en 2009, édition remportée par Tanguy de Lamotte, qui s’est à nouveau imposé en 2011 dans la même catégorie.
En 2019, Jérémie Beyou et Christopher Pratt l’ont emporté en Imoca sur le fameux Charal, et le Franco-Britannique Luke Berry en Class40 sur Lamotte Module Création. La Rolex Fastnet Race fait désormais partie du calendrier officiel de ces deux classes.
Les Français reçus 9 sur 10
Les victoires françaises dans les classes « françaises » sont attendues mais c’est aussi dans la catégorie IRC que les bleus brillent aujourd’hui, même dans des flottes de plus de 300 bateaux.
(La Rolex Fastnet Race est, dans le monde, la course au large qui réunit le plus de participants.)
En 2009, il y avait sept classes IRC distinctes (en dehors du classement général IRC) ; les bateaux français se sont imposés dans trois d’entre elles.
Lors de la dernière édition en 2019, il y avait six classes et les Français ont gagné dans cinq d’entre elles.
Quant au vainqueur au classement général (et en IRC Z), c’était un bateau français à l’origine (le VO70 Groupama 4, que Franck Cammas avait mené à la victoire dans la course autour du monde Volvo Race en 2011-2012), mais c’est aujourd’hui un bateau américain qui s’appelle Wizard (et qui appartient à David et Peter Askew).
Si l’on ajoute à cela les quatre classes non IRC (classement Imoca remporté par Charal, multicoques Mocra remporté par le TS42 Guyader, multicoques Open remporté par Edmond de Rothschild, Class40 remporté par Lamotte Module Création), les Français se sont offerts 9 des 10 prix décernés à la fin de la course.
Si, pour s’imposer dans sa classe, il faut surtout bien naviguer, la victoire au classement général demande aussi un peu plus de chance côté météo. En tout cas, il y a trois ans, c’était la première fois qu’une nation remportait trois victoires consécutives (2013, 2015 et 2017) à ce classement général, depuis les Britanniques dans les années 1950.
Les Cherbourgois Pascal et Alexis Loison sont les seuls Français à s’être imposés en double. | KURT ARRIGO / ROLEX
2013 : les Loison entrent dans l’histoire
Et quels vainqueurs ! La série a commencé en 2013 quand Pascal et Alexis Loison (Alexis, le coureur en Figaro, et son père Pascal) ont fait sauter tous les compteurs en gagnant à la fois en IRC 3, en IRC double, et au classement général IRC.
Du jamais vu ! Jamais un bateau mené en double ne s’était ainsi imposé devant tous les bateaux menés en équipage… Les deux navigateurs cherbourgeois couraient sur un JPK 10.10 baptisé Night and Day.
Pour le classement IRC double, ils ont remis ça en 2017 (victoire en double et en IRC 4), après avoir terminé deuxièmes du classement double en 2015.
Et l’année dernière, Alexis s’est imposé avec Jean-Pierre Kelbert sur le nouveau JPK 10.30 Léon, en double et en IRC 3.
2015 : Géry Trentesaux, le fidèle du Fastnet
Le classement général de l’édition 2015 a été remporté par l’un des plus grands navigateurs amateurs français, qui avait d’ailleurs fait partie de l’équipe victorieuse de l’Admirals Cup : Géry Trentesaux.
Le Nordiste, qui a aussi disputé la Solitaire du Figaro en 1984, 1985 et 1986 (il avait fini troisième en 1984, derrière Christophe Cudennec et Damien Savatier), a participé à sa première course du Fastnet en 1977.
C’est lors de sa treizième tentative qu’il a remporté l’épreuve.
Cette année-là, en 2015, le JPK 10.80 Courrier du Léon a fait une course exceptionnelle.
Premier en IRC 3, il a terminé devant tous les IRC 2, plus grands et censément plus rapides…
Au classement général il était suivi, mais d’assez loin, par un autre JPK 10.80 : Dream Pearls, mené par Arnaud Delamare et Eric Mordret, qui prenait la deuxième place.
Géry Trentesaux avait pourtant volé le départ, et perdu 40 minutes pour réparer son erreur !
C’est lors de sa treizième tentative que Géry Trenteseaux a remporté la Rolex Fastnet Race. | KURT ARRIGO / ROLEX
2017 : Fred Duthil est à bord
Didier Gaudoux, sur son JND 39 Lann Ael 2, a lui aussi réalisé un joli hold-up français, en 2017.
Par rapport aux précédents vainqueurs français au classement général (Géry Trentesaux en 2015 et les Loison en 2013), Didier Gaudoux, directeur d’une société de capital-investissement parisienne, n’a pas la même expérience.
Mais dans son équipage, en plus de son fils et de sa fille, il y avait le figariste Fred Duthil (qui a terminé deuxième de la Solitaire en 2020, avec une victoire dans la troisième étape).
S’inscrire à la course du Fastnet, c’est un peu comme prendre un billet pour un concert des Rolling Stones : au bout de cinq minutes c’est généralement complet.
Pour l’édition 2021, la limite du nombre de bateaux a été relevée, mais cela n’empêchera pas la ruée à l’ouverture des inscriptions, le mardi 12 janvier 2021 à 10h00 UTC.
Nul doute que, l’arrivée se jouant pour la première fois à Cherbourg, les équipages français seront plus motivés que jamais pour perpétuer leur domination sur cette course britannique…
À propos du nouveau parcours, voir aussi cet article sur le site de la course.
(Source service presse)