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ACTUALITÉS & OPINIONS FORMATION MÉDICALE CONTINUE

POINT DE VUE – par le Dr Jane Muret

Stéphanie Lavaud AUTEURS ET DÉCLARATIONS  7 janvier 2020

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France — Les liens entre changements climatiques et santé sont bien plus étroits que ce que l’on pourrait penser. En modifiant l’accès à des ressources naturelles « pures » (nourriture, eau, air), en allongeant la période de pollinisation, en élevant les températures…, le réchauffement de la planète est déjà à l’œuvre, induisant des modifications majeures en termes d’apparition de nouvelles maladies et de mortalité.

Le système de santé va devoir y faire face, alors que -paradoxe- il est lui-même victime du réchauffement (détruit par les incendies en Californie, par exemple) tout en étant aussi pourvoyeur de gaz à effet de serre (via les blocs opératoires ou en générant des afflux d’usagers motorisés). Pas de fatalisme à tout cela. Il est possible et encore temps d’agir, individuellement et collectivement, dans sa vie quotidienne, dans sa vie professionnelle.

Si tous les acteurs d’un monde plus vert déplorent le manque de volonté et de courage politique, de nombreuses initiatives voient le jour, et chacun est invité à y prendre part à sa mesure. Tel est, en résumé, le message du Dr Jane Muret (anesthésiste, Institut Curie, Paris et présidente du Groupe développement durable de la SFAR), l’un de ces nombreux professionnels de santé, conscients de la nécessité et de l’urgence d’agir pour ne pas se retrouver submergé [1].

Nous lui avons posé 5 questions, voici ses réponses (à écouter in extenso dans la vidéo) :

Medscape édition française : Quel est l’état des lieux ? 

Dr Jane Muret : Tout le monde le sait désormais, la planète va mal. Les émissions de gaz à effet de serre entrainent un réchauffement avec des conséquences catastrophiques que l’on voit tous les jours : événements climatiques extrêmes, élévation des températures, pollution de plus en plus importante. On parle actuellement de l’anthropocène – une nouvelle ère géologique qui a démarré à la fin du XIXème siècle –qui entraine un effet sur les populations de par tous ces changements climatiques auxquels on assiste.

Medscape édition française : Comment les changements climatiques impactent-ils la santé ?

Dr Jane Muret : C’est désormais très bien documenté, notamment tous les ans, avec le rapport du Lancet countdown : 41 indicateurs pointent du doigt les effets sur la santé de ces changements climatiques majeurs liés aux activités humaines.

Medscape édition française : Quelles pathologies peut-on voir au quotidien chez les patients en lien avec le réchauffement climatique et la pollution de l’environnement ?

Dr Jane Muret : On assiste à une augmentation du nombre d’allergies due à un allongement de la période de pollinisation, à des cas de dengue au nord de l’Europe, des pathologies psychiatriques, dont l’éco-anxiété. L’exposition massive aux pesticides et aux perturbateurs endocriniens entrainent des cancers, la chlordécone aux Antilles qui donne le cancer de la prostate.

Ici, on observe un taux de cancer du sein parmi les plus élevés au monde dans certains arrondissements de Paris (selon les travaux du Dr Ana Soto, scientifique connue pour avoir mis en évidence le rôle de perturbateurs endocriniens sur le processus de formation des cancers/ndlr) en relation avec les perturbateurs endocriniens, dont on pense qu’ils sont aussi à l’origine de l’épidémie d’obésité, de diabète, voire même d’autisme et des cas de stérilité chez les jeunes couples.

A tout ceci, une seule cause, l’impact de l’humanité sur la planète à travers l’utilisation de plastique, de produits chimiques, l’acidification des océans, la déforestation…

On peut aussi évoquer l’impact de la pollution sur les maladies cardiovasculaires et respiratoires. Une étude, menée dans 652 villes et parue en août dernier dans le NEJM , montre que la présence de particules fines entraine un surcroit de mortalité.

Et plus loin de nous, en Amérique Centrale, cette épidémie d’insuffisances rénales terminales chez les cultivateurs de canne à sucre, corrélée à l’augmentation des températures, avec aussi une incidence probable des pesticides.

A noter, toutes les études montrent qu’il existe un lien direct et financier entre l’argent investi pour lutter contre les gaz à effet de serre et l’amélioration de la santé.

Medscape édition française : Le système de santé est-il lui-même affecté par le changement climatique ?

Dr Jane Muret : On a pu voir un effet direct avec la destruction d’hôpitaux en Californie et l’afflux de brulés qu’ont connu certains d’entre eux lors des grands incendies. Il va aussi y avoir beaucoup plus de migrations de populations liées à ces changements climatiques et une demande massive de soin. Il va falloir les accueillir dans un système de santé saturé et prendre en charge des pathologies que l’on ne connait pas encore. Cela va demander un effort de recherche et d’organisation des soins.

Medscape édition française : Comment peut-on agir en tant que professionnels de santé ?

Dr Jane Muret : Au quotidien, à notre niveau de praticien, il va falloir que l’on fasse ce qui est de notre devoir. On est des médecins : on doit anticiper, prendre en charge. On a réussi par le passé à lutter contre la tuberculose, le fléau du tabac et toutes sortes de maladies infectieuses. Mais il faut savoir que les systèmes de santé sont eux-mêmes de gros contributeurs aux changements climatiques, donc on est un peu dans un cercle vicieux. On doit faire face à tout cela mais on en est aussi la cause.

Dans les pays européens, le système de santé, c’est 12% du PIB. Les établissements de santé font venir des patients, des personnels, ils consomment de l’énergie (chaleur, ventilation, climatisation), ce sont aussi de gros acheteurs, en particulier dans les blocs opératoires. Récemment, on est passé à l’usage unique, des achats pas forcément sains sur le plan écologique et du développement durable, avec en particulier un appel massif aux produits en plastique ou à usage unique, ce qui est extrêmement polluant.

Dans mon milieu, celui de l’anesthésie-réanimation, on utilise des gaz anesthésiques pour endormir les patients qui sont des gaz à effet de serre, rejetés directement dans l’atmosphère. Notre système de santé n’a pas été construit pour limiter les émissions de gaz à effet de serre d’où la nécessité d’une réflexion dans les services de soin, dans les blocs opératoires et dans les cabinets de ville pour voir comment individuellement et collectivement, dans nos services, on peut réduire cet impact sur l’environnement.

Il y a déjà des pistes. Au niveau de l’anesthésie, en créant un comité dédié au développement durable qui a émis des recommandations et des incitations, la Société française d’anesthésie a été très réactive.

On peut aussi signaler cette initiative au Royaume-Uni où les médecins se sont mis d’accord pour dénoncer collectivement le problème d’aggravation du changement climatique liée à l’activité médicale en émettant des recommandations avec des conseils simples (aller travailler à pied, ne prenez plus l’avion, réduisez votre consommation…) et essayez de faire de votre vie un modèle pour laisser la planète en bon état pour les générations futures

(Lire aussi : Des médecins s’engagent pour le climat)

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Les opinions exprimées dans cet article ou cette vidéo n’engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de WebMD ou Medscape.

Citer cet article: Changements climatiques et santé : pourquoi il faut agir, par le Dr Jane Muret – Medscape – 7 janv 2020.