Publié le 04/01/2018
Les conséquences de la maltraitance et de la négligence subies dans l’enfance se poursuivent tout au long de la vie. Les troubles psychiatriques, notamment, sont plus fréquents, plus sévères, et plus difficiles à traiter. Mais les enfants de personnes ayant été maltraitées en subissent également les répercussions. L’une des explications de cette transmission transgénérationnelle fait appel à la théorie de l’attachement, qui postule que les profils d’attachement acquis durant l’enfance (fortement perturbés en cas de maltraitance) ont un effet sur la façon dont on s’occupe de son enfant, et donc sur son profil d’attachement ultérieur.
Une autre hypothèse (non contradictoire) serait que cette transmission transgénérationnelle se ferait avant même la naissance, éventuellement via des altérations épigénétiques touchant les ovocytes de la mère maltraitée dans son enfance. Sur des modèles animaux, on a pu montrer chez des rongeurs que des modifications épigénétiques de la lignée germinale mâle en lien avec le stress peuvent être transmises à la descendance. Mais cela n’a pas été démontré pour les femelles. La transmission pourrait également avoir lieu durant la vie intra-utérine via, par exemple, des mécanismes inflammatoires ou immunitaires. On sait en effet que les marqueurs inflammatoires sont modifiés chez les personnes ayant subis une maltraitance.
Un volume de matière grise inférieur de 6 %
Afin d’évaluer l’impact de la maltraitance dans l’enfance sur le développement cérébral de la génération suivante, 131 femmes enceintes ont été recrutées au cours du premier trimestre de leur grossesse. La maltraitance était évaluée via le Childhood Trauma Questionnaire (CTQ). Une IRM cérébrale a pu être réalisée chez 114 nouveau-nés dans les premières semaines après la naissance (en moyenne à 26 jours). Les données démographiques, une échelle de dépression (Center for Epidemiological Studies Depression scale – CES-D), d’anxiété (State-Trait Anxiety Inventory (STAI), de stress (Perceived Stress Scale) et d’évaluation de la détresse pré-natale (Prenatal Distress Questionnaire – PDQ) étaient réalisés à chaque visite durant la grossesse. Les violences interpersonnelles étaient également évaluées.
Le CTQ a révélé des antécédents de maltraitance chez 35 % des femmes incluses dans l’étude. Les nouveau-nés de ces femmes avaient en moyenne un volume de matière grise inférieur (p = 0,016, après ajustement), avec en moyenne une différence de 14,8 cm3, soit environ 6 % de volume en moins. Ces résultats étaient corrigés sur le niveau socio-économique, les complications obstétricales, l’obésité, la violence interpersonnelle, le stress avant et après la naissance (regroupant l’ensemble des évaluations du stress maternel), l’âge gestationnel à la naissance, le sexe de l’enfant, et l’âge au moment de l’IRM. Étonnamment, il n’y avait pas de correction sur le poids de naissance. Les résultats étaient identiques chez les garçons et les filles.
Une relation « dose-effet », mais encore beaucoup d’inconnus
Selon les auteurs, cette diminution du volume de matière grise est de la même amplitude que celle rencontrée dans les troubles neurodéveloppementaux, et serait de nature à expliquer le risque accru de troubles psychologiques et psychiatriques chez les enfants de mères ayant été maltraitées. L’IRM cérébrale étant faite précocement, on peut supposer que la différence observée est liée à ce qui se passe avant l’accouchement. Il semble donc exister une transmission transgénérationnelle de l’impact de la maltraitance, qui ne passe pas par l’interaction avec le nouveau-né après la naissance. Malgré le relatif faible effectif de l’étude, les auteurs montrent également une relation « dose-effet » entre l’intensité de la maltraitance et l’effet sur le volume cérébral, argument supplémentaire pour la véracité du lien entre maltraitance infantile chez la mère, et trajectoire neurodéveloppementale chez l’enfant. Comment expliquer ce phénomène ?
Comme annoncé en introduction, les auteurs privilégient l’existence de mécanismes épigénétiques (donc antérieurs à la conception) et surtout d’une influence de l’environnement inflammatoire et immunitaire sur l’unité fœto-placentaire (après la conception). Cependant, malgré l’ensemble des facteurs sur lesquels ces résultats ont été corrigés, et s’agissant d’une étude évaluant la maltraitance de façon rétrospective, on ne peut exclure l’existence de facteur de confusion. D’une part, des facteurs survenant durant la vie de la mère elle-même, qui n’auraient pu être captés par l’ensemble des données recueillies. Et d’autre part, qui sait, des marqueurs génétiques associés à la maltraitance dans l’enfance, et qui seraient également associés au développement cérébral. Résumons cela en disant que les mères ayant étés maltraitées ne sont bien entendu pas comparables aux autres femmes.
Dernière remarque sur cette étude : au vue des données disponibles chez l’animal, il serait intéressant également d’étudier l’influence de la maltraitance chez les pères sur le développement des enfants, ce qui pourrait permettre de distinguer l’influence d’une hérédité « non génétique » et celle d’évènements ayant lieu durant la vie intra-utérine.
Dr Alexandre Haroche
RÉFÉRENCES
Moog NK, Entringer S, Rasmussen JM, Styner M, Gilmore JH, Kathmann N, et coll. : Intergenerational effect of maternal exposure to childhood maltreatment on newborn brain anatomy. Biol Psychiatry. 2018; 83:120–127.
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