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Champions du sommeil fractionné, les skippers du Vendée Globe peuvent ils nous aider à mieux dormir ?
Par Marylise KERJOUAN.
Pendant leur tour du monde, les skippers du Vendée Globe sont très performants alors qu’ils ne dorment que quatre à six heures par jour.
Est-il possible de s’en inspirer dans la vie de tous les jours ? Skippers et médecins répondent.
Les statistiques révèlent qu’en moyenne, nous passons entre vingt-cinq et vingt-sept ans de notre vie à dormir.
Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 15 à 20 % de la population est atteinte d’insomnie.
Un déficit de sommeil auquel vont aussi être confrontés les skippers du Vendée Globe, pourtant très compétitifs, lors de leur tour du monde en solitaire.
Certaines de leurs astuces peuvent servir dans la vie quotidienne, d’autres non. Passage en revue.
Les skippers dorment entre quatre et six heures par tranche de 24 heures. Peut-on faire pareil ?
Non, c’est une mauvaise idée.
Car les navigateurs seront tous « en dette de sommeil » pendant le Vendée Globe, qui peut durer jusqu’à quatre mois, explique Laure Jacolot, la médecin de la course.
Cela peut même les mettre en danger.
Parmi les premiers signaux d’alerte en course au large : « les hallucinations ».
Charles Caudrelier, par exemple, raconte avoir déjà eu « l’impression d’être à cheval et de devoir zigzaguer entre les arbres » lors d’une Solitaire du Figaro quand Maxime Sorel s’est vu « distribuer des posters avec (son) père » en pleine Route du Rhum.
Dans la vie de tous les jours, est-ce suffisant de dormir une poignée d’heures ?
Cela représente aussi un risque.
« On dit à M. et Mme Tout le Monde d’éviter la faillite de sommeil », qui est l’étape suivant la dette du sommeil, alerte François Duforez, médecin du sommeil et du sport, qui accompagne plusieurs skippers pour la marque Bultex.
« La dette de sommeil peut se gérer mais pas la faillite de sommeil qui, elle, amène à l’accident. »
Les skippers du Vendée Globe dorment en fractionné, alternant longues et courtes siestes.
Est-ce une bonne idée ? C’est ce qu’on appelle le sommeil polyphasique.
Louis Burton, le skipper de Bureau Vallée, explique dormir « six heures par tranche de vingt-quatre heures, en fractionné, avec des siestes très courtes d’une vingtaine de minutes et des siestes plus longues de deux heures ».
Est-ce une solution à adopter pour ceux qui ont des troubles du sommeil ?
« La réponse est non. Parce que le sommeil des marins, c’est le sommeil des mammifères marins », explique François Duforez, également attaché au Centre du sommeil et de la vigilance à l’hôpital Hôtel-Dieu à Paris.
« On a des hormones du sommeil qui sont calées sur le cycle du soleil, précise Laure Jacolot.
Dormir comme un marin, c’est aller à l’encontre de la physiologie. Ce n’est pas une bonne idée. »
Laure Jacolot, médecin du Vendée Globe 2024. (Photo : Kevin Guyot / Ouest-France)
Des skippers font des siestes de 12 mn, 24 mn, 35 mn… Quelle est la bonne durée ?
Premier enseignement, la sieste peut être une bonne idée, même quand on dort mal la nuit, car elle est « thérapeutique quand on est en dette de sommeil », confirme François Duforez.
Elle doit correspondre « à la sieste du navigateur, entre dix et quarante minutes », sous peine d’être trop longue et de ne pas se réveiller en bonne forme.
Reste à définir sa durée précise avant de programmer une alarme.
Lors des études réalisées, « des navigateurs nous ont dit que douze minutes leur suffisaient, d’autres vingt-quatre, d’autres trente-cinq ».
Alors, comment s’y retrouver ? « À partir du moment où vous êtes entraînés à faire la sieste, vous allez voir, vous allez vous réveiller avant l’alarme.
Ce sera la bonne durée de votre sieste à vous », indique le médecin.
Dernière astuce : « Si vous aimez le café, prenez-en un avant de faire la sieste et vous allez en sortir avec l’effet positif et psycho stimulant du café ».
Les skippers font des micros sieste d’une minute. Est-ce que ça peut marcher au travail ?
Oui. C’est aussi un enseignement des skippers du Vendée Globe, explique François Duforez.
Après leur passage dans les mers du Sud, « ils nous disent souvent : je m’assoupis et ça dure trente secondes à une minute, et ensuite j’ai la vague suivante qui me réveille ».
Après s’être demandé « à quoi ça sert », les spécialistes se sont rendu compte que « dans ce laps de temps d’une à deux minutes, différentes zones du cerveau se reconnectent et aident à prendre de meilleures décisions ».
Un truc à retenir pour le grand public, car « il y a énormément de gens qui sautent d’une visioconférence à une autre, sans avoir la possibilité d’avoir récupéré ».
Depuis le Covid, « ces notions de fatigue sont beaucoup plus fréquentes en fin de journée qu’avant », constate le médecin.
Il en est convaincu, « on devrait apprendre aux gens à savoir récupérer en une à deux minutes ».
À la Pitié-Salpêtrière, une étude a permis de tester scientifiquement les bienfaits de ces pauses auprès de 80 personnes.
« On leur a posé une suite arithmétique dont la solution était un raccourci.
La solution a été trouvée par 84 % des gens qui avaient fait la sieste d’une à deux minutes et seulement 12 % par ceux qui ne l’avaient pas faite.
On ne sait pas pourquoi, mais on sait que c’est efficace. »
Pour glisser facilement vers ces mini-siestes, il faut utiliser quelques « techniques de respiration ».
François Duforez, médecin du sport et du sommeil. (Photo : Guillaume Saligot / Ouest-France)
Les skippers sont secoués dans leurs bateaux.
Comment dormir quand l’environnement n’est pas optimal ?
Charlie Dalin, le skipper de Macif Santé Prévoyance, explique que « pour trouver le sommeil » dans des conditions difficiles, en mer, il utilise de techniques « de respiration » et « détend progressivement les pieds, les jambes, les bras… »
Laure Jacolot, la médecin du Vendée Globe, souligne que les skippers sont de « très bons dormeurs » qui arrivent « à s’endormir malgré le bruit, malgré le stress, malgré le fait qu’ils soient seuls, isolés sur un bateau à pleine vitesse ».
Beaucoup, à terre, n’ont pas cette capacité, d’où l’importance de soigner son « environnement », note le docteur Duforez.
Il faut donc limiter « le bruit, la chaleur, la pollution lumineuse » et, « ce qu’on a beaucoup travaillé avec les marins, c’est la qualité du couchage qui va jouer sur la qualité du sommeil ».
Faut-il faire confiance aux outils connectés pour analyser son sommeil ?
Pour les skippers, c’est une vraie difficulté.
Charlie Dalin a essayé d’enregistrer son sommeil, en course, grâce « à un casque dernier cri » sauf qu’à chaque réveil, « le smartphone me disait que j’avais dormi zéro minute alors que j’avais l’impression d’avoir dormi ».
L’explication ? « Le système prenait en compte les mouvements.
Comme le bateau bougeait tout le temps, le système pensait que je ne dormais pas ».
À la maison, un lit ne doit pas bouger. Mais les outils connectés, comme les montres, sont-elles efficaces pour autant ?
« Ce qu’ils mesurent généralement bien, c’est la durée du sommeil et le temps pour s’endormir », indique François Duforez.
Par contre, pour les autres indications concernant par exemple « le sommeil lent profond, le sommeil paradoxal, la qualité du sommeil… », il y a « 40 % d’erreurs par rapport à des électrodes qu’on met dans des laboratoires du sommeil ». Bref, pas le top.
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