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Mis à jour le 18/10/2023
La compréhension du besoin de pratiquer l’activité physique (AP) régulièrement ne date pas d’aujourd’hui, elle est même très ancienne : 400 ans avant JC, Hippocrate précisait déjà que « Toutes les parties du corps qui remplissent une fonction sont saines, bien développées et vieillissent plus lentement si elles sont sollicitées avec mesure et exercées à des travaux dont on a l’habitude.
Mais si elles ne sont pas utilisées et sont indolentes, elles tendent à devenir malades, se développent mal et vieillissent prématurément. »
Pour autant, faisons-nous ce que notre intuition, notre bon sens et notre esprit rationnel nous disent de faire pour notre santé ?
Les patients atteints de maladies chroniques font-ils preuve d’observance [1] en prévention secondaire[2] et tertiaire[3] ?
Les personnes bien portantes bougent-elles autant que nécessaire ?
Les sportifs de haut-niveau eux-mêmes sont-ils infaillibles en termes de motivation ?
Personne n’échappe aux questions motivationnelles !
Les études et rapports sur la pratique de l’activité physique soulignent des phénomènes de sédentarité et d’inactivité physique inquiétants d’une partie de la population française.
L’ONAPS (Observatoire National de l’Activité Physique de la Sédentarité) nous informe et alerte :
- 37% des enfants de 6 à 10 ans et 73% des jeunes de 11 à 17 ans n’atteignent pas les recommandations de 60 minutes d’activité physique par jour. (2)
- Dans le classement des pays aux adolescents les plus actifs, la France pointe au 119ème rang sur 146 pays étudiés. (3)
- 47% des femmes et 29% des hommes sont physiquement inactifs. (2)
- Les adultes passent en moyenne 12 heures par jour assis les jours travaillés, et 9 heures par jour assis les jours non travaillés. (4)
- Deux jeunes sur trois présentent un risque sanitaire préoccupant caractérisé par le dépassement simultané des deux seuils sanitaires : plus de 2 heures de temps d’écran et moins de 60 minutes d’activité physique par jour !
Ce pourcentage est supérieur chez les filles. (1) & (2) De la même manière, 1 adulte sur 3 combine un manque d’activité physique et une durée des comportements sédentaires trop importante (24% chez les hommes et 40% chez les femmes).(2)
Dans notre société d’immédiateté où l’accès à l’AP peut s’effectuer en quelques clics ou quelques minutes, les offres de pratique dans le domaine du sport-santé sont en plein développement.
A ce titre, la Stratégie Nationale Sport Santé 2019-2024 vise à améliorer l’état de santé de la population en favorisant l’activité physique et sportive de chacun, au quotidien, avec ou sans pathologie, à tous les moments de la vie.
Durant cette olympiade si singulière, la motivation des Français pour pratiquer une AP doit être questionnée.
Il peut se révéler d’autant plus opportun de se poser les questions suivantes :
- Quels sont les obstacles empêchant une partie de la population française de bouger ?
- Quelles seraient les pistes envisageables afin de l’amener à davantage pratiquer l’activité physique ?
Embarquons dans cette exploration holistique.
[1] Respect des prescriptions d’un médecin.
[2] La prévention secondaire vise à agir au tout début de la maladie afin d’en limiter l’évolution ou d’en faire disparaître les facteurs de risque. (Vidal.fr)
[3] La prévention tertiaire consiste, lorsque la maladie est installée, à réduire l’aggravation, les complications, invalidités ou rechutes. (Vidal.fr)
Comment déterminer la motivation d’un individu ?
Selon Fabien Fenouillet (2016), s’appuyant sur les travaux de Vallerand et Thill (1993), la motivation peut se définir comme une « hypothétique force intra-individuelle protéiforme, qui peut avoir des déterminants internes ou externes multiples, et qui permet d’expliquer la direction, le déclenchement, la persistance et l’intensité du comportement ou de l’action ».(6)
Du fait de la multiplicité des concepts théoriques relatifs à la motivation, il sera ici question d’entrevoir la définition de certains d’entre eux afin de permettre de mieux apprivoiser, rechercher, trouver et entretenir la motivation en activité physique chez soi ou chez ses (aspirants) pratiquants.
Pour cela, nous aborderons des facteurs émotionnels et des facteurs plus rationnels de la motivation.
Les facteurs émotionnels
La sensation d’un manque, d’une frustration ou d’une insatisfaction de besoins peut constituer le point de départ de toute motivation.
La tension alors ressentie chez la personne peut l’engager sur le chemin d’une recherche d’amélioration ou de résolution de la situation.
Si elle s’avère fructueuse, cette démarche peut mener à une action (corrective) cognitive ou comportementale.
C’est ainsi qu’un but peut être atteint et des besoins satisfaits.
Il s’agit donc d’un processus orienté vers une activité.
On peut y voir un moteur de changement de comportement ou bien encore une source d’action.
Cette énergie investie sert un désir de faire, d’être, de s’impliquer et d’agir d’une certaine manière.
Si l’on s’en remet à l’étude de la « carte corporelle (thermique) des émotions » (figure 1) réalisée en 2014 par l’équipe de chercheurs finlandais de Dr Lauri Nummenmaa de la faculté des sciences d’Aalto, on peut corréler cette énergie aux émotions qui ont des effets physiques identifiables dans le corps (7).
D’après cette étude, ces patterns [4] sont similaires chez les participants de différents continents (701 volontaires finlandais, suédois et taïwanais testés).
Cela indique que les émotions sont représentées dans le système somatosensoriel de façon universelle et le domaine de l’activité physique n’y échappe pas.
La pratique de l’AP suscite en effet des émotions et réactions somatiques chez tout individu : elle ravive de bons comme de mauvais souvenirs liés à l’Éducation Physique et Sportive (EPS) à l’école, à des expériences vécues en club ou lors de pratiques autonomes en dehors et engendre une perception particulière.
Étant un sujet intra-individuel (c’est-à-dire dont le vécu dépend de chaque individu), elle mène à des émotions primaires et à des sentiments plus complexes liés aux goûts, aux expériences, à l’éducation et aux habitudes des personnes.
Ces émotions peuvent être questionnées par l’éducateur sportif et identifiées plus facilement par le pratiquant par le biais de cette carte dont on peut se servir comme un outil de discussion dans une prise en charge en AP.
Dès lors, le duo intervenant-pratiquant peut travailler à positiver ces émotions et les utiliser dans une direction établie : celle de faire de l’activité physique un habitus santé voire un projet professionnel.
C’est ainsi qu’une colère liée à une situation de surpoids ou d’obésité peut mener à un trop plein de frustration dont va se nourrir la motivation en grandissant.
La personne concernée voulant alors ardemment sortir de cette situation, elle se montre volontaire et prête à mobiliser des moyens pour y arriver.
La mise en action interviendra alors plus efficacement. Une émotion plus positive – comme la joie – ressentie à (re)faire de l’activité physique peut également (re)connecter la même personne à son envie de s’inscrire dans une dynamique plus régulière.
Si l’on considère le plaisir comme moteur de changement durable, l’aspect ludique sera à intégrer dans la pratique.
L’éducateur sportif a donc son rôle à jouer dans la génération d’émotions qui stimulent l’action.
Cette carte thermique permet donc de faire le lien entre émotions, motivation et action.
Elle peut aider à déterminer le choix de l’activité physique et des situations de pratique (ou d’entraînement) susceptibles de déclencher des émotions positives et d’entretenir la motivation du pratiquant.
[4] Modèle simplifié d’une structure de comportement individuel ou collectif (d’ordre psychologique, sociologique, linguistique), établi à partir des réponses à une série homogène d’épreuves et se présentant sous forme schématique. (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales)
Les facteurs rationnels
Le facteur émotionnel ne peut expliquer à lui seul le manque de mouvement des Français et d’autres populations.
Le facteur rationnel, lié majoritairement à la réflexion de l’individu, intervient également et peut interférer voire annihiler sa motivation à pratiquer une activité physique.
L’être humain possède en effet la capacité cognitive à masquer son insatisfaction pour s’épargner l’effort d’avoir à changer et de bouger plus à fortiori…
Cela fait référence à une dimension du coaching professionnel : l’anatomie du non agir.
Ce mécanisme vient court-circuiter les bienfaits de la colère et de la frustration ressenties au niveau émotionnel et de manière primaire qui auraient pu suffire à mettre en mouvement l’individu.
Cependant, ce dernier a inconsciemment relativisé son besoin de plus bouger (5 étapes illustrées ci-dessous) qui le conduisent à l’immobilisme :
Etape | Exemple |
---|---|
1- « je vis une situation insatisfaisante… » | « Je me trouve trop gros.se » |
2- « si seulement… » | « Si seulement je pouvais me remettre à l’activité physique et perdre 10 kg… » |
3- « il faudrait que je prenne les choses en main… » | « Il faudrait que je fasse 2 séances d’activité physique par semaine minimum » |
4- « Mais j’ai un alibi solide pour ne pas bouger… » | « Mais j’ai beaucoup de responsabilités professionnelles et personnelles… » |
5- « Je vais donc masquer mon insatisfaction. » | « Ce n’est pas si terrible d’avoir ces 10 kg en trop, je vis quand même avec… » |
C‘est en réalité une question de priorités.
En plaçant l’activité physique en « bas de la pile de dossiers à traiter au quotidien », la priorité est donnée à d’autres sujets qui passent devant et l’activité physique peine à conditionner le quotidien.
La vie de famille, la gestion financière, la carrière professionnelle prennent alors le dessus et l’activité physique est laissée pour compte, au second plan.
Une stratégie pour redonner une place prépondérante « au mouvement » consiste à associer l’activité physique à un thème jugé comme prioritaire par l’individu.
L’activité physique peut en effet concourir à une meilleure vie de famille avec une activité à partager.
Elle peut aussi participer à la forme et à l’énergie ressenties par la personne qui pourra alors mieux performer au travail.
Elle peut également lui éviter des dépenses de santé. C’est ce que montre l’étude de Goodwill-management commanditée par le Comité National Olympique et Sportif Français et le Medef, avec le soutien financier d’AG2R La Mondiale (figure 2) présentée en septembre 2015 à l’occasion des 1ères Assises européennes sport et entreprises.
La question n’est donc plus forcément comment trouver la motivation à pratiquer l’activité physique (comme si elle se suffisait à elle-même) mais davantage quels objectifs l’activité physique peut-elle servir dans la vie de l’individu (en tant que moyen).
La théorie de l’autodétermination (TAD)
La théorie de l’autodétermination (TAD) est l’une des théories permettant d’apporter un éclairage sur un grand nombre de problèmes d’ordre motivationnel qui se posent dans le domaine de l’activité physique.
Initialement développée par Deci et Ryan (1985), la TAD peut nous aider à mieux comprendre les différents niveaux de régulation de la motivation.
Elle s‘appuie notamment sur les concepts de motivations intrinsèque et extrinsèque.
La motivation intrinsèque « désigne la motivation à faire une activité pour l’intérêt qu’elle présente en elle-même, et en l’absence de quelconques récompenses extérieures […] ».
Elle est notamment basée sur l’amusement, le plaisir et la satisfaction.
Le comportement intrinsèquement motivé est lié au sentiment de contrôle (self-control), d’autodétermination et d’autonomie (Deci et Ryan, 1985 b).
« La motivation extrinsèque […]se rapporte aux formes de motivation dirigées par les récompenses, l’argent, la pression ou d’autres facteurs externes » (ibid).
On parle plus précisément de continuum d’autodétermination, qui correspond à un continuum d’internalisation (relevant différents niveaux de motivation possibles dans une même situation) (8).
Ce continuum dépend notamment de 3 besoins fondamentaux (autonomie, compétences et relations sociales) qui peuvent déterminer un intérêt situationnel, c’est-à-dire un fort intérêt ressenti au niveau personnel à changer la situation.
Une illustration de ce continuum est proposée (figure 3) avec sa traduction pratique qui se lit de droite à gauche pour suivre le renforcement de la motivation qui peut être évolutif.
Détaillons ces niveaux (de droite à gauche) à l’aide d’explications et de verbatims possibles :
- Amotivation
Sentiment d’être soumis à des facteurs hors de tout contrôle menant à l’incapacité de prévoir les conséquences d’actions.
1A. Absence de régulation : absence complète de motivation et d’envie.
« Je ne comprends vraiment pas ce que je peux retirer de l’activité physique » - Motivation extrinsèque
Action provoquée par une circonstance extérieure à l’individu (punition, récompense, pression sociale, obtention de l’approbation d’une tierce personne)
2A. Régulation externe : comportement de l’individu régulé par des sources de contrôle extérieures (contraintes : récompenses, sanctions, pression sociale).
« Parce que je ne veux pas contrarier mes proches qui veulent que je fasse de l’AP »
2B. Régulation introjectée : culpabilisation et intériorisation égotique des contraintes externes. L’individu s’impose une action pour éviter une conséquence désagréable.
« Parce que je me sentirais mal de ne pas poursuivre d’AP »
2C. Régulation identifiée : activité réalisée à des fins externes mais que l’individu valorise pour l’atteinte de ses buts.
« Parce que j’apprécie l’éducateur sportif »
2D. Régulation intégrée : activité cohérente avec les valeurs et la vision de l’individu, qui peut se l’approprier et y trouver des sources d’auto-motivation. - Motivation intrinsèque
Action conduite uniquement par l’intérêt et le plaisir que l’individu trouve à l’action.
3A. Régulation intrinsèque : action librement choisie par l’individu (pour son intérêt, plaisir, progrès, compétence, engagement) sans attente de récompense externe.
« Pour le plaisir et l’intérêt que je ressens dans la pratique d’AP »
Un niveau d’auto-détermination intrinsèque favorise la créativité et la persévérance face à l’adversité ainsi qu’une meilleure concentration sur l’objectif et sa réalisation.
L’Echelle de Motivation pour l’Activité Physique à des fins de Santé (EMAPS) peut également aider à diagnostiquer le niveau de régulation de la motivation en lien avec le continuum d’autodétermination (8).
Ainsi, l’éducateur sportif connaît le point de départ motivationnel du pratiquant et l’accompagne vers l’internalisation de sa motivation grâce à une expérience de pratique qu’il tâche de rendre plaisante, enrichissante voire épanouissante.
La motivation étant un sujet aussi large qu’holistique, il est donc essentiel d’en prendre la mesure pour mieux la comprendre, l’identifier et la développer chez le pratiquant d’activité physique.
Différentes émotions peuvent être liées à l’activité physique de même que divers niveaux de motivations extrinsèques et intrinsèques.
Les expériences passées relatives à la pratique interfèrent sur le rapport du moment à la pratique.
Aussi, l’intervenant a-t-il intérêt à mener une exploration pour faire rejaillir ces éléments, mieux les considérer voire dépasser si besoin ?
Cela passe par des méthodes et outils concrets (voir partie 2) qui pourront favoriser une motivation plus forte et durable.
Alexandre VALENSI UPEC
Références
- (1) : Anses. Actualisation Des Repères Du PNNS : Révisions Des Repères Du PNNS : Révisions Des Repères de Consommations Alimentaires – Avis de l’Anses -. ; 2016 :192 p.
- (2) : Équipe de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle (Esen). Étude de Santé Sur l’environnement, La Biosurveillance, l’activité Physique et La Nutrition (Esteban), 2014-2016. Volet Nutrition. Chapitre Corpulence. 2e Édition. Santé publique France ; 2020 :1-58. www.santepubliquefrance.fr
- (3) : Guthold R, Stevens GA, Riley LM, Bull FC. Global trends in insufficient physical activity among adolescents: a pooled analysis of 298 population-based surveys with 1·6 million participants. Lancet Child Adolesc Health. 2020;4(1):23-35. Doi:10.1016/S2352-4642(19)30323-2
- (4) : Saidj M, Menai M, Charreire H, et al. Descriptive study of sedentary behaviours in 35,444 French working adults: cross-sectional findings from the ACTI-Cités study. BMC Public Health. 2015;15:379. Doi:10.1186/s12889-015-1711-8
- (5) : INJEP, MEDES. Recensement des licences et clubs sportifs 2020. INJEP. Published 2020. Accessed April 7, 2022. https://injep.fr/donnee/recensement-des-licences-sportives-2020/
- (6) : Fabien Fenouillet, Les Théories de la motivation, (2016)
- (7) : «carte corporelle (thermique) des émotions » (2014), issue des Comptes rendus de l’Académie des sciences américaine (PNAS : Proceedings of The National Academy of Sciences).
- (8) : Deci et Ryan
- Référence questionnaire : Julie Boiché, Mathieu Gourlan, David Trouilloud et Philippe Sarrazin. Development and validation of the ‘Echelle de Motivation envers l’Activité Physique en contexte de Santé’ : A motivation scale towards health-oriented physical activity in French. Journal of Health Psychology. 2016