Publié le 05/12/2020

Paris, le samedi 5 décembre 2020 – C’est une affaire rapportée dans les colonnes du journal Le Monde et qui mérite que l’on s’y attarde un instant.

En novembre 2014, deux héritiers sollicitent, auprès de son médecin traitant, la transmission du dossier médical de leur père décédé afin de faire valoir leurs droits successoraux.

Les héritiers, par ailleurs médecins, estiment que leur parent malade a été victime d’un abus de faiblesse au moment où ce dernier a modifié son testament pour faire de sa seconde épouse la légataire universelle de l’ensemble de ses biens.

Toutefois, le médecin traitant s’est opposé à cette demande estimant que le patient avait exprimé à deux reprises sa volonté de s’opposer à la transmission du dossier médical après sa mort. De cette décision est né une longue procédure judiciaire et disciplinaire. A la demande de l’une des filles du patient, l’ordre des médecins a été saisi afin de prononcer une sanction à l’encontre du médecin traitant pour manquement à ses obligations déontologiques.

Plusieurs questions juridiques sont soulevées par cette affaire.

Quel statut pour le dossier médical post-mortem ?

Les articles L.1110-1 et suivants du Code de Santé Publique fixent les principes fondamentaux en matière d’accès au dossier médical.

Pour l’article L.1110-4 du même code, le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droits, concubin ou partenaire de PACS dans la mesure où les informations leurs sont nécessaires pour leur permettre de connaître et de comprendre les causes de la mort, mais aussi pour « défendre la mémoire du défunt » ou même pour « faire valoir leurs droits ».

Toutefois, cette disposition a vocation à s’appliquer « sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès ».

Reste la question de savoir comment cette opposition doit être exprimée, et surtout, qui doit prouver l’existence de cette opposition ?

En l’espèce, le médecin attaqué devant les juridictions ordinales indiquait que le refus avait été formulé oralement, sans que cette mention ait été reportée par la suite par écrit dans le dossier médical du patient.

Quelle forme pour l’opposition à la transmission du dossier médical ?

Au cours des débats, l’avocat des demandeurs a indiqué que la charge de la preuve de l’opposition du patient à la transmission du dossier médical ne pouvait reposer que sur le médecin. Dès lors, il reviendrait au médecin de retranscrire par écrit et de façon circonstanciée cette opposition.

A l’opposé, le rapporteur public estime que dans le silence des textes, il n’est pas possible de rajouter à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas. Dès lors, l’opposition du patient pourrait s’exprimer « verbalement » à charge pour le médecin « d’en conserver la mémoire ».

Pour le Conseil d’Etat, une preuve libre (et donc orale) est possible

Le Conseil d’Etat, dans son arrêt rendu le 21 septembre dernier, donne raison au médecin poursuivi. Il estime que la Chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins avait utilisé son pouvoir souverain d’appréciation en estimant que le médecin traitant n’avait pas méconnu ses obligations déontologiques.

La juridiction rappelle notamment que « en cas de litige sur ce point, lorsqu’une telle volonté n’a pas été clairement exprimée par écrit, il revient à chaque partie d’apporter les éléments de preuve circonstanciés dont elle dispose afin de permettre au juge de former sa conviction pour déterminer si la personne concernée, avant son décès, avait exprimé de façon claire et non équivoque sa volonté libre et éclairée de s’opposer à la communication à ses ayants droit ».

Les chambres disciplinaires de l’Ordre peuvent donc apprécier, en fonction des circonstances de l’espèce, si la volonté du patient a bien été de s’opposer à la transmission de son dossier médical.

Cette décision vient en un sens à contre-courant de la tendance lourde de la jurisprudence qui renforce la charge de la preuve pesant sur le médecin, notamment en matière d’obligation d’information.

Malgré cette décision, il peut être considéré comme prudent d’envisager d’opérer une retranscription à l’écrit du refus du patient dans le dossier médical, afin d’éviter toute procédure.

Notamment dans un contexte où le médecin, devenu confident du patient, peut pressentir un climat conflictuel post-mortem.

Charles Haroche

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Faut-il trembler pour le secret médical ?