Accueil Culture voile  Mirabaud Yacht Racing Image

Gilles Martin-Raget, pour cet incroyable cliché de Fujifilm pris en 2002, remporte le prix de la photo du siècle. En 2002, le circuit des ORMA bat son plein.

Loïck Peyron est à la barre du trimaran Fujifilm et participe à la course des Phares, un circuit autour des phares majeurs de Manche et d’Atlantique. Cette photo prise dans le passage du Fromveur est symbolique à plus d’un titre. L’auteur revient sur l’histoire de cette photo dans le n° 578 de Voiles et Voiliers.

Fujifilm dans le trou du diable. | GILLES MARTIN-RAGET

Gilles MARTIN-RAGET. Publié le 25/11/2020 à 17h46

« Loïck, tu devrais venir voir, c’est tout blanc devant.

– T’inquiètes pas, c’est toujours comme ça par ici.

– Non mais vraiment, tu devrais venir voir.

– Oh P…, ah oui »

Deux secondes plus tard, Pierre Pennec, alors barreur de Tornado en équipe de France olympique mais qui disputait là sa première course au large en multicoque, avait volontiers cédé la barre à son célèbre skipper sorti en trombe de sa table à carte pour négocier ce passage en course du Fromveur, le bras de mer peu profond et farci de courants qui sépare l’île d’Ouessant de l’île de Sein. Nous sommes en 2002, au deuxième jour de la Course de Phares 2002 qui, au départ (déjà très venté) de Fécamp, envoyait la flotte des trimarans ORMA 60 circuler autour des phares majeurs de Manche et d’Atlantique, Fastnet compris.

Retrouvez « l’histoire d’une photo » dans le n° 578 de Voiles et Voiliers sur notre boutique en ligne

Lors des tempêtes d’hiver, ici, c’est l’enfer

Ce passage délicat n’était pas très long, 500 mètres environ, il faisait beau, 15-20 nœuds avec une petite houle d’Ouest, mais la faiblesse des fonds et la force des courants crée dans ce coin surnommé « le trou du Diable » une mer démontée, comme dans une barre de fleuve, qui donne naissance à des vagues pyramidales qui ne déferlent pas en ligne mais s’élèvent en un instant, puis s’écroulent sur elle-même aussi vite qu’elles se sont formées.

Daniel Manoury, le légendaire pilote à qui une génération entière de photographes et cameramen doivent leurs plus spectaculaires images de tempêtes et qui était aux commandes de l’hélicoptère ce jour-là, attesta plus tard : « Aujourd’hui il faisait beau, mais lors des tempêtes d’hiver, ici, c’est l’enfer ».

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter de Voiles et Voiliers

Outre le fait qu’elle donne une bonne idée des douceurs de la course au large et des brutalités des éléments naturels, cette photo est symbolique à plusieurs titres.

D’une part elle témoigne d’une époque, celle où la classe des trimarans ORMA 60 était à son paroxysme, avec une flotte d’une quinzaine de bateaux qui disputaient des saisons chargées avec alternance de grand prix et de courses au large.

Cette année-là, une route du Rhum particulièrement difficile vit de nombreux bateaux réduits en miettes, et notamment celui de Loïck Peyron.

Symbolique ensuite parce qu’elle est l’essence même du métier de reporter photographe qui a – notamment en matière de course au large – l’occasion d’être le témoin de scène que seuls les marins et quelques rares suiveurs ont la possibilité de voir, mais que le miracle de la photo et/ou de la vidéo permet de partager avec des milliers de personnes par la suite.

La chance pure fait aussi partie du jeu de la photographie

Symbolique car elle confirme que la chance pure fait aussi partie du jeu de la photographie. La chance que Fujifilm passe à cet endroit précis au plus fort de la marée descendante.

La chance que cette vague se soit formée juste à côté du bateau et non pas 50 mètres plus loin, la chance d’avoir été positionné avec l’hélicoptère derrière le trimaran et non pas sur le côté ou devant, la chance qu’il y ait eu cette belle lumière et du soleil entre deux nuages à cet instant précis (nous sommes quand même à la pointe de Bretagne !…).

La chance que tout l’équipage – un brin tendu soit dans le cockpit. La chance que sur trois photos, faites quasiment les yeux fermés, celle du milieu témoigne du paroxysme de la vague.

Retrouvez les Hors-Séries et Livres de Voiles et Voiliers sur notre boutique

Enfin, symbolique car elle a été faite avec un des premiers appareils photos numériques dignes de ce nom, un Canon 60 D (ses prédécesseurs faisaient plutôt de la bouillie de pixels que l’on peine à regarder aujourd’hui…), ce qui a permis, une fois l’hélicoptère posé à la baie des Trépassés, de diffuser cette photo immédiatement.

Du moins une fois retaillée en basse définition et à la vitesse des modems externes de l’époque qui envoyaient les paquets de données dans un délicieux bruit de crécelle…