Publié le 03/06/2021

La maladie cardiovasculaire athéromateuse reste l’une des plus grandes causes de morbi-mortalité dans la plupart des pays industrialisés.

L’aspirine est recommandée en prévention secondaire : le principe semble unanimement admis, mais la posologie optimale est loin de faire consensus.

Les études d’observation et les analyses post hoc des essais randomisés font valoir de doses différentes au point que les sociétés savantes ont du mal à « accorder leurs violons ».

Ainsi, l’ESC (European Society of Cardiology), en cas de MCV stable, préconise les faibles doses, « pédiatriques », cependant que les recommandations de l’ACC/AHA (American College of Cardiology–American Heart Association) sont beaucoup moins précises.

Le registre étatsunien, le National Cardiovascular Data Registry a révélé qu’en 2014, plus de 60 % des patients victimes d’un infarctus du myocarde (IDM) récent recevaient, à leur sortie de l’hôpital, une dose d’aspirine quotidienne de 325 mg, les pratiques variant très largement d’un état à l’autre.

L’intérêt d’une étude telle ADAPTABLE (Aspirin Dosing : A Patient-Centric Trial Assessing Benefits and Long-Term Effectiveness) semble donc évident.

Il s’agit d’un essai randomisé ouvert pragmatique dans lequel ont été inclus 15 076 patients (femmes : 30 % ; âge médian 67 ans), tous atteints d’une MCV stable avérée et répartis en deux groupes, selon la dose d’aspirine prescrite quotidiennement en prévention secondaire, respectivement 81 mg et 325 mg.

Les données ont été recueillies à partir des dossiers médicaux électroniques collectés au sein de PCORnet (Patient Centered Clinical Research Network) qui est en fait un réseau de réseaux constitué en 2014 à l’échelon des États-Unis et destiné à alimenter des essais pragmatiques.

Le critère de jugement principal combinait décès toutes causes confondues, IDM et hospitalisations en rapport avec un accident vasculaire cérébral (AVC).

Le critère secondaire était défini par les hospitalisations en rapport avec une hémorragie majeure.

81 mg versus 325 mg, match apparemment nul

Avant le tirage au sort, la quasi-totalité des participants (96,0 %) recevait déjà de l’aspirine, le plus souvent (85,3 %) à raison d’une dose quotidienne de 81 mg.

Au cours d’un suivi médian de 26,2 mois (écart interquartile [EIQ], 19,0 à 34,9), les évènements-cibles évoqués ont concerné 590 patients (7,28 %) du groupe 81 mg et 569 patients (7,51 %) du groupe 325 mg, ce qui conduit à un hazard ratio (HR) de 1,02 (intervalle de confiance [IC] à 95 %, 0,91 à 1,14).

Les hospitalisations liées à une hémorragie majeure ont concerné 53 patients (0,63 %) du groupe 81 mg, versus 44 patients (0,60 %) dans l’autre groupe, soit un HR de 1,18 (IC 95 %, 0,79 à 1,77).

Pendant l’essai, les changements de posologie ont été près de six fois plus fréquents dans le groupe 325 mg, soit 41,6 % versus 7,1 % dans le groupe 81 mg, de sorte que l’exposition à la dose fixée par le tirage au sort s’est avérée plus brève dans le premier groupe (médiane 434 jours [EIQ, 139 à 737] que dans le second (médiane 650 jours [EIQ, 415 à 922]). L’arrêt du traitement a été plus fréquent (11,1 %) avec la dose de 325 mg (7,0 % avec l’autre dose).

Les résultats de cet essai pragmatique qui s’appuie sur des données recueillies dans le monde réel plaident en faveur d’une faible dose d’aspirine dans le cadre de la prévention secondaire dévolue à la MCV stable.

Aucune différence intergroupe significative n’a en effet été mise en évidence quant à l’efficacité et à l’acceptabilité, de sorte que la dose de 325 mg ne semble pas affecter le rapport bénéfice/risque, tout en exposant à un arrêt plus fréquent du traitement ou à sa modification encore plus fréquente : dans plus de 40 % des cas, le patient opte pour la dose de 81 mg et les raisons de ce choix sont à la fois nombreuses et diverses, pas toujours apparentes à la lecture des dossiers médicaux électroniques qui ont constitué la base de l’étude.

Le débat est-il pour autant clos ?

La question peut se poser car cet essai pragmatique a ses limites évidentes.

En premier lieu, il est ouvert ce qui … ouvre la porte à de nombreux biais potentiels.

La définition des évènements-cibles peut prêter à caution et seuls les accidents hémorragiques nécessitant une hospitalisation ont été retenus pour évaluer l’acceptabilité.

Enfin, le sexe féminin est sous-représenté, alors que la quasi-totalité des participants recevait de l’aspirine avant le tirage au sort.

Le changement trop fréquent de posologie en cours d’essai jette une autre ombre sur ces résultats qui, par conséquent, doivent être confirmés avant de mettre un point final au débat actuel, mais n’en confortent pas moins les recommandations de l’ESC…

Dr Peter Stratford

RÉFÉRENCE: Schuyler Jones W et coll. : Comparative Effectiveness of Aspirin Dosing in Cardiovascular Disease. N Engl J Med. 2021 27;384(21):1981-1990. doi: 10.1056/NEJMoa2102137.

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Vous reprendrez bien un peu d’aspirine en prévention primaire ?