Publié le 03/05/2018 F. DESPERT, Tours
La survenue d’un ralentissement de la croissance chez un jeune enfant (0 à 4 ans) est une situation qui ne doit pas être négligée, car elle peut être en rapport avec une pathologie sous-jacente grave. Malheureusement, il n’est pas rare qu’à l’occasion d’un examen systématique, la découverte d’un retard de croissance ne soit pas suivi d’une prise en charge, souvent reportée en raison de la fausse idée que l’enfant aura bien le temps de grandir plus tard !
Pour bien aborder cette prise en charge, nous nous proposons de répondre à trois questions :
• Quels mécanismes hormonaux régulent la croissance de la conception à l’âge de 4 ans ?
• Quand un ralentissement de croissance devient-il inquiétant ?
• Quelles causes envisager ? Comment mener les explorations ?
Quels mécanismes hormonaux régulent la croissance de la conception à l’âge de 4 ans ?
La croissance in utero
Entre la conception et la naissance, la taille du fœtus est multipliée par 5 000 ! Entre la naissance et l’âge de 1 an, un enfant prend environ 25 cm, sa taille est multipliée par 1,5. Entre la naissance et l’âge adulte, la taille est mutipliée par 3,5.
In utero, on distingue deux périodes :
• la période embryonnaire (1er trimestre) marquée par la multiplication cellulaire et la différenciation des tissus ;
• la période fœtale avec la maturation des organes et la prise de taille et de poids. Après la naissance, la maturation des organes se poursuit. La croissance staturo-pondérale reste rapide la première année, puis ralentit progressivement. Les vitesses de croissance par période de 3 mois sont listées dans l’encadré 1.
Noter la prise de 9 cm pendant les 3 premiers mois de vie ! Ces chiffres montrent clairement que tout ralentissement de la vitesse de croissance va s’accompagner visuellement d’un décrochage sur la courbe de croissance.
Facteurs impliqués dans la croissance fœtale
Nous ne détaillerons pas ici les divers facteurs reconnus comme intervenant dans la croissance fœtale, leurs perturbations étant à l’origine des retards de croissance intra-utérins (RCIU) qui sont une autre problématique (rôles du placenta, de l’ethnie, de l’âge de la mère, de la parité, de l’altitude, de la situation socio-économique, etc.). Nous n’aborderons que les facteurs endocriniens. Le placenta sécrète une GH (growth hormone) spécifique qui ne passe pas la barrière placentaire. La GH fœtale est produite par l’hypophyse à partir de la 16e semaine et, de façon notable à la 22e semaine, mais elle n’est pas encore fonctionnelle. Pour preuve, les enfants naissant avec un déficit congénital en hormone de croissance ou anencéphales n’ayant pas de tissu hypophysaire fonctionnel, ont une taille de naissance quasi normale. Pendant la vie intra-utérine, les hormones actives sont l’IGF-1, l’IGF-2 et l’insuline dont les valeurs sont corrélées avec l’état nutritionnel du fœtus. Le rôle de l’insuline est bien démontré en cas de diabète maternel mal équilibré : le fœtus ayant une glycémie identique à celle de sa mère répond de manière physiologique par une hypersécrétion d’insuline à l’origine d’une macrosomie à la naissance avec le risque de survenue d’hypoglycémies sévères.
Après la naissance l’IGF-1 reste l’hormone essentielle, mais sa sécrétion dépend de facteurs différents
• Pendant la petite enfance, principalement pendant la 1re année de vie, la sécrétion de l’IGF-1 dans la continuité de la période fœtale, reste liée à l’état nutritionnel de l’enfant et dépend encore peu de la GH.
• Après l’âge d’un an environ, la sécrétion d’IGF-1 entre progressivement sous la commande de la GH, et ce, jusqu’à la fin de la croissance. Mais à tous les âges l’état nutritionnel, s’il est altéré, peut être à l’origine de ralentissements de croissance.
• En période pubertaire, la sécrétion des hormones sexuelles agit directement et indirectement, en renforçant la sécrétion d’IGF-1 à l’origine de la « poussée de croissance pubertaire » qui permet au sujet d’atteindre sa taille adulte.
Quand un ralentissement de croissance devient-il inquiétant ?
La surveillance de la croissance staturo-pondérale doit être stricte à cet âge, car toute anomalie peut être révélatrice d’une pathologie sous-jacente potentiellement grave.
Tout ralentissement de la prise de poids et/ou de la taille doit attirer l’attention. La surveillance de la croissance s’appuie sur les données des courbes des carnets de santé et elle est bien codifiée (figure 1).
Comment surveiller la croissance ?
• Un doute apparaît quant à la régularité de la croissance en taille ?
• Une anomalie évidente : une « cassure » nécessite une exploration.
• Un doute possible, petit fléchissement attirant l’attention : faire deux mensurations avec moins de 5 mm entre les deux mesures. Sur la moyenne des deux chiffres, faire le calcul en DS = point d’alerte.
Conduite à tenir :
– revoir l’enfant 2 mois plus tard si < 12 mois ;
– revoir l’enfant 4 mois plus tard si < 4 ans ;
– revoir l’enfant 6 mois plus tard si > 4 ans.
• Lors de la deuxième consultation :
• L’impression ne se confirme pas : continuer la surveillance habituelle.
• L’impression se confirme car perte de plus de 0,2 DS = point d’exploration. Il est nécessaire de comparer les courbes de taille, de poids et de périmètre crânien. L’auxologie chez l’enfant en bas âge est importante : plus l’enfant est jeune, plus il faut s’en occuper.
Quelles causes envisager et comment mener les explorations ?
L’analyse comparative des courbes de taille et de poids peut être d’emblée informative :
• Si la taille fléchit face au poids : penser à une cause générale ou ostéo-cartilagineuse.
• Si la taille fléchit en même temps qu’un ralentissement du poids : penser à une cause nutritionnelle.
• Si la taille fléchit alors que le poids reste régulier ou augmente : penser à un problème endocrinien (ou à un syndrome de Turner chez la fillette).
Les causes de retard de croissance sont multiples, il est donc nécessaire de les classer par grands groupes. Cette classification par thèmes permet d’envisager logiquement leur prise en charge, d’éviter de lancer des explorations souvent inutiles et coûteuses, et surtout d’oublier d’explorer un secteur pouvant être en cause. L’idée à la base de cette classification est simple : la croissance en longueur du corps repose principalement sur l’allongement osseux. Pour qu’elle se déroule normalement deux conditions de base sont nécessaires : une structure normale de l’os et du cartilage ainsi qu’un capital génétique normal. La croissance a également besoin de substrats, d’énergie et d’une fine homéostasie de l’espace intérieur. Par ailleurs, le fonctionnement du mécanisme complexe de la croissance nécessite l’intervention d’un « allumage » bien régulé : les sécrétions hormonales. Enfin, de façon un peu mystérieuse, une croissance harmonieuse nécessite un environnement psycho-affectif stimulant. Il est donc logique de classer les diverses pathologies rencontrées en fonction de l’anomalie sous-jacente. Pour simplifier la réflexion, les étiologies sont classées en quatre groupes (figure 2).
Le groupe 1
Il correspond à des situations touchant la structure des os longs et des cartilages de croissance et comprend les causes génétiques (figure 3). Pour les pathologies de l’os et du cartilage, la clinique est d’une grande aide : l’examen de l’enfant dénudé marchant devant l’examinateur permet de repérer une anomalie de proportion du corps. Parfois, un membre de la famille est également petit. S’il y a un doute, des radios sont réalisées (membre supérieur gauche, bassin et rachis lombaire de face), tout en sachant que parfois en raison de la maturation insuffisante des os en bas âge, une anomalie peut être difficile à identifier à cette période de la vie.
Le catalogue des maladies ostéo-cartilagineuses est très vaste aussi lorsqu’une d’entre elles est évoquée, il est nécessaire de prendre l’avis d’un spécialiste. Pour les maladies génétiques, le diagnostic est souvent déjà connu et l’anomalie de croissance attendue. Dans ce groupe 1, il faut systématiquement évoquer la possibilité d’un syndrome de Turner chez la fille petite, en sachant que la majorité de ces fillettes ne présentent pas l’ensemble des signes classiquement décrits dans ce syndrome, leur aspect pouvant être quasiment normal. Chez elles, il est utile de comparer leur taille à la taille cible calculée, et de se méfier d’une pathologie en cas d’écart > 1,5 DS. Le fléchissement de la taille peut n’apparaître qu’après l’âge de 4 ans (encadré 2).
Le groupe 2
Il regroupe les pathologies en rapport avec une anomalie touchant le fonctionnement des grands appareils apportant les « matériaux », l’énergie et l’équilibre homéostatique nécessaires à une croissance normale hormis les pathologies touchant le cœur, les poumons et le foie, car du fait de leur gravité elles sont reconnues avant un éventuel retentissement sur la croissance. En cas d’atteinte cardiaque, l’association à une petite taille doit faire évoquer la possibilité d’un syndrome génétique à l’origine des deux anomalies (syndrome de Turner, délétion 22q11, etc.).
Les organes à évoquer prioritairement sont l’appareil digestif, les apports nutritionnels et le rein. En cas de trouble nutritionnel, l’étude comparative des courbes de poids et de taille est informative : une courbe de poids qui s’infléchit avant celle de la taille chez le jeune enfant fera évoquer prioritairement une maladie cœliaque (figure 4).
Le diagnostic sera confirmé par le dosage des anticorps antitransglutaminases (associé au dosage d’IGA). Une pathologie du rein est plus difficile à évoquer car souvent cliniquement discrète. Un bilan simple sera réalisé comportant une bandelette urinaire, un ionogramme complet (penser à la réserve alcaline) et un dosage de la créatinine. Dans ce groupe, on évoquera plus rarement d’autres causes : rachitismes, maladies métaboliques ou hématologiques chroniques, souvent déjà connues par ailleurs.
Le groupe 3
Il peut être considéré comme le « système d’allumage » de la croissance.
C’est lui qui active le « moteur croissance » et lui permet de remplir son rôle. Son exploration fait suite à la recherche de pathologies dans les groupes 1 et 2. Il comporte trois systèmes hormonaux : l’axe thyréotrope, l’axe somatotrope et l’axe gonadotrope. Chez l’enfant en bas âge, l’axe gonadotrope n’intervient pas dans la croissance. L’axe corticotrope n’a pas de rôle dans la croissance normale, mais un hypercortisolisme pathologique peut ralentir considérablement la vitesse de croissance tandis que la courbe de poids est conservée.
• Les anomalies de l’axe thyréotrope sont évoquées prioritairement en raison des conséquences catastrophiques d’une carence en hormones thyroïdiennes chez le jeune enfant. Il existe deux formes d’hypothyroïdie :
– Les hypothyroïdies périphériques qui sont les plus fréquentes (1 sur 3 000 naissances). Elles peuvent être congénitales (athyréose, ectopie, tr. hormono-synthèse) ou acquises (thyroïdite, etc.). À la naissance, le dépistage réalisé à J3 par dosage de la TSH permet d’identifier ces hypothyroïdies et les traiter. Si le traitement est précoce, il n’y aura aucun problème de développement.
– Les hypothyroïdies centrales peuvent être congénitales (malformatives, 1/10 000 naissances) ou acquises (tumeurs, infiltration, radiothérapie, etc.), mais souvent non diagnostiquées à la naissance car le dosage de TSH du dépistage n’est pas élevé. Il est donc nécessaire de doser la FT4 qui est alors effondrée. Elles sont souvent associées à d’autres déficits hypophysaires qu’il convient de rechercher. Une hypothyroïdie doit être évoquée chez l’enfant dont la croissance fléchit, même si le dépistage n’a rien révélé. Dans cette situation, la courbe de poids reste régulière, voire augmente. Le gold standard du diagnostic d’hypothyroïdie chez l’enfant est le dosage de FT4. Dans toutes les situations où la croissance fléchit, en raison d’un dysfonctionnement de l’axe thyréotrope, la FT4 est basse avec soit une TSH élevée en cas de cause périphérique, soit une TSH normale ou basse en cas de cause centrale.
• Les anomalies de l’axe somatotrope. En période néonatale, il faut penser au déficit congénital en GH si un nouveauné de poids normal fait des épisodes inexpliqués et récurrents d’hypoglycémie et, chez le garçon, s’il existe en plus un micropénis (pénis de taille < à 2,5 cm). Il faut également être vigilant en présence d’anomalies de la ligne médiane de la face (fente labiale ou labio-palatine, colobome irien, incisive unique, etc.), car les gènes impliqués dans le développement de la face sont également actifs dans le développement de la région hypothalamo-hypophysaire. Un déficit en GH peut se dévoiler qu’au cours de la 2e année. Dans ce cas, un dosage de GH de base n’a aucun intérêt, des explorations spécialisées seront programmées comportant un dosage d’IGF-1 et des tests de stimulation. Le traitement par GH est débuté dès la période néonatale en cas d’hypoglycémie. En cas de déficit de GH, il faut explorer les autres fonctions hypophysaires et faire, en urgence, si l’on est en période néonatale, un dosage de FT4. Le pronostic de taille adulte est excellent si le traitement par GH est débuté tôt (figure 5).
• Situations d’hypercortisolisme. Elles sont rares, théoriquement représentées soit par une hypersécrétion d’ACTH secondaire à un microadénome hypophysaire (maladie de Cushing), soit par une hypersécrétion de cortisol secondaire à un mécanisme tumoral surrénalien bénin (adénome) ou malin (corticosurrénalome). Chez le jeune enfant, c’est cette deuxième situation qui est rencontrée, rare mais potentiellemnt très grave. Suivant le type de sécrétion hormonale de la tumeur, le profil clinique est différent. Le plus souvent deux types de sécrétions sont retrouvées : de cortisol ou d’androgènes. En cas d’hypersécrétion de cortisol seul, c’est la symptomatologie cushinghoïde qui est trouvée avec : obésité facio-tronculaire majeure, rougeur du visage, vergetures, amyotrophie. En cas d’hypersécrétion androgé- nique, le tableau est celui d’une pseudo-puberté précoce avec des signes d’hyperandrogénie majeurs et une accélération de la croissance. Les deux types de sécrétion peuvent être parallèles et intriquer les deux symptomatologies. Le diagnostic facilement évoqué sur la clinique est confirmé par les dosages spécifiques : cortisol libre urinaire (CLU) des 24 heures augmenté ou dosage de cortisolémie à 0 heure qui, normalement, est très basse ; la testostérone et la DHEA ou la DHEAS très augmentées en cas d’hyperandrogénie.
Le groupe 4
Il regroupe des étiologies plus rares. Chez le jeune enfant, c’est le nanisme psychosocial. Le retard de croissance, souvent important, n’a pas de cause organique décelable, il est lié à un stress psychosocial et est résolutif en cas de changement d’environnement. Les jeunes enfants ont souvent d’autres toubles : énurésie, encoprésie, potomanie, troubles du sommeil et du comportement, etc. Il existe une anomalie du lien mère-enfant, on parle « d’interaction désertique habituelle » entre la mère et l’enfant. Une fois que l’enfant a changé d’environnement, la croissance repart très vite et la taille finale n’est pas affectée. En revanche, les séquelles psychologiques persistent souvent. La cause de l’arrêt de croissance est complexe, et ces enfants peuvent se présenter comme des déficitaires en hormone de croissance, avec des réponses basse aux tests de stimulation et une IGF-1 basse. Le diagnostic est souvent difficile à poser, d’autant que la présentation parentale de la situation est souvent « lisse » !
En conclusion
Au cours des 4 premières années, la croissance est rapide : tout ralentissement doit être repéré et exploré. Les données auxologiques doivent être analysées avec rigueur pouvant orienter vers le diagnostic étiologique. Parfois dès la naissance, les données cliniques peuvent attirer l’attention vers une étiologie. Les causes hormonales doivent être facilement évoquées en période néonatale du fait de leur risque potentiel : retard mental en cas d’hypothyroïdie ou d’hypoglycémies en cas de déficit en GH ± cortisol. Lorsqu’aucune cause n’est évidente, rechercher les étiologies successivement dans les quatre groupes étiologiques.
Pour en savoir plus
• Bertholet-Thomas A et al. Intérêt de l’examen des urines à la bandelette en cas de retard de croissance. Arch Ped 2015 ; 22 : 756-62.
• Castinetti F et al. Déficits hypophysaires combinés multiples : aspects cliniques et génétiques. Ann Edocrinol 2008 ; 69 : 7-17.
• Despert F. L’enfant de petite taille. Conduite à tenir. Doin, 2000 ; 150 p.
• Mariani A et al. Le nanisme psychosocial ? une réalité toujours d’actualité, à propos d’un cas. Arch Ped 2010 ; 17 : 486-90.
• Salaün JF et al. Courbes de croissance : quels référentiels pour raccourcir les délais diagnostiques de quelles maladies ? Arch Ped 2011 ; 18 : 79-80.
• Turck D. Gluten, courbes de croissance : quoi de neuf ? Médecine & Enfance. Octobre 2009 : 387-91.
Copyright © Len medical, Pediatrie pratique, novembre 2017