vendredi 27 septembre 2019
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Pr Frédéric Lapostolle, Pr Pierre Carli, Dr Jean-Pierre Usdin AUTEURS ET DÉCLARATIONS – 26 septembre 2019
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Enregistré le 1er septembre 2019, à Paris, France
Arrêt cardio-respiratoire : après les échecs des études d’intervention, la stratégie visant à former la population, et notamment les enfants, aux premiers gestes apparaît comme la plus efficace, selon le Dr Lapostolle. Il ne faut pourtant pas abandonner l’idée d’une prise en charge globale, répond le Dr Carli.
TRANSCRIPTION
Dr Jean-Pierre Usdin — Bonjour, je suis le Dr Jean-Pierre Usdin, Nous sommes dans les locaux de Medscape pour le congrès de la Société européenne de cardiologie, qui est lié cette année avec le congrès mondial de cardiologie, et j’ai le grand privilège d’avoir à mes côtés le Pr Frédéric Lapostolle, médecin-chef du SAMU 93, et le Pr Pierre Carli, médecin-chef du SAMU 75. Vous avez tous les deux présidé la séance [1] sur l’arrêt cardiaque chez les patients en stade très aigu.
Certaines des interventions étaient très impressionnantes, en particulier celle qui a trait à l’ECMO [oxygénation par membrane extra-corporelle] au cours d’un arrêt cardiaque prolongé. Pr Lapostolle, vous êtes intervenu à la fin pour remettre un peu les pendules à l’heure en ce qui concerne les résultats ces interventions. Comme vous le concluiez, en sommes-nous revenus au basique ? C’est-à-dire, est-on revenu aux « recommandations des Bee Gees » de la fin des années 77?
Pr Frédéric Lapostolle — Le constat est que lorsque les médecins parlent de réanimation de l’arrêt cardiaque — et a fortiori si ce sont des urgentistes — ils parlent de la partie médicale. Et il faut bien reconnaître que de ce côté-là, au cours des 20 dernières années, on a surtout enregistré des échecs. C’est-à-dire que toutes les stratégies pharmacologiques pour améliorer le pronostic de l’arrêt cardiaque se sont révélées être des échecs. Que ce soit l’augmentation des doses d’adrénaline, l’adjonction de vasopressine, la fibrinolyse, les anti-arythmiques, et même maintenant on en est à remettre en cause l’adrénaline.
Alors il y a probablement un champ d’investigation sur lequel il faut continuer à travailler, mais on sait que dans la chaîne de survie, les premiers maillons sont des maillons qui sont accessibles à l’éducation. Donc aujourd’hui, clairement — et là, on sait qu’on sera efficace — il faut travailler sur l’éducation de la population à l’alerte et à l’initiation des premiers gestes : le massage cardiaque et l’utilisation de la défibrillation. Le seul succès franc qui a fondamentalement changé les choses au cours des 20 dernières années, c’est l’accessibilité de la défibrillation automatique.
Dr Jean-Pierre Usdin — Vous avez dit en effet : il faudrait prolonger toutes ces éducations dans les écoles, notamment à un jeune âge. Et vous avez parlé aussi des vidéos qui sont diffusées à la télévision — pour une fois qu’on entend que les enfants doivent regarder les vidéos et faire ce qu’ils voient !
Pr Frédéric Lapostolle — Oui. Théoriquement, on devrait déjà former nos enfants dans les écoles, parce que c’est écrit dans la loi. Pour toutes sortes de raisons organisationnelles en particulier, aujourd’hui, ce n’est pas le cas, mais c’est clair que les secouristes-sauveteurs de demain, ce sont les enfants d’aujourd’hui. Et si on veut, demain, qu’une partie suffisante la population soit formée, il faut former les enfants dès aujourd’hui. Ce que vous évoquez, c’est un travail qu’on avait fait auprès de collégiens et il faut changer notre façon de les aborder, parce que quand on les interroge, ils ont tous vu un arrêt cardiaque, ils ont tous vu du massage cardiaque. Et peut-être qu’au lieu de revenir aux Bee Gees et au massage cardiaque en leur disant « mains au milieu de la poitrine », etc., leur dire « vous l’avez vu à la télé – faites comme vous avez vu à la télé ». On est en train de travailler dessus : au quotidien, on a l’impression que ça marche parce que les gens ont tous été confrontés, aujourd’hui, dans des séries, dans des films, à des arrêts cardiaques et à de la réanimation des arrêts cardiaques.
Les secouristes-sauveteurs de demain, ce sont les enfants d’aujourd’hui. Pr Frédéric Lapostolle
Dr Jean-Pierre Usdin — Ce qui est impressionnant, ce sont toutes ces études qui montraient que la plupart avaient échoué. Pr Carli, êtes-vous d’accord avec ce pessimisme un peu actif de votre collègue ?
Pr Pierre Carli — Oui et non. Oui sur un point : ce n’est sûrement pas la réanimation spécialisée qui est le point majeur en termes de poids, de statistique sur le pronostic. On est parfaitement d’accord — le massage cardiaque, la défibrillation, sont les sujets qui sont absolument incontournables pour commencer à discuter du reste. À l’heure actuelle, ce que l’on ne sait pas compenser, ce sont les premières minutes qui suivent l’effondrement de la victime de l’arrêt cardiaque, pendant lesquelles aucun geste n’est réalisé. Si on dépasse quelques minutes, là, il n’y a plus de sujet, ce n’est même pas la peine de parler du reste. Donc l’investissement du public, des enfants, la réanimation très précoce, 100 % d’accord. Maintenant, supposons ce problème résolu — et il l’est dans certains pays — il reste beaucoup de choses à faire. Nous avons repoussé beaucoup plus loin les limites. Certes, les études peuvent paraître négatives, mais je vous rappelle que scientifiquement, une étude négative, c’est un résultat positif, cela vous dit ce qu’il ne faut pas faire.
Et quand on sait ce qu’il ne faut pas faire, cela permet de chercher ce qu’il faut faire. De plus, ces études sont complexes. Quand on les dissèque, celles qui ont été citées, notamment dans les conférences, comme l’étude PARAMEDICS2 sur l’utilisation de l’adrénaline, l’étude sur le refroidissement nasal PRINCESS, d’autres études sur le contrôle des voies aériennes (AIRWAYS-2), elles ont toutes des biais, parce que ce sont des études extrêmement compliquées, avec de très nombreux patients et on n’arrive pas toujours à ce qu’on veut faire. Même celle qui a été réalisée au SAMU 93 dans toute l’Europe avec le Dr Lapostolle sur la supériorité de la ventilation avec le ballon par rapport à un geste plus compliqué d’intubation — le résultat n’est pas celui qui était attendu. Donc attention — ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, travaillons sur tous les sujets. Maintenant, je vais vous donner un autre exemple — n’avons-nous pas perdu du temps, peut-être, à essayer de se batailler sur des sujets simples et n’avons-nous pas raté le point fondamental qui est le cerveau et non pas le cœur ?
Dr Jean-Pierre Usdin — Oui.
Pr Pierre Carli — L’arrêt cardiaque, c’est un problème de cerveau, ce n’est pas un problème de cœur. Le cœur, on sait le remplacer. Vous avez vu ici, sur l’exposition au congrès ESC, les quantités de matériels qui sont disponibles, les quantités de solutions qu’on a. En fait, cela ne sert à rien si le cerveau est déjà atteint. Donc privilégier les premiers gestes, privilégier le cerveau, remplacer la circulation.
L’arrêt cardiaque, c’est un problème de cerveau, ce n’est pas un problème de cœur. Pr Pierre Carli
Deux exposés ont été réalisés sur l’ECMO : un par mon équipe, le Dr Lionel Lamhaut [2], et un par un collègue de Prague [Jan Belohlavek] [3]. Ce qui était intéressant, c’est qu’il y avait des points communs très nets entre les deux. Des équipes qui ne travaillent pas ensemble, avec des temps et des discussions d’évolution qui sont un peu différents — on a maintenant cinq ans d’expérience — en arrivent quand même à l’idée qu’on peut sophistiquer les soins de manière importante.
Moi, je crois qu’il y a un message qu’on peut retenir, qui est celui que ce n’est pas une mesure qui amènera le pronostic, mais un ensemble de mesures commençant sur le terrain et allant, ensuite, jusqu’aux techniques les plus spécialisées. Nos collègues anglo-saxons appellent cela des care bundle, c’est-à-dire des prises en charge globales. Et là, il y a des résultats absolument fantastiques.
Lorsque, dans une ville, dans une région aux États-Unis ou en Europe — des grandes villes d’Europe l’ont fait aussi — vous avez à la fois la prise en charge par le public, la défibrillation telle qu’elle a été dite, des équipes médicales et paramédicales très entraînées à l’arrêt cardiaque, et vous associez à cela la possibilité de donner des soins spécialisés comme de mettre en place une circulation extracorporelle sur le terrain — attention, pas pour tous les patients, avec des conditions de prise en charge qui sont bien précises, avec des signes qui permettent de penser que le cerveau est en état — vous rajoutez derrière un hôpital qui sait gérer la maladie de la reperfusion, c’est-à-dire lorsque le corps est reparti, l’énorme déséquilibre qui va s’installer, et là vous commencez à avoir une prise en charge cohérente. On rentre dans des pronostics qui sont intéressants.
Dr Jean-Pierre Usdin — J’ai l’impression qu’on a quand même encore beaucoup de chemin à faire avant cela. Je voudrais conclure avec le mot d’un éditorialiste qui revenait sur un énième article sur la réanimation justement, qui disait : « push hard, push fast, and do not stop. » Je vous remercie beaucoup d’avoir participé à cet entretien et de votre venue. Merci.
LIENS
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Citer cet article: Arrêt cardio-respiratoire: quelles sont les mesures efficaces? – Medscape – 26 sept 2019.