Accueil > Newsletters > Sport santé et préparation physique > mis à jour le 19/05/2022
Depuis longtemps, un débat existe sur la notion de placement du dos parmi les professionnels du sport.
Le point d’intérêt concerne la conservation ou non des courbures naturelles du dos, notamment dans le port des charges lourdes : est-il dangereux d’avoir le dos rond lors de l’exécution de certains exercices?
Certains défendent l’idée que la pratique de la musculation avec un dos rond, n’est pas néfaste pour le rachis alors que d’autres soutiennent la thèse selon laquelle la conservation des courbures naturelles du dos est intangible, même pour des mouvements simples.
Cet antagonisme peut paraître légitime : l’un des plus grands pratiquants de force athlétique, Lamar Gant a battu de nombreuses fois le record du monde du soulevé de terre (deadlift) avec un dos rond.
Pour autant, sa carrière n’a pas été écourtée pour cause de blessure.
Néanmoins, ne serait-ce pas l’exception qui confirme la règle ? Le placement du dos lors de l’exécution de divers mouvements se doit d’être alors interrogé au regard d’études scientifiques.
Quelques rappels sur le rachis
Le rachis est un empilement de 33 vertèbres présentant différentes courbures entre presque toutes les vertèbres consécutives de la colonne vertébrale se trouve un disque intervertébral (fibro-cartilage mixte).
Ce disque est une structure fondamentale jouant le rôle d’amortisseur lors des mouvements durant lesquels les points de compression de ce disque s’aplatissent.
La répétition des contraintes, associée ou non à des pratiques physiques inadaptées et à d’autres facteurs (obésité, etc.), peuvent mener à une altération prématurée des disques intervertébraux expliquant plusieurs pathologies du dos dont la hernie discale.
Il s’agit de la dégénérescence d’un disque, avec une fuite de noyau suite à l’usure de la partie dure du disque pouvant parfois comprimer un nerf.
Des positions de travail inadaptées (position assise de manière prolongée par exemple) et de mauvaises pratiques dynamiques (port de charges lourdes, mauvaises positions lors du port de charges importantes) constituent des facteurs aggravants.
Afin de protéger ces structures, il est souvent énoncé par une partie des pratiquants de musculation de garder les courbures naturelles du dos alors que d’autres plébiscitent d’adopter une posture avec le dos rond lors d’un squat ou d’un soulevé de terre par exemple.
Des arguments scientifiques divergents sur l’accentuation des courbures
Le consensus de terrain actuel est plutôt de conserver les courbures naturelles du dos et d’utiliser plutôt les hanches durant l’acte moteur.
Cependant, il n’est pas vain de dire, qu’il existe de nombreux mouvements utilisant de grandes flexions du rachis, comme le « Jefferson Curl » (Figure 1).
Cet exercice nécessite une flexion plus ou moins importante du buste sur les jambes selon la charge à mobiliser.
De nombreux auteurs et études se sont attardés sur ces aspects.
Tout d’abord, certains auteurs penchent en faveur de la conservation des courbures naturelles du dos, lors des mouvements.
Comme Callaghan et McGill (2001) ont montré, sur des modèles in-vitro, que la difficulté à provoquer des hernies discales dans des angles « neutres » (c’est-à-dire en conservant plus ou moins des courbures naturelles du dos) était grande et comparativement à des zones de flexions excessives.
Bien que ce soit sur des os d’ovidés, Wade et al (2015) ont démontré que la vitesse de compression avait probablement un impact sur l’apparition de la hernie : les vitesses de compression lentes, que ce soit en flexion ou en position neutre, provoquaient que des fractures des plateaux vertébrés tandis que les vitesses rapides en flexion provoquaient des fractures et des lésions postérieures du disque.
Cela semble confirmer l’observation faite par Callaghan et McGill.
Par ailleurs, l’étude Hoogendoorn et coll. (2000) indique, dans leur protocole issu du terrain, que la flexion et la rotation du tronc lors d’un mouvement de tirage (comme un soulevé de terre) sont des risques modérés dans l’apparition des douleurs du dos au niveau lombaire.
Les mouvements exécutés avec une position neutre de la colonne vertébrale semblent permettre une bonne utilisation des hanches, pour la réalisation d’exercices intenses.
Cependant, la principale limite des deux premières études réside dans le fait qu’elles ont été effectuées sur des animaux, impliquant ainsi une incertitude sur la transposition sur le modèle humain.
Ces travaux sont donc à prendre avec un certain recul, mais amènent cependant des éléments à considérer pour la conservation des courbures naturelles du dos.
A contrario, des auteurs se sont attardés sur les flexions et extensions du dos et se mettent en opposition aux auteurs précédents. Veres et coll. (2010) contredisent l’étude de Callaghan et McGill, en démontrant que la position neutre du dos peut être source d’hernies discales et reste donc insuffisante pour se protéger de cette pathologie. Goovers et coll. (2015) ont centré leurs recherches sur les fractures des vertèbres que ce soit en position neutre ou en flexion.
Ils ne trouvent aucune différence significative dans l’apparition des fractures, même si une petite tendance est en faveur de la position en flexion pour l’apparition des blessures.
Kingma et coll. (2010) indiquent, qu’il est impossible d’empêcher la flexion au niveau lombaire lors d’un squat.
Ainsi ces auteurs ne montrent pas d’avantages réels à conserver les courbures naturelles du dos.
Ces différentes études scientifiques sont donc contradictoires, excluant un réel consensus scientifique sur la question.
Un consensus de terrain en faveur de la conservation des courbures naturelles peut être issus du « bon sens », ou d’une meilleure diffusion des travaux des auteurs qui défendent cette thèse.
Dans tous les cas, un avis médical est obligatoire si des douleurs existent.
Accentuation des courbures : un réel problème sur le terrain ?
Malgré l’absence de consensus scientifique, les arguments avancés par les différentes études peuvent donner quelques repères pour jalonner la pratique des exercices.
Tout d’abord, le travail Callaghan et McGill (2001) indique que nous avons « une zone de réserve » pour les différentes courbures : il est possible d’avoir une légère accentuation des courbures sans pour autant remettre en question le mouvement exécuté.
Ensuite, nous pouvons définir différents paramètres modulables dans l’exécution du mouvement au niveau du rachis, afin de mieux guider le pratiquant : la charge manipulée (légère vs lourde), la vitesse d’exécution (lente vs rapide) le(s) plan(s) d’exécution du mouvement (sagittal/frontal/transversal), la quantité de travail (grande quantité vs peu de quantité) et également l’absence de douleur sur le mouvement donné.
La présence de douleurs rachidiennes lors de l’exécution d’un exercice doit immédiatement interpeler le pratiquant et/ou l’entraîneur et donner lieu à une recherche de la ou des causes afin d’éviter toute blessure (décryptage de l’activité par l’entraîneur, avis médical pour écarter toute pathologie).
Ainsi, il faut éviter d’utiliser les mouvements qui induisent cette douleur, et amener l’encadré à retrouver sa fonctionnalité (rééducation par un kiné).
De ces différentes dimensions, nous pouvons en tirer des lignes directrices à appliquer sur le terrain :
- Utilisation de charge légère, avec une grande quantité de travail (par exemple aller chercher un objet léger au sol) : le fait d’accentuer les courbures ne doit pas problématique.
- Utilisation de charges lourdes sur des mouvements polyarticulaires (par exemple le soulevé de terre) : la conservation des courbures semble être un avantage afin de limiter le stress au niveau du rachis.
- Les exercices avec des mouvements rapides (comme les sauts) : la conservation des courbures semble posséder des avantages d’un point de vue mécanique car les muscles moteurs (comme muscles des hanches) sont plus engagés.
- Les mouvements de flexion de la colonne vertébrale sont à limiter !
Que ce soit avec des charges légères (ie : relevé de buste) ou lourdes (Jefferson Curl), il est préférable que ces exercices provoquant une flexion du rachis ne soient pas majoritaires au sein d’un plan d’entraînement.
Ces mouvements doivent être introduits de manière logique, intégrés et maitrisés dans toutes séances.
- Le mouvement dans le plan transversal (rotation) : Les rotations doivent être exécutées au niveau thoracique, tout en gardant les courbures naturelles du dos.
Les vertèbres du rachis lombaire ont peu de degrés de liberté dans le plan transversal… (environ 10° de rotation pour les lombaires contre environ 90° pour les thoraciques).
Dans tous les cas, la capacité à générer des contractions musculaires coordonnées, efficaces (non parasites) et protectrices semble être la clé pour éviter la blessure.
Un mouvement exécuté sans mise en tension des éléments actifs (c’est-à-dire le(s) muscle(s)) est probablement la première cause d’usure des structures passives comme les articulations.
La première consigne concerne la capacité à mettre efficacement en tension l’ensemble des muscles ou des chaînes musculaires impliquées.
Il faut amener le sportif à distinguer les muscles à dominante stabilisatrice (comme le muscle multifide ou musculus multifidus spinae qui est l’un des muscles transversaires épineux du rachis) des muscles à dominante motrice (comme les muscles fessiers).
Pour le sportif, il est impératif d’apprendre progressivement à bien engager les muscles nécessaires en fonction du mouvement donné.
Par exemple, lors d’un mouvement d’haltérophilie, la personne qui « tire avec le dos », c’est-à-dire qui soulève la charge en engageant les muscles du dos, aura probablement des douleurs au niveau du rachis.
Le travail devra donc l’amener à maîtriser le recrutement des muscles moteurs (fessiers, quadriceps, ischio, triceps sural) pour soulager son dos et ainsi mieux appréhender la charge.
L’exploration des différents degrés de liberté de la colonne vertébrale peut être une clé pour améliorer la proprioception de l’athlète : ainsi adopter des positions avec des courbures accentuées de manière sécuritaire (comme le dos rond/dos creux) peut amener à une meilleure compréhension de mouvement plus complexe.
Conclusion
La problématique liée aux courbures de la colonne vertébrale est complexe : elle ne se limite pas uniquement à la perte ou à l’accentuation des courbures.
Elle se doit d’être contextualisée : une flexion trop grande du buste n’est pas une mauvaise chose en soit.
Il faut la rapporter à la vitesse d’exécution, à la charge manipulée, et même au vécu de la personne (comme la présence de douleur ou non).
Même si dans la grande majorité des cas, la conservation des courbures semble être une bonne chose, il existe une zone sécuritaire dans laquelle la colonne vertébrale peut être mobilisée sans pour autant augmenter le risque de blessure.
Cependant, les mouvements qui accentuent ou diminuent les courbures du dos doivent être considérés et introduits dans le plan d’entraînement.
Benjamin DUMORTIER
Références
- Kinéfact. Le grand débat sur la flexion lombaire : préparez-vous à douter.
- McGill S. Lombalgie : prévention et rééducation. 4Trainer édition. 2021
- Robin-Monaco Lois & Causse Fred – Live Instagram, “Dos rond/dos plat”.
- Horsching – A. How to screen your low back pain.
- Kapandji I. Anatomie Fonctionnelle : Tome 3 – Coup et Rachis. 6eme édition. Edition Maloine.
- Dumortier B. Pathologie du sportif : La hernie discale.
- Ziane R., Chiapolini S., Laffaye G. Courbures lombaire et cervicale, si on arrêtait les erreurs ?