Publié le 10/09/2018
Paris, le lundi 10 septembre 2018 – En 2008, le professeur de neurochirurgie Sébastien Froelich (Larriboisière) signe une publication mettant en évidence un risque accru de méningiome associé à la prise d’acétate de cyprotérone (AC, dont Androcur est le princeps).
« J’ai commencé à me poser des questions le jour où j’ai vu en consultation deux patientes sous Androcur atteintes de méningiomes multiples, dont l’une était sur le point de devenir aveugle » raconte le praticien à l’Express.
La régression des tumeurs après l’arrêt du traitement conforte un peu plus la piste d’une association. Alertées les autorités sanitaires décident d’une modification du résumé des caractéristiques du produit (RCP). L’antécédent ou l’existence de méningiomes deviennent une contre-indication, tandis qu’est bien précisé que « des cas de méningiomes (simples et multiples) ont été rapportés en cas d’utilisation prolongée ».
Soulignons que si des « cas de méningiomes sont également rapportés avec d’autres progestatifs (…) le nombre de cas est bien moins important avec ces spécialités comparé à l’AC alors que l’exposition est plus importante », relève l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Régression après arrêt du traitement mais des séquelles possibles
Cette alerte a conduit à une vigilance soutenue qui a pris la forme d’une étude destinée à mieux connaître l’ampleur du risque. Ainsi, l’ANSM en collaboration avec la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et l’équipe de Sébastien Froelich ont mis en place une évaluation portant sur 250 000 femmes « exposées à l’acétate de cyprotérone (début du traitement entre 2007 et 2014) dont 140 000 avaient eu au moins trois boites (soit 3000 mg) au cours des six premiers mois de traitement. La survenue d’un méningiome opéré a été suivie chez ces femmes pendant sept années », détaille l’ANSM.
Les données concernant ces femmes ont été comparées à celles de patientes faiblement exposées (moins de trois grammes sur six mois). Les résultats ne sont pas encore totalement connus, mais l’ampleur du risque retrouvé a « surpris » les responsables de l’étude, a admis l’endocrinologue Jean-Michel Race de l’ANSM. Il apparaît en effet que chez des femmes exposées à au moins 3 000 mg d’acétate de cyprotérone, le risque de survenue de méningiome est multiplié par 7 comparé au groupe témoin. Une multiplication du risque par 20 au-delà de 60 000 mg (soit cinq ans d’un traitement de 50 mg/j (pendant 20 jours par mois) est également constatée. L’âge de la patiente est un élément aggravant le risque.
L’ANSM note encore que « le risque de méningiome diminue très fortement après l’arrêt du traitement », tandis que ce dernier entraîne une régression totale du méningiome dans quasiment tous les cas. Néanmoins, l’évolution n’est pas toujours aussi favorable, relève l’ANSM. « Dans l’enquête de pharmacovigilance de 2014 (…), il avait été montré que l’évolution n’était pas toujours favorable malgré une régression de la taille de la tumeur dans six cas sur quarante pour lesquels l’information était disponible. Certaines patientes ont eu des interventions chirurgicales avec des séquelles neurologiques (visuelles) et un cas de décès avait été rapporté ». L’ANSM espère qu’un diagnostic plus précoce aujourd’hui aujourd’hui de limiter les conséquences de cet effet secondaire.
Où sont les hommes ?
L’évaluation aujourd’hui disponible, notamment parce qu’elle met en évidence un risque plus important que redouté, a conduit l’ANSM à solliciter les sociétés savantes concernées afin qu’elles planchent sur de nouvelles recommandations. Ces dernières devraient être prochainement rendues publiques. Si elles ne devraient pas aboutir à une suspension du traitement, elles s’appliqueront à obtenir un usage plus contrôlé. En effet, face au risque de méningiome, les nombreuses prescriptions hors AMM (endométriose ou acné résistante aux traitements usuels notamment) semblent devoir être mieux encadrées, voire interdites. Les spécialistes devraient également, comme les y incite un comité d’experts indépendants mandaté par l’ANSM, redéfinir certains termes de l’indication comme « hirsutisme majeur » ou « idiopathique ».
L’ensemble des indications sera d’une manière générale revu et le placement du traitement pour certaines en seconde intention ou en cas d’échec thérapeutique discuté. Le comité d’experts relevait par ailleurs qu’il sera nécessaire de s’intéresser aux cas spécifiques des patients transgenres chez lesquels l’acétate de cyprotérone est parfois utilisé pour accompagner un changement de sexe. On espère au-delà que ces recommandations concerneront également les hommes, absents des études de pharmacovigilance de l’ANSM alors que le traitement par Androcur à fortes doses est fréquemment utilisé dans le cancer de la prostate.
Des patients pas avertis
Si l’ANSM semble témoigner d’une grande vigilance, la controverse pourrait couver. Déjà, les propos rassurants du ministre de la Santé, évoquant notamment le caractère quasiment toujours bénin des méningiomes et leur régression avec l’arrêt du traitement, ont suscité la colère de certaines patientes qui présentent des séquelles importantes et qui sont plusieurs à évoquer leur souffrance sur les réseaux sociaux. Regrettant la « minimisation » d’Agnès Buzyn, ces patientes pointent du doigt également un défaut de prévention et d’alerte de la part des médecins. Si la présence de cette donnée sur le RCP permettra difficilement de nourrir cette accusation de manière juridique, cette polémique devrait une nouvelle fois relancer les discussions générales sur l’information des patients.
Aurélie Haroche
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