La prescription d’opioïdes forts en augmentation en France
Damien Coulomb | 27.02.2019
Crédit Photo : PhanieZoom
- « En 10 ans, les prescriptions d’opiacés antalgiques pour douleurs non cancéreuses ont augmenté de 88 % », explique le Pr Nicolas Authier (Observatoire français des médicaments antalgiques)
- Algologie ANSM
Entre 2006 et 2017, la prescription d’antalgiques opioïdes de palier 3 a augmenté d’environ 150 %, selon l’état des lieux dressé par un groupe d’experts rassemblé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
« Cette augmentation est liée à une amélioration des soins et au retrait du dextropropoxyphène en 2011, deuxième médicament le plus prescrit après le paracétamol en particulier chez les personnes âgées avec 70 millions de boîtes délivrées en une année, réagit le Pr Frédéric Aubrun, chef du service d’anesthésie-réanimation douleur du groupe hospitalier Nord de Lyon, et président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD). Il y a eu un report vers les autres antalgiques opioïdes de paliers 2, comme le tramadol, mais aussi paradoxalement vers le paracétamol. Il y a aussi eu une augmentation significative des antalgiques opioïdes de pallier 3. »
Pour le Pr Nicolas Authier (CHU de Clermont-Ferrand), membre de la commission des stupéfiants et des psychotropes de l’ANSM, cette augmentation est principalement dû à l’augmentation des prescriptions pour des douleurs non cancéreuses ont augmenté de 88 %.
10 millions de Français consommateurs en 2015
En 2015, presque 10 millions de Français ont reçu un antalgique sur prescription médicale. Le tramadol est l’antalgique opioïde le plus consommé en France : 11,22 doses définies journalières pour 1 000 habitants en 2017, soit une augmentation de 68 % depuis 2006. Dans l’écrasante majorité des cas, la prescription est faite par un médecin généraliste : 86,3 % des opioïdes faibles et 88,7 % des opioïdes forts ont été prescrits par les médecins du premier recours.
Le nombre d’hospitalisations liées à la consommation d’antalgiques opioïdes obtenus sur prescription médicale a augmenté de 15 à 40 hospitalisations pour un million d’habitants entre 2000 et 2017. Le nombre de décès liés à la consommation d’opioïdes a augmenté de 1,3 à 3,2 décès par million d’habitants, soit au moins 4 décès par semaine.
Aux États-Unis, l’explosion du nombre de prescriptions d’opioïdes à partir de 1990 a provoqué une crise sanitaire qui se traduit aujourd’hui par 17 087 décès par surdosage en 2016, soit 115 décès par jour. « On est très éloigné des États-Unis en termes de réglementation, de dépendance et d’overdoses, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de mésusage prévient le Pr Aubrun ! Certaines prescriptions en post-opératoire sont trop généreuses, ce qui occasionne un stockage d’antalgique chez les patients », estime-t-il.
Lors de la journée d’échange partenarial de l’ANSM du 11 mai 2017, plusieurs mesures ont été proposées : renforcer la formation des professionnels de santé et des étudiants, améliorer la prise en charge globale de la douleur et de la souffrance avec prise en compte du risque de mésusage, d’abus et de dépendance dans l’évaluation globale, améliorer la diffusion des connaissances auprès des professionnels de santé en relayant les recommandations des sociétés savantes par les agences de santé et les Comité de lutte contre la douleur.
Le SFETD propose aussi plusieurs actions pour éviter qu’un glissement s’opère vers le mésusage et la dépendance : renforcer le suivi épidémiologique de la consommation d’antalgiques opiacés en France, réaliser et diffuser des fiches destinées aux patients et aux prescripteurs dédiées aux médicaments sensibles au risque d’accoutumance, la mise à disposition de la naloxone.
Pour le Pr Aubrun, le packaging doit aussi être revu. « Certaines boîtes contiennent du tramadol sans que ce soit indiqué, précise-t-il. Un autre élément sur lequel nous insistons est la nécessité de revoir à la baisse le nombre de gélules par boîte. Il faut s’adapter aux besoins du patient et repérer les “abuseurs” qui font du nomadisme entre les pharmacies. »
Source : Lequotidiendumedecin.fr
================================================================ SANTÉ PUBLIQUE
Opioïdes : les décès ont presque triplé en 15 ans
Par Marielle Ammouche le 22-02-2019
Les autorités de santé se disent vigilantes quant à l’augmentation des décès liés à un mésusage des opioïdes.
Alors que les Etats-Unis et le Canada sont confrontés, depuis quelques années à une crise sanitaire majeure en rapport avec une augmentation de la mortalité liée à la consommation abusive d’opioïdes, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm) publie un état des lieux sur la situation en France dans ce domaine. « Bien que la situation ne soit pas comparable à celle des États-Unis, un certain nombre d’indicateurs incitent à une vigilance accrue de la part des autorités et des professionnels de santé« , affirment ainsi les auteurs du rapport qui vient d’être rendu publique.
Le nombre de décès liés à cette consommation a augmenté de 146 %
Ils mettent ainsi en évidence une forte augmentation (+167%) du nombre d’hospitalisations liées à la consommation d’antalgiques opioïdes obtenus sur prescription médicale entre 2000 et 2017. Le nombre de décès liés à cette consommation a augmenté de 146 %, entre 2000 et 2015, ce qui représente au moins 4 décès par semaine. Les cas de mésusage (rapportés au réseau d’addictovigilance) ont plus que doublé entre 2006 et 2015. Le tramadol serait le premier médicament responsable de ces mésusages, et le premier responsable des décès observés.
Le rapport montre par ailleurs que la prescription d’opioïdes forts (par exemple la morphine, l’oxycodone et le fentanyl) a augmenté d’environ 150% entre 2006 et 2017. Alors que la consommation des opioïdes faibles (par exemple tramadol, la codéine et la poudre d’opium) est restée relativement stable : le retrait du dextropropoxyphène en 2011 ayant été contrebalancé par la hausse des autres opioïdes faibles, au premier rang desquels le tramadol, qui devient l’antalgique opioïde le plus consommé (forts et faibles confondus) avec une augmentation de plus de 68 % entre 2006 et 2017.
Cette augmentation est révélatrice d’une amélioration de la prise en charge de la douleur, et s’inscrit dans le contexte des trois plans gouvernementaux de lutte contre la douleur mis en place depuis 1998. En 2015, 10 millions de français ont eu une prescription d’antalgique opioïde en 2015, avec une majorité de femmes, que ce soit pour les opioïdes faibles ou forts (respectivement 57,7 % et 60,5 % en 2015). Globalement, les opioïdes faibles représentent 20 % de l’ensemble de la consommation d’antalgiques, et les opioïdes forts 2 %.
L’Ansm rappelle qu’ »une prescription d’antalgique opioïde doit systématiquement s’accompagner d’une information au patient sur le traitement et sur son arrêt, et d’une surveillance de ces risques même lorsqu’il est initialement prescrit dans le respect des conditions de l’autorisation de mise sur le marché ».
Sources : Rapport Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, février 2019. Avec AFP
Explosion des prescriptions et overdoses aux opioïdes en France
450 décès suspects dans un hôpital : soupçons sur des prescriptions d’opioïdes
Congrès de la Sfetd – Des recommandations sur les équivalences entre opioïdes
Congrès de la SFETD – Alerte sur la consommation d’opioïdes en France
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franceinfo Envoyé spécial, France 2 Actualités Monde Etats Unis d’Amérique
REPLAY.
Très efficaces pour soulager la douleur mais extrêmement addictifs, les opioïdes ont inondé le marché américain. Ils sont à l’origine d’une terrible crise sanitaire, avec 72 000 morts d’overdose pour la seule année 2017. Un reportage d' »Envoyé spécial ».
France 2 France Télévisions Mis à jour le 23/02/2019 | 12:23
Un couple de personnes âgées inanimées sur un banc en pleine rue, une petite fille en pleurs devant sa maman qui a perdu conscience dans les rayons d’un supermarché : un type de vidéos chocs semble-t-il de plus en plus nombreuses. Des Américains apparemment ordinaires font des overdoses…
En cause, leur addiction aux médicaments antidouleur. Tout commence souvent par un mal de dos, une douleur chronique ou des rhumatismes : leur médecin prescrit des opioïdes, des médicaments très efficaces pour soulager la douleur mais extrêmement addictifs.
Un terrible engrenage
Et c’est le début de l’engrenage : des mères de famille, des ouvriers, des retraités deviennent totalement dépendants. En quelques années, ce type de pilules a inondé le marché américain. Elles sont à l’origine d’une des plus graves crises sanitaires que le pays ait connue, avec 72 000 morts pour la seule année 2017. « Envoyé spécial » diffuse un document exceptionnel dans une Amérique en pleine overdose.
Un reportage de Pierre Monégier, Brice Baubit et Emmanuel Lejeune diffusé dans « Envoyé spécial » le 21 février 2019.