mardi 26 janvier 2021 – Actualités & Opinions > Medscape > JESFC 2021
Pr Jean-Philippe Collet, Dr Jean-Michel Guy – AUTEURS ET DÉCLARATIONS – 25 janvier 2021
Le Pr Jean-Philippe Collet et le Dr Jean-Michel Guy commentent les nouvelles recommandations européennes sur la pratique du sport chez les patients cardiaques ou à risque cardiovasculaire :
Quelle est la place de l’imagerie non invasive dans le dépistage ?
Quelles sont les données sur la fibrillation atriale ?
Quid des sujets asymptomatiques, mais à risque, qui veulent pratiquer un sport de compétition ?
TRANSCRIPTION
Jean-Philippe Collet — Bonjour, je suis Jean-Philippe Collet, de la Pitié-Salpêtrière, et j’ai le plaisir d’avoir cette conversation avec le Dr Jean-Michel Guy, qui est réadaptateur et médecin du sport.
Comme vous le savez, les recommandations de la Société Européenne de Cardiologie (ESC) sur l’activité physique sont sorties il n’y a pas très longtemps.
L’intérêt de ces recommandations est leur exhaustivité, puisqu’elles balayent pratiquement toute la pathologie cardiovasculaire, c’est-à-dire le sujet sain, les cardiopathies congénitales, la femme enceinte, les cardiomyopathies, la maladie coronaire, l’insuffisance cardiaque, les maladies valvulaires, les patients handicapés, mais également le patient porteur d’un pacemaker, le patient qui a une assistance cardiaque…
Vous allez y trouver tous les renseignements dont vous avez besoin.
Vous voyez sur cette figure ci-dessous, les 10 commandements [1 ]qui résument ces 80 pages — puisque c’est un pavé — et qui vous guide dans les messages-clés sur ces recommandations sur l’activité physique — et j’insiste là-dessus : l’activité physique, ce n’est pas uniquement le sport.
Source : ESC ‘Ten Commandments’ for Sports Cardiology 2020 [1]
Le sport est-il un médicament ?
Jean-Philippe Collet — Dr Guy, ma première question est : Le sport est-il un médicament ?
Jean-Michel Guy — Oui, je pense que c’est un médicament.
Tout d’abord, une petite remarque sur les recommandations.
Je crois que c’est un guide pour tous les médecins, et les cardiologues entre autres, qui vont s’occuper de patients. C’est un guide qui a été réédité. Pourquoi dis-je un guide ?
Parce que plus que des recommandations, où les niveaux de preuve sont souvent très bas, on a une certaine cohérence parmi les experts pour arriver à donner ces recommandations.
Et c’est comme cela qu’il faut les utiliser. Mais c’est vrai qu’on ne peut pas tout connaître parce que c’est un gros pavé.
La deuxième chose est que dans ces recommandations, et peut-être pour la première fois, on parle beaucoup de l’activité physique en termes de prévention.
Donc c’est un médicament, même s’il faut discerner l’activité physique de l’exercice ou du sport.
L’activité physique sera vraiment tous les mouvements corporels qui vont demander un petit coût énergétique, et quand on parle d’exercice, voire jusqu’au sport, s’il y a une activité physique qui va être beaucoup plus structurée, qui va être répétée, qui va ouvrir vers des entraînements parfois plus durs que la compétition, avec des caractéristiques qui sont importantes pour aller jusqu’à la performance et à la victoire.
Il est certain que l’activité physique est un médicament.
C’est un médicament qui correspond à une composante de tous les traitements des maladies chroniques, avec des preuves scientifiques, des études qui ont été menées, qui montrent que dans la plupart de ces maladies ― des maladies hyper-fréquentes comme le diabète, certains cancers, et bien sûr les maladies cardiovasculaires ― on a une efficacité et ce « médicament » est très utile pour complémenter des traitements médicaux classiques.
Il est certain que l’activité physique est un médicament. Dr Jean-Michel Guy
Comme tout médicament, il y a une dose, et cette dose est maintenant assez bien définie.
Elle est définie sous un ordre de minutes par semaine, soit 150 minutes par semaine pour un adulte — d’ailleurs c’est le seul médicament où la posologie chez l’enfant va être plus importante, puisqu’on recommande plutôt une heure par jour, alors que chez l’adulte ce sont 30 minutes.
Donc ce sont 150 minutes d’activité par semaine pour une activité modérée, c’est-à-dire où la fréquence cardiaque augmente, et une activité plus brève, 75 minutes par semaine, toujours pour une activité un peu plus intense où, là, on commence à être essoufflé.
On recommande 150 minutes d’activité physique par semaine pour un adulte. Dr Jean-Michel Guy
Avec cette posologie, on arrive à avoir les bénéfices qui sont souhaités.
Comme tous les médicaments, il y a des effets secondaires.
Ces effets secondaires correspondent à l’effet paradoxal de l’activité physique, mais ils sont relativement faibles, surtout dans des notions d’activité physique.
On va peut-être les retrouver lorsque l’intensité de l’activité devient plus importante, mais, quand même, le risque est très faible.
Le cas de la fibrillation atriale
Jean-Philippe Collet — Il y a un exemple qui est la fibrillation atriale.
C’est assez intéressant parce qu’on nous dit que d’un côté, il y a un effet préventif sur l’apparition de la fibrillation atriale, mais que dans les sports d’endurance, on a l’impression que cela peut favoriser la FA.
Où est-ce qu’on met le curseur ?
Jean-Michel Guy — Le curseur, on ne le connaît pas vraiment, mais quand on regarde ces études, que ce soient ces études norvégiennes chez les skieurs nordiques qui montrent qu’on a une apparition de fibrillation auriculaire beaucoup plus fréquente, cela a été retrouvé, c’est à peu près une certitude.
C’est vrai que l’endurance répétée, le nombre d’entraînements importants… beaucoup de choses vont petit à petit modifier le cœur en termes peut-être de fibrose, et favoriser l’arythmie.
Mais pour revenir à la posologie de 150 minutes, si vous la doublez à 300 minutes, on a encore un effet dose et un effet bénéfique.
La dernière chose que je voulais dire est que comme tout médicament, l’observance est importante.
C’est-à-dire que l’activité physique ne joue un rôle que si on la pratique.
Et si vous l’avez pratiquée il y a 20 ans, il n’y a plus d’effet, comme n’importe quel médicament.
La place de l’imagerie non invasive dans le dépistage
Jean-Philippe Collet — J’ai vu des choses intéressantes et « nouvelles », par exemple sur l’imagerie non invasive et le scanner, notamment chez les sujets de plus de 35 ans qui ont des facteurs de risque et qui veulent reprendre une activité physique.
Que faut-il en penser ? Ce sont des recommandations européennes, donc cela change d’un pays à l’autre.
Quid de ce scanner de dépistage qui est fait de plus en plus en ville ?
Jean-Michel Guy — Ce scanner de dépistage, on n’a jamais montré que c’était un examen qui allait être suffisamment pertinent pour, justement, dépister des choses.
On parle beaucoup du score calcique dans le cadre des activités physiques et entre autres chez les gens qui font du marathon ou des activités qui sont encore plus longues comme de l’ultra-endurance.
Il y a une première étude de Möhlenkamp et al. parue en 2008 qui nous a effrayé, nous qui pratiquons un peu d’activité sportive, en disant que tout sportif, tout marathonien, avait un score calcique qui augmentait.
En fait, on s’est aperçu avec des études suivantes que si les scores classiques étaient élevés, c’est que les gens avaient des facteurs de risque, et entre autres une étude américaine a montré que ces facteurs de risque pouvaient être bien sûr les facteurs de risque classiques, mais aussi le fait de s’être mis tardivement à l’activité physique, d’avoir des antécédents de tabagisme etc.
Aujourd’hui, on n’a aucune corrélation entre le score calcique d’un sportif, d’un marathonien, et la survenue d’un événement coronaire.
Donc si on fait des scores calciques à tous les gens qui courent, effectivement, on va voir des choses qui vont plutôt effrayer, sans avoir de certitude sur l’aspect préventif.
Aujourd’hui, on n’a aucune corrélation entre le score calcique d’un sportif, d’un marathonien, et la survenue d’un événement coronaire. Dr Jean-Michel Guy
Jean-Philippe Collet — C’est vrai que le score calcique est un marqueur de cicatrisation des plaques qui sont rompues, mais cela ne veut pas dire forcément que les patients vont faire un événement, je suis entièrement d’accord.
L’épreuve d’effort
Jean-Philippe Collet — Il y a une autre question qui m’interpelle : après 35 ans, on a l’impression que d’un pays à l’autre la législation est différente.
Par exemple sur l’épreuve d’effort maximal négative cliniquement et électriquement chez un individu sain, mais à risque, qui veut faire du sport en compétition.
Jean-Michel Guy — Aujourd’hui, l’épreuve d’effort reste un examen de dépistage intéressant pour les plus de 35 ans — même s’il est très critiqué du fait de sa sensibilité, de sa spécificité.
Vous savez que la maladie coronarienne est la première cause des événements cardiaques lors d’un effort, surtout à haute intensité.
Donc un patient qui a des facteurs de risque et qui a un risque élevé, va nécessiter en plus d’un interrogatoire — qui est important parce qu’il va deviner le profil du patient, il va apprécier ses facteurs de risque — et d’un électrocardiogramme, cette épreuve d’effort va venir compléter l’examen.
Il faut que cette épreuve d’effort reste maximale et surtout qu’elle soit faite avec l’outil nécessaire pour mettre le sportif dans la situation la plus proche de ce qu’il va faire dans un exercice, ce qui est rarement le cas quand même, dans un laboratoire de test d’effort.
Entre ça et quelqu’un qui va faire un marathon, il y a des grandes différences.
Donc l’épreuve d’effort, il ne faut pas lui faire dire n’importe quoi, mais cela peut être un moment intéressant, pour voir bien sûr s’il y a de l’ischémie, des troubles du rythme, une anomalie tensionnelle, mais aussi pour simplement voir la capacité du patient.
Et un test d’effort doit être maximal, c’est-à-dire que le patient ne doit plus pouvoir entraîner le vélo ou le tapis.
Ce n’est pas sa fréquence cardiaque maximale théorique, en tout cas.
Et le niveau de performance que l’on obtient grâce à ces examens simples est intéressant pour guider le patient, mais aussi pour dépister et aller un peu plus loin dans le bilan, parce qu’il y a une contre-performance, parce qu’il n’y a pas forcément de signes ischémiques.
Jean-Philippe Collet — Et concernant la contre-performance, je pense qu’il faut alerter les individus sur le fait que lorsqu’il y a de nouveaux symptômes qui apparaissent, et même si l’épreuve d’effort était normale deux mois auparavant, cela doit les alerter pour explorer davantage.
Jean-Michel Guy — L’objectif de l’épreuve d’effort est de donner des résultats à quelqu’un, l’amener à réfléchir sur ses facteurs de risque et au traitement qu’il peut avoir sur ses facteurs de risque et qu’il le prenne.
Il faut lui dire « ce n’est pas un blanc-seing pour faire n’importe quoi, derrière. »
Si c’est la semaine prochaine ou demain, s’il y a un symptôme — des douleurs, des palpitations, de l’essoufflement — il faut reconsulter parce qu’on n’a pas de certitude.
On parle, dans les recommandations, d’un partage entre le sportif et le médecin sur l’aspect décisionnel.
L’épreuve d’effort est justement un moment pour amener ces éléments d’explication pour des gens qui sont censés aussi faire attention à leur santé.
Jean-Philippe Collet — On parle toujours de la différence homme / femme et c’est vrai que, par exemple, sur les courses d’endurance, on voit que la proportion de participantes maintenant est au moins de 50 %.
Et on a l’impression qu’il y a quand même beaucoup moins d’accidents chez la femme que chez l’homme.
On peut penser que c’est lié aux facteurs de risque, mais est-ce lié, aussi, au comportement, au fait que le comportement de la femme vis-à-vis des symptômes d’alarme est différent de celui chez l’homme ?
Ou quelle est votre approche ? On a du mal à expliquer cette différence.
Jean-Michel Guy — Je vous dis ce qui est dit en général : il y a effectivement une composante qui est peut-être une composante physiologique ― entre autres l’histoire de masse grasse ou d’hormones ― mais c’est vrai que le comportement même des femmes en compétition n’est pas toujours le même que celui des hommes et il y a probablement, par ce comportement, un biais dans ces événements cardiaques.
C’est ce qui est dit le plus souvent. Mais il n’y a quand même pas encore 50 % de femmes dans les événements de type marathon ou ultra-endurance…
Jean-Philippe Collet — Oui, mais des fois, je le vois aux États-Unis, on approche les 50 %. C’est intéressant.
Points forts et points faibles des nouvelles recommandations
Jean-Philippe Collet — Dernière question : qu’est-ce qui vous a plu et déplu dans ces recommandations ?
Jean-Michel Guy — Ce qui m’a plu : cet aspect de reparler de l’activité physique en général pour n’importe qui, mais pas n’importe comment. Cela me paraît important.
Ce qui m’a déplu : chez les patients à haut risque cardiovasculaire, on ne parle pas de tabagisme.
C’est quand même assez extraordinaire.
C’est-à-dire qu’on parle du cholestérol, de l’hypertension, de l’hérédité familiale, des facteurs de risque classiques, mais le tabagisme n’apparaît pas.
Je ne sais pas si c’est une erreur, je ne comprends pas très bien pourquoi il est absent.
Après, on a l’impression que l’activité sportive peut être faite dans beaucoup de cas de pathologies cardiaques.
Jusqu’à présent, c’était très restrictif, jusqu’à 2015 où les nouvelles recommandations américaines et européennes avaient déjà ouvert la porte pour la pratique sportive chez les coronariens par exemple.
Là on continue à aller dans ce sens.
Ce qui ne veut pas dire qu’il faut faire n’importe quoi.
Il faut quand même bien garder à l’esprit que ce sont des recommandations basées avec des niveaux de preuve très faibles.
La seule preuve maximale que l’on a est que de faire l’activité physique est bon pour la santé.
Après, faire faire du sport à un coronarien, on n’a pas beaucoup d’événements… on arrive à le faire ; le sport de compétition, on l’autorise aussi, mais il y a un partage décisionnel avec le patient et il y a aussi, comme je le dis souvent, une décision qui peut être collégiale, parce que ce n’est pas toujours facile à prendre.
Il faut se méfier un peu.
Jean-Philippe Collet — Oui. Je partage votre avis. Je pense que les deux messages-clés de ces recommandations sont :
- leur exhaustivité : elles balayent tout un panel de situations cliniques différentes et je pense qu’elles sont intéressantes pour le médecin du sport, pour le cardiologue, mais également pour le médecin traitant,
- leur caractère beaucoup plus permissif qu’auparavant. Et je pense que c’est un pas en avant et que cela va fournir des idées pour faire des études.
Merci beaucoup Dr Guy. Je vous souhaite une très bonne lecture de ces recommandations. Et n’oubliez pas qu’il y a les versions Pocket et pour smartphone où je pense que vous allez pouvoir trouver tout un tas d’informations pour votre pratique de tous les jours.
LIENS
- Activité physique : le nouveau médicament
- Hypertension artérielle: quelle activité physique prescrire?
- Nouvelles recommandations européennes en cardiologie du sport: focus sur les valvulopathies
- Mort subite chez le sportif: que nous apprennent les études de suivi?
- Nouvelles recommandations européennes en cardiologie du sport: focus sur les arythmies
- Recommandations « cardiologie et sport » (partie 2) : le sport n’est plus interdit aux insuffisants cardiaques
- Sports d’endurance : une revue fait le point sur les bénéfices – et les risques – cardiaques
- Références
Références
- Sharma S, Pelliccia A, Gati S. The ‘Ten Commandments’ for the 2020 ESC Guidelines on Sports Cardiology and Exercise in Patients with Cardiovascular Disease. European Heart Journal. 1er janvier 2021;42(1):6-7, https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehaa735
Medscape © 2021 WebMD, LLC
Les opinions exprimées dans cet article ou cette vidéo n’engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de WebMD ou Medscape.
Citer cet article: Cardiologie du sport : points forts et points faibles des recommandations ESC – Medscape – 25 janv 2021.