Publié le 27/08/2019
La maladie d’Alzheimer (MA) est la plus fréquente des démences de l’adulte. Elle se caractérise sur le plan neuropathologique par l’accumulation extracellulaire longtemps asymptomatique de plaques amyloïdes composées de peptides du même nom et de longueur variable incluant notamment les peptides Aβ42 et Aβ40 qui comptent respectivement 42 et 40 acides aminés.
Parmi les biomarqueurs dosés dans le LCR pour établir le diagnostic de MA, figurent en priorité le peptide Aβ42, la protéine tau dite totale (t-tau) et cette dernière phosphorylée (p-tau). Leur dosage exige une ponction lombaire, à la différence des techniques relevant de l’imagerie moléculaire, en l’occurrence la tomographie par émission de positons (TEP) réalisée après injection IV d’un marqueur des plaques amyloïdes (MPA). Cet examen qui s’avère coûteux n’est pas réalisable dans tous les pays et la France fait d’ailleurs partie de ceux qui ont banni ces médicaments radiopharmaceutiques pour d’obscures raisons.
Quoiqu’il en soit, la possibilité de recourir à des biomarqueurs sanguins capables de prédire ou de diagnostiquer une MA à son début constituerait un progrès considérable, tout particulièrement quand il s’agit de recruter des patients dans les essais randomisés évaluant les médicaments innovants, développés spécifiquement pour les maladies neurodégénératives pas trop évoluées, à un stade où un traitement a des chances de freiner la progression des lésions cérébrales ou encore mieux de la prévenir. Cette opportunité est d’autant plus attendue que chez 70 % des malades inclus dans de tels essais, la MPA-TEP n’est ni plus ni moins que normale.
Le rapport Aβ42/Aβ40 plasmatique : une piste hautement probable
Selon certaines sources, des dosages de haute précision capables de détecter des quantités infimes des peptides Aβ42 et Aβ40 sont à la fois disponibles et capables de prédire la survenue de dépôts cérébraux des plaques amyloïdes signant l’entrée dans la MA.
Une étude de cohorte longitudinale tend à confirmer cette hypothèse en procédant aux dosages précédents grâce à une technique d’une extrême sensibilité qui repose sur la spectrométrie de masse par immunoprécipitation. Les concentrations plasmatiques des peptides Aβ42 et Aβ40 – exprimées sous la forme d’un rapport Aβ42/Aβ40 corrélé aux dépôts amyloïdes cérébraux- sont-elles stables dans le temps et permettent-elles de prédire la conversion d’une MPA-TEP qui de négative deviendrait positive en se chargeant de plaques amyloïdes notamment au sein du cortex associatif postérieur ? L’âge et le variant allélique e4 du gène APOE (APOE4) qui multiplie par plus de trois le risque de MA modifient-ils la valeur prédictive des dosages sanguins précédents ?
Une étude concluante
Ces questions trouvent des réponses dans l’étude évoquée qui a inclus 158 sujets indemnes de troubles cognitifs à l’état basal dans 94 % des cas. Les performances des dosages plasmatiques ont été évaluées en s’aidant de deux techniques qui ont servi de gold standard : d’une part, la MPA-TEP révélant les plaques amyloïdes évocatrices de MA, d’autre part, les valeurs du rapport p-tau 181/Aβ42 dans le LCR. Les prélèvements ont été effectués dans les 18 mois qui ont précédé la réalisation d’une MPA-TEP.
Une correspondance étroite a été établie entre le rapport Aβ42/Aβ40 plasmatique et les résultats de la MPA-TEP, si l’on en juge par la surface sous la courbe ROC (receiver operating characteristic) (AUC) estimée à 0,88 (intervalle de confiance à 95 % [IC] 0,82-0,93). Il en a été de même quand la méthode de référence utilisée a été le rapport p-tau181/Aβ42 du LCR, l’AUC étant alors de 0,85 (IC 95 % 0,79-0,92). La combinaison du rapport Aβ42/Aβ40, de l’âge et du statut APOE ε4 a encore renforcé la correspondance précédente, l’AUC par rapport à la MPA-TEP atteignant alors 0,94 (IC 95 %, 0,90-0,97). En cas de MPA-TEP négative à l’état basal et de rapport Aβ42/Aβ40 plasmatique positif (< 0,1218), le risque de conversion, autrement dit d’apparition de plaques amyloïdes sur la TEP a été multiplié par plus de 15, par rapport aux participants avec un rapport Aβ42/Aβ40 négatif (p= 0,01).
Un apport possible dans la prise en charge précoce des patients supposés à risque
Le rapport plasmatique Aβ42/Aβ40, tout particulièrement quand il est combiné à l’âge et au statut APOE ε4 semble prédire le risque de dépôts cérébraux de plaques amyloïdes chez des sujets indemnes de troubles cognitifs à l’état basal. Un rapport Aβ42/Aβ40 positif et une MPA-TEP normale semblent augurer d’un risque de conversion très élevé. Ces résultats doivent être confirmés avant toute chose, mais ils pourraient signer une étape nouvelle dans la recherche consacrée à la MA, plus précisément dans le domaine thérapeutique. Des stratégies préventives, pharmacologiques ou autres pourraient être évaluées plus aisément chez les sujets dont le rapport plasmatique Aβ42/Aβ40 est jugé positif, à un stade où la maladie neurodégénérative ne s’exprime pas encore sur le plan cognitif.
En pratique courante, ce test n’a pour l’instant aucune valeur diagnostique établie dans l’identification d’une MA symptomatique. La présence de plaques amyloïdes sur une MPA-TEP n’est pas synonyme de démence, loin s’en faut : la localisation et l’étendue des anomalies doivent être prises en compte, au même titre que l’âge qui contribue à l’amyloïdose cérébrale, indépendamment de toute démence. Dans le domaine des maladies neurodégénératives, c’est la complexité qui domine la scène et, dans tous les cas de figure, c’est l’examen neuropathologique qui, en toute rigueur, reste le gold standard en matière diagnostique. Cette constatation n’enlève rien à l’intérêt de l’étude rapportée ici qui s’avère déterminante pour progresser dans la connaissance et le traitement de la MA ou encore du déficit cognitif léger.
Dr Philippe Tellier
RÉFÉRENCE : Schindler SE et coll. : High-precision plasma β-amyloid 42/40 predicts current and future brain amyloidosis. Neurology, 2019 ; publication avancée en ligne le 1er août. doi: 10.1212/WNL.0000000000008081.
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