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Dès cette année 2020, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis débute l’arrêt de la production des cartes marines officielles sur papier et des produits numériques qui en dépendent, les cartes scannées (raster charts). Cette migration totale vers le digital et l’ENC (Electronic Navigational Chart) est aussi un plan d’économies qui prendra fin en janvier 2025. Une mutation historique qui pose des questions relatives à la sécurité de la navigation.
À bord des gros bâtiments, l’Electronic Navigational Chart (ENC) est utilisée sur l’Electronic Chart Display and Information System (ECDIS). | NOAA
Olivier CHAPUIS. Publié le 10/01/2020 à 13h36
Depuis sa création en 1807, l’Office of Coast Survey (OCS) – service hydrographique de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis – publie les cartes marines officielles du premier domaine maritime du monde que constituent les eaux américaines (juste devant le français). Au tout début des années 1990, l’OCS avait commencé à scanner ses cartes papier (raster charts, RNC pour Raster Navigational Chart, copie conforme du papier sur écran) puis, très rapidement, à produire des cartes vectorielles (vector charts).
Fonctionnant comme une base de données, permettant de sélectionner le type d’informations à afficher ou non, le vectoriel est devenu aussitôt le standard de la carte marine électronique (ENC pour Electronic Navigational Chart).
Entre 2008 et 2019, la diffusion des ENC a plus que quintuplé quand celle des cartes papier chutait de moitié, si bien que le processus d’édition de l’Office of Coast Survey s’est inversé.
Là où la carte scannée découlait logiquement de la carte papier, cette dernière n’est aujourd’hui qu’une des sept déclinaisons commerciales de la Raster Chart, la RNC au format informatique géoréférencé BSB étant la première des six autres (toutes numériques), comme le PDF (non interfacé à la géolocalisation).
Telle qu’elle existe encore à la NOAA, pour cinq ans maximum, la carte scannée au format RNC (ou PDF ici) est logiquement identique à la carte papier, laquelle est vouée à disparaître. | NOAA
Or, cet ensemble découle désormais des bases de données hydrographiques qui alimentent en priorité les ENC, en temps quasi réel, avant que les mises à jour ou les nouvelles publications ne concernent, en temps différé, les différents formats scannés, plus longs et plus coûteux à éditer.
Dans le même temps, l’OCS rationalise le découpage de ses quelque 1 200 ENC qui proposent plus de 130 échelles. L’objectif de ce programme en cours est d’afficher une grille de 9 000 ENC sur 12 échelles normalisées, dont une très grande échelle avec un niveau de détail meilleur qu’aujourd’hui (en deçà de l’overzoom bien entendu).
Un immense pas supplémentaire vient d’être franchi par l’OCS qui s’apprête à tourner ainsi une page de plus de deux siècles…
Aussi, depuis le début de 2019, la NOAA préparait-elle les navigateurs à privilégier l’usage des ENC qui sont en téléchargement gratuit (comme tous les autres formats) sur le catalogue interactif de l’Office of Coast Survey. Tandis que les cartes papier américaines sont payantes puisqu’elles induisent non seulement un coût de production – couvert par le service public – mais aussi de diffusion et de distribution auprès de revendeurs.
Un immense pas supplémentaire vient d’être franchi par l’OCS qui s’apprête à tourner ainsi une page de plus de deux siècles… bien au-delà pour ce qui concerne la facture d’une cartographie héritière d’une longue tradition classique. En effet, tout en demandant à ce sujet l’avis du public et des sociétés qui commercialisent produits et applications à partir de ses données, la NOAA annonce l’arrêt total de la production des cartes papier, suivant un plan qui débutera dès le milieu de 2020 (au plus tard en fin d’année) et s’achèvera en janvier 2025.
Le catalogue interactif de l’Office of Coast Survey permet encore de télécharger des RNC ou des PDF, issus des cartes papier. À partir de 2025, seules les ENC seront accessibles. | NOAA
Ce plan d’économies drastiques (le rififi dans la cartographie gagne les États-Unis de Trump) – plan qui ne dit pas son nom mais c’est également ce qui motive cette mutation numérique -, concerne non seulement les cartes papier mais aussi toutes les versions scannées qui en découlent. Les PDF et les RNC seront supprimés en même temps, y compris la visualisation en ligne de ces dernières. Quant à l’impression à la demande, elle ne sera plus proposée.
Cependant, l’Office of Coast Survey met d’ores et déjà en ligne une interface baptisée NOAA Custom Chart Prototype, à partir de laquelle chacun pourra créer une NOAA Custom Chart (NCC). Il s’agit d’une carte sur mesure – une carte à la carte – dont on choisira la couverture géographique et l’échelle parmi les 9 000 éléments de 12 échelles évoqués ci-dessus.
Le sens marin en question…
La NCC est au format PDF géoréférencé (GeoPDF = Geospatially referenced Portable Document Format) pour l’image de la carte marine complète (ce qu’on appelle le plan et la lettre en cartographie classique), seules les notes (avertissements) étant sur une page PDF séparée. L’utilisateur peut alors télécharger une sortie de cette NCC et l’imprimer ou l’utiliser comme sauvegarde numérique de sa cartographie électronique.
L’OCS insiste sur le caractère évolutif du prototype en cours et encourage à lui communiquer remarques et critiques sur une page dédiée.
Je peux d’ores et déjà poser la question de la qualité du papier en milieu humide et du format minimal nécessaire pour pointer et compasser la carte, y porter sa position et y tracer sa route avec l’ampleur nécessaire. Cela transférera toute cette problématique ancestrale qui était dévolue au service public vers les professionnels de l’impression et ce sera nécessairement plus coûteux.
Au final, combien de navigateurs auront recours à cette usine à gaz pour se constituer eux-mêmes leur portefeuille cartographique de secours ?
De moins en moins, au fur et à mesure que les nouvelles générations ne sauront même plus que l’on peut naviguer sur une carte papier…
La même carte que ci-dessus (cadrage identique), en GeoPDF à imprimer « maison », issue du NOAA Custom Chart Prototype. Extraite d’une base de données, sa facture est celle d’une carte vectorielle. | NOAA
Même sur écran, une bonne navigation nécessite des comparaisons entre les cartes scannées et vectorielles lorsqu’on fréquente des parages dont l’hydrographie est douteuse. Dans la production vectorielle non officielle, il faut se méfier de certains producteurs privés et privilégier ceux qui respectent la norme S57 de l’Organisation hydrographique internationale. On l’a notamment constaté d’une manière spectaculaire lors des deux dernières éditions de la Volvo Ocean Race (voir mes articles Zoom et TrackBack).
Enfin, l’on ne peut négliger le risque d’une panne totale d’énergie ou d’électronique – sans oublier un brouillage ou un leurrage du système de navigation par satellite -, qui nécessite de conserver à bord un minimum de documents nautiques sur papier et d’instruments tels qu’un compas de relèvement et une règle Cras, permettant de tenir une estime en cas de coup dur. Affaire de simple bon sens marin. Tout en sachant que ce qui se passe aux États-Unis gagne un jour ou l’autre le reste du monde… pour le meilleur ou pour le pire !
O.C.
Le portail NOAA Custom Chart Prototype est d’ores et déjà opérationnel pour réaliser ses propres NOAA Custom Charts (NCC). | NOAA
P.S. Mon blog Route fond continue sur cette page Olivier Chapuis . Celle-ci héberge non seulement les nouveaux articles mais aussi tous ceux publiés sur Route fond depuis le premier, mis en ligne le 1er décembre 2008.